Censure

A propos du retour de Dadis, une organisation des droits de l’homme se démarque des autres organisations

Kpana Emmanuel Bamba

Le président de la Ligue guinéenne des droits de l’homme (Liguidho), s’est confié à notre reporter sur des questions des droits de l’homme en Guinée et l’affaire Dadis. Interview.

Quelle est votre lecture de la situation des droits de l’homme en Guinée, sur les cinq dernières années?

Kpana Emmanuel Bamba : Ces derniers temps, j’avoue que compte tenu de la densité des droits de l’homme, il y a certains droits de l’homme qui sont plus ou moins respectés, d’autres ne le sont pas. Parce que quand vous prenez par exemple les droits civils et politiques, le droit par exemple de manifester certains de ces droits ne sont pas respectés, dans la mesure où nous avons par exemple assisté  ces derniers temps aux répressions des manifestations. On a pris des décisions pour bâillonner un peu la presse, je veux parler par exemple de la décision de la Haute autorité de communication (HAC). Parce que, lorsqu’on disait que désormais les émissions interactives, il fallait désormais enregistrer préalablement, cela pouvait coûter un peu d’argent à des organes de presse dans la mesure où leurs moyens sont limités. Le droit à un procès juste et équitable, ce sont des lois qui sont quotidiennement violées, le droit d’être assisté par un avocat est consacré par la constitution, dès l’interpellation du suspect. Cela n’est pas respecté. Donc l’impunité règne encore en Guinée, parce qu’il ne s’agit pas seulement de poursuivre les petits ‘’Mamadou’’, permettez-moi ce terme-là, alors qu’il y a des individus qui sont plus ou moins responsables de certains crimes mais qui ne sont pas inquiétés, ainsi que des auteurs de détournements de deniers publics, se promènent librement… donc des bandits à col blanc qui sont toujours à l’abri des poursuites judiciaires. Quand vous voyez ces affaires-là, je dirai que le droit d’être jugé par exemple dans un délai raisonnable, le général Nouhou Thiam, qui croupit en prison depuis des années. Donc, ces droits ne sont pas respectés, ils sont bafoués.

Justement Maître, ces dernières semaines certains politiques et activistes des droits de l’homme ont dénoncé ce qu’ils ont qualifié de détention arbitraire de deux jeunes venus de la région forestière au Pm3 ici à Conakry. Quel est votre avis là-dessus ?

La Ligue guinéenne des droits de l’homme a condamné fermement cette détention arbitraire et illégale. Parce que ces deux jeunes ont été privés de leurs libertés depuis le 7 mai dernier à N’Zérékoré jusqu’au 10.  Ils ont été embarqués nuitamment et conduits à Conakry. Donc depuis le 11 mai, ils croupissent en garde à vie, de façon illégale et abusive au Pm3 à  Conakry ici. Il convient de signaler que le délai de garde à vue, selon la législation guinéenne est de 48h renouvelable une fois. Donc détenir quelqu’un plus d’un mois et dire que celui-là est en garde à vue, pour nous c’est inadmissible, c’est une violation  grave des droits de l’homme.

A l’absence des députés de l’opposition, les élus de la mouvance ont voté une loi autorisant désormais les forces de l’ordre à porter des armes de guerre et si possible à en faire usage lors des manifestations. Quelle sont vos impressions sur cette loi?

J’avoue que la Ligue guinéenne des droits de l’homme avait participé à l’atelier de validation de cet avant-projet de loi à Kindia. Nous avions prévu que pendant les manifestations ce sont des armes conventionnelles qui doivent être utilisées : des matraques, gaz lacrymogène…. Tout ce qui n’est pas arme létale, qui peut priver quelqu’un de sa vie. Alors, on ne pourrait faire usage de la force que lorsqu’on ne peut pas défendre autrement. Donc, lorsqu’un manifestant est armé, qui braque l’arme sur un agent de force de l’ordre alors l’agent de force de l’ordre s’il est porteur d’une arme, ce n’est pas des pistolets qu’on leur donne mais ce sont des armes conventionnelles. Alors, il est prévu que ces personnes peuvent utiliser leurs armes conventionnelles. Je ne sais pas, si entre temps on a inséré qu’on peut utiliser des pistolets. Mais je suis convaincu que ce n’est pas le cas, il ne faudrait pas que l’on commence déjà à intoxiquer la population. Ils pourront utiliser l’arme que lorsque leur vie est menacée, donc pourrait encore dire que lorsqu’ils se trouveraient dans ce qu’on appelle dans un état de légitime défense.

Dans la foulée, une autre loi avait été aussi votée par les mêmes députés de la mouvance, mais cette fois-ci protégeant le président de la République contre les offenses ?

Oui, nous avons été informés de l’adoption du vote de cette loi par nos honorables députés mais je pense que c’était une manière d’attirer la foudre de la communauté nationale et internationale sur eux, parce que ces questions sont réglées par le Code pénale. Par exemple même les injures publics à l’endroit d’un simple citoyen, c’est une infraction à plus forte raison, une offense envers le chef de l’Etat ou d’un membre du parlement…. Ce sont des questions qui sont réglées par le Code pénal, parce que le président de la République est une institution, le député également et même les magistrats sont protégés, ce qu’on appelle outrage à magistrat par exemple. Donc ce sont des comportements qui sont considérés comme des infractions et qui sont prévues et punies par le Code pénal. Je me demande comment on pouvait encore légiférer cette question et attirer utilement l’attention de la communauté nationale et internationale sur soi. Je pense que c’est une loi qui vient faire grincer les dents dans la mesure où pour moi son adoption ne pas nécessaire, donc il va falloir voir cette loi et comprendre, son contenu avec celui du Code pénal pour voir s’il n’y a pas de disposition liberticide.

En tant que défenseur des droits de l’homme, que pensez-vous du retour du capitaine Moussa Dadis Camara au pays ?

En tant que défenseur des droits de l’homme, je dirai que le retour de Dadis Camara ne peut que s’inscrire dans le cadre des  instruments juridiques de protection du droit de l’homme. Quand vous prenez la déclaration universelle des droits de l’homme, il est prévu que chacun a le droit de quitter son pays et d’y revenir.  Autrement dit, la  liberté de circuler est reconnue à tout citoyen. Il a le droit de circuler librement sur l’étendue du territoire national, d’en sortir et d’y revenir. Donc, on ne peut