Censure

Débat Gassama Diaby/Makanéra : Baldé Mamadou Gando s’en mêle !

M. Makanéra ! Vu que vous m’avez nommément interpellé dans votre article http://guinee7.com/polemique-la-reponse-du-ministre-kalifa-diaby-gassama-na-fait-quaggraver-son-cas/) en me demandant mon avis et compte tenu du respect et de l’admiration que je vous voue,  je me vois dans l’obligation de réagir à nouveau. Concernant mon avis sur le débat de fond, c’est à dire si, indépendamment de la recevabilité de la plainte en question,  la dépénalisation des délits de presse constituait une rupture d’égalité entre les citoyens devant la loi conformément à l’article 8, alinéa 1er de la Constitution, prière de lire mon commentaire suite à votre article ! http://guinee7.com/polemique-le-ministre-kalifa-diaby-gassama-dementi-par-un-sujet-dexamen-de-la-sorbonne/

Prenant à cœur votre invite  « Je suis en attente de preuve contraire de mon analyse car, je ne prétends pas détenir la vérité absolue. Je pense avoir dit ce qui est nécessaire à l’évaluation scientifique de ma modeste compréhension de ce sujet », je ferais, avec votre permission, les remarques suivantes :

1.            Vous avez raison quand vous écrivez : « je suis arrivé à la conclusion que, contrairement à la France, aucune loi organique d’application de l’article 96 alinéa 4 n’a été votée par le CNT, ni par la nouvelle assemblée nationale. » ! La raison ? L’article 61-1 de la Constitution française exige, contrairement à l’article 96 alinéa 4 de la Constitution guinéenne,  une loi organique relative à l’application dudit article : « Lorsque, à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d’État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé.

Une loi organique détermine les conditions d’application du présent article ».

Aussi une « loi organique d’application de l’article 96 alinéa 4 » n’est-elle pas nécessaire en Guinée !

2.            Que dit cette Loi Organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 relative à l’application de l’article 61-1 de la Constitution française  (que vous avez mentionnée) ?

M. Makanéra, l’Article 23-4 de cette Loi que vous citez nous renvoie AUX 1° et 2° de l’Article 23-2!

« Art. 23-4. – Dans un délai de trois mois à compter de la réception de la transmission prévue à l’article 23-2 ou au dernier alinéa de l’article 23-1, le Conseil d’Etat ou la Cour de cassation se prononce sur le renvoi de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel. Il est procédé à ce renvoi DES LORS QUE LES CONDITIONS PREVUES AUX 1° et 2° de L’ARTICLE 23-2 SONT REMPLIES ET que la question est  nouvelle « ou » présente un caractère sérieux ».

Quelles sont ces conditions à remplir ?  : « Art. 23-2. – La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d’Etat ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies :

1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ;

2° ELLE N’A PAS DEJA ETE DECLAREE CONFORME A LA CONSTITUTION DANS LES MOTIFS ET LE DISPOSITIF D’UNE DECISION DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL, SAUF CHANGEMENT DES CIRCONSTANCES;

3° La question n’est pas dépourvue de caractère sérieux.

… » http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do;jsessionid=CDD11EE1CFA9DC63A002B4FDEAC1B680.tpdjo11v_1?cidTexte=JORFTEXT000000705065&idSectionTA=LEGISCTA000006120488&dateTexte=&categorieLien=cid

Ainsi une onction de Constitutionnalité de la part du  Conseil  Constitutionnel exclut la « transmission de la question prioritaire de constitutionnalité », « sauf changement de circonstances », selon cette Loi Organique ! (En Guinée, nous n’avons pas les « filtres » !)

3.            Conformément à la Constitution française, cette Loi Organique doit être déclarée conforme à la Constitution par le Conseil Constitutionnel avant sa promulgation.

