Censure

Thanguêl tranche ses chroniques dans un livre : « Nous sommes dans une société de lâcheté et d’hypocrisie »

Souleymane Thianguêl Bah, 42 ans, est un touche à tout : comédien, metteur en scène, communiquant, enseignant et…chroniquer ! Il vient de publier chez l’Harmattan Guinée  «Les Tranchantes Chroniques ». Un recueil de textes satiriques qu’il a déjà publiés dans le journal Le Lynx et à Lynx FM. Thianguêl, le « Foulédi » (petit peul), comme il aime se qualifier, tranche avec la tradition et dépeint la société dans des termes crus, ou si voulez, dites vulgaires. Ça lui est égal. Lui dit ce qu’il pense et ce qu’il vit. Après, il ferme sa gueule et dégage ! A bâton rompu, nous l’avons rencontré pour parler de ce livre. 

Pourquoi vous avez écrit « les tranchantes chroniques » qui viennent d’être publiées chez l’Harmattan Guinée ? 

Souleymane Thianguêl Bah : c’est un recueil de texte, en fait. Des textes écrits depuis plusieurs années maintenant pour à la fois le journal Le Lynx et plus récemment pour une chronique de Lynx FM qui s’appelle « Les tranchantes de Thianguêl ». Donc, c’est à peu près une centaine de chroniques rassemblées dans un livre, parce que beaucoup d’entre ceux qui écoutaient la radio me demandaient presqu’automatiquement les textes. Il fallait faire un livre pour que cela reste. Parce que, comme on dit le plus souvent, la parole peut s’envoler mais l’écrit reste. Pour avoir une sorte de pérennisation de ce que j’ai fait, c’était mieux de le rassembler dans un livre. C’est aussi venu d’amis et de Sansy Kaba de l’Harmattan qui depuis un moment m’avait dit qu’on pouvait faire un recueil de ces chroniques-là.

A la dédicace du livre, les comédiens qui lisaient les extraits disaient que c’était difficile de les lire. D’ailleurs il était un peu difficile aussi pour nous qui écoutions de comprendre. A quoi ça sert d’écrire sans être compris ?

Un texte n’est pas écrit pour tout le monde. En matière de communication, quand vous êtes en train de construire un message, vous avez forcément dans votre esprit, une sorte d’horizons d’attente ; une image de celui à qui vous êtes censés vous adresser. Je n’ai pas la prétention d’écrire un texte accessible à tout le monde. J’écris un texte tel que je l’imagine. Et j’imagine que de la même manière que je fonde ce texte en moi, il y a aussi d’autres personnes qui, de la même manière, se construisent leur rapport à l’écriture de la même façon.

Le second est que souvent j’ai comme impression que les gens se font avoir par la musicalité du texte. Parce que les mots qui sont utilisés dans mes textes sont les mots de tous les jours, les mots qu’on croise tous les jours. Mais puisque les tournures sont faites de telle sorte que la musique et la consonance des mots deviennent la règle de l’écriture, c’est qu’à un moment donné quand on lit les textes ou quand on les écoute, on est happé  par la musique du texte et du coup on oublie à un moment donné le sens des mots. Sinon, au bout du compte, je pense que si on prend vraiment le temps de les écouter, ça peut permettre une facilité d’accès. Je pense aussi d’ailleurs que c’est ça l’intérêt du livre. En écoutant à la radio, ça va très vite, mais en lisant tranquillement le livre, on aura plus facilement accès au contenu.

Vous n’avez pas la prétention d’écrire un texte accessible à tout le monde. Vous écrivez alors pour qui ?

Je pense que les textes sont d’abord écrits pour une élite. En tout cas des gens qui ont un certain niveau de langue, qui lisent beaucoup, qui n’ont pas de complication à comprendre une phrase parce qu’il y a un mot non compris dedans. Je crois que c’est écrit pour des cadres qui ont un certain niveau de compréhension de la langue française. Mais de la même manière, je pense qu’on peut y retrouver des textes de tous ordres. De la même manière que vous pouvez tomber aujourd’hui sur une chronique dans un style très châtié, en termes de choix des mots, de la même manière, vous tomberez sur un texte complètement dans un français du commerçant de Madina, il y a tout dedans. Ça dépens des sujets sur lesquels je travaille.