Qu’a dit ledit Conseil à propos de cet Article 23-2 (particulièrement du 2°) ? Décision n° 2009-595 DC du 03 décembre 2009:

« 13. Considérant, en premier lieu, que les trois conditions qui déterminent la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité ne méconnaissent pas l’article 61-1 de la Constitution (analogue à l’Article 96-4 de la Constitution guinéenne !) ; que la condition prévue par le 2° de l’article 23-2 est conforme au dernier alinéa de l’article 62 de la Constitution qui dispose :  » Les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d’aucun recours. Elles s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles « (analogue à l’Article 99 de la Constitution guinéenne qui ajoute « ,ainsi qu’à TOUTE personne physique et morale !») ; qu’en réservant le cas du  » changement des circonstances « , elle conduit à ce qu’une disposition législative déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel soit de nouveau soumise à son examen lorsqu’un tel réexamen est justifié par les changements intervenus, depuis la précédente décision, dans les normes de constitutionnalité applicables ou dans les circonstances, de droit ou de fait, qui affectent la portée de la disposition législative critiquée ;…

15. Considérant, dès lors, que l’article 23-2 n’est pas contraire à la Constitution ; »

De ce qui précède, il est aussi admis que cette jurisprudence s’applique à notre pays !

4.              Ainsi la Loi dépénalisant les délits de la presse, déjà déclarée conforme à la Constitution guinéenne par la plus haute Juridiction de notre pays, ne peut faire l’objet de contrôle de constitutionnalité par voie d’exception, sauf (entre autres) changement de circonstances !

L’Article 7 de la Déclaration Universelle des Droits de l’homme (que vous avez mentionné) constitue-t-il un « changement de circonstances » ? Je répondrais par la négative. Pourquoi ? Parce que cette Déclaration faisait déjà partie du bloc de Constitutionalité, au moment de la promulgation de la loi dépénalisant les délits de presse ! Aussi la Cour Suprême, en validant cette loi, l’a-t-elle jugée conforme au bloc de Constitutionnalité (donc y compris à la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme !). On parlerait de probable « changement de circonstances » si la ratification de cette Déclaration (au cas où elle serait en collision avec la loi dépénalisant les délits de presse !) était postérieure à la promulgation de la loi nous concernant. Toutefois cette piste que vous avez soulevée (Traité et Convention)  est très intéressante pour d’éventuels contrôle de constitutionalité de certaines de nos Lois (par exemple articles du Code Civil défavorisant les femmes, sous-représentation des femmes, de la Jeunesse, des personnes handicapées etc  dans l’administration). Par ailleurs, si la Guinée ratifiait un traité « portant atteinte » à des dispositions d’une Loi Organique, cette Loi pourrait, le cas échéant, « faire bel et bien l’objet de contrôle de constitutionnalité par la voie d’exception d’inconstitutionnalité des lois. » (Comme vous dites).

M. Makanéra, soyez sûr et certain d’une chose : le débat suscité par vos derniers articles a permis de faire la promotion de notre Constitution mieux que 1000 symposia et séminaires ! Je tiens à vous exprimer ma profonde gratitude ! Je partage entièrement votre dernière phrase « Ce débat aura au moins  servi à faire comprendre à certains que notre constitution de 2010 n’a pas que des mauvais côtés. »  La conclusion de mon commentaire précédent étant toujours valable, permettez-moi de la réitérer ici !

M. Makanéra, je ne saurais finir ce commentaire sans vous dire que, votre article a le mérite indéniable (et vous pouvez en être fier !) d’avoir fait savoir à tout le monde que : « Tout plaideur peut soulever l’exception d’inconstitutionnalité d’une loi devant toute juridiction. ». Et vous savez que nous avons beaucoup de lois, à commencer par notre code civil (discriminant à maints endroits les femmes), qui paraissent être contraires à notre Constitution. J’espère que beaucoup de justiciables penseront à votre article lorsqu’ils seront confrontés à ces lois. Aussi vous remercie-je encore une fois !

Balde Mamadou Gando

 

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