Dans votre livre, vous utilisez aussi des mots à la limite vulgaires, vus de l’Afrique… 

Je trouve que nous sommes dans une société de lâcheté et d’hypocrisie. Je parle de la société guinéenne. Les gens qui écoutent ces textes, font des choses pires que ce qui est dit dans les textes. Ils s’embêtent que je mette cela sur la place publique. Je ne fais pas de l’autocensure. J’ai une idée qui me traverse la tête, je l’écris parfois avec violence. Parce que comme je le disais, il n’y a pas longtemps, c’est la société qui est violente, c’est elle qui est vulgaire. Le jour où elle cessera d’être vulgaire, à mon avis, les écrivains, les artistes et tous ceux qui sont dans une sorte de représentation de la réalité, cesseront  automatiquement d’être et violents, et vulgaires. En attendant, la société est ce qu’elle est. Moi je suis le produit de cette société et je lui renvoie son miroir.

La vulgarité venant de la plume d’un « Foulédi » (petit Peul), éduqué pour être dans les rangs, notamment dans les écoles coraniques, ça fait désordre ça, non ? 

(Rires) C’est vrai qu’il connait bien le coran, je ne le dis pas assez : j’ai participé au concours national de lecture du coran. Et j’ai été premier de la République dans ma catégorie. Mais il n’y a pas antinomie. Je suis Foulédi (petit Peul), mais je suis aussi Sossedi (petit Soussou), je suis Maninkadi (petit Malinké), je suis aussi Thianguêl qui a passé une dizaine d’années en France, qui a rencontré d’autres cultures, qui aujourd’hui regarde la télé, est sur Facebook, etc. Je suis à l’image de toutes ces sociétés-là que j’ai traversées ou que je suis en train de traverser. Et donc du coup, ça ne m’embête pas d’être celui-là. Au contraire, si je cherchais à taire ça ; c’est là que je suis hypocrite et c’est là que je suis vulgaire. Parce qu’à mon avis, la pire des vulgarités, c’est celle qui cherche à cacher ce que l’on est. Pour paraitre aux yeux du monde tel qu’il voudrait qu’on soit.

Est-ce qu’on peut être un bon écrivain ou un chroniqueur tout en étant le chargé de Com d’un parti politique ?

Oui, oui, absolument. Je suis quelqu’un qui réclame sa schizophrénie. Il y a plusieurs personnes en moi. Je suis en fonction du cadre dans lequel je suis. C’est pour cette raison que j’ai choisi de faire notamment des  chroniques et je n’ai pas choisi d’être journaliste. Parce que le journaliste doit être objectif, impartial et équilibré. Il se trouve que la chronique c’est la traduction d’un point de vue, d’un sentiment. Ce que je dis dans mes chroniques, n’est pas vérité d’évangile. J’attends que les autres m’opposent leurs points de vue. Pendant que je suis le responsable de la cellule de communication de l’UFDG (principal parti d’opposition de Guinée), je fais le travail qui consiste à défendre l’UFDG. C’est pour cela je dis en rigolant : Souleymane Bah est le chargé de Communication de l’UFDG ; Souley Thianguêl est le chroniqueur. Ce sont deux personnes différentes.

Vous signez vos chroniques par « je ferme ma gueule et je dégage !» cela traduit quoi ?

 Cette affaire a une histoire. Il y a eu un moment donné où j’avais pris mes distances avec l’UFDG. Et je m’étais retrouvé sur le plateau de Lynx FM où on m’avait posé la question sur le conflit qu’il y avait entre MM. Bah Oury et Cellou Dalein Diallo. A l’époque, j’avais dit qu’il faut que les deux règlent leur problème ou ils dégagent du parti. Le mot ‘’dégage’’ est sorti de là et ça été très mal perçu, notamment du côté de l’UFDG. Et puisque j’ai vu que ce mot a tellement emmerdé les gens, je m’en suis servi et c’est devenu la plume. En ce moment, j’avais écrit une chronique à partir du verbe « dégager ». Et puisque j’avais eu l’impression d’avoir suffisamment embêté les gens, j’ai écrit à la fin que les gens me pardonnent ma putainerie, ma vulgarité, d’avoir dit des choses que je ne devais pas. Et sur ce, je ferme ma gueule et je dégage.

Interview réalisée par Ibrahima S. Traoré

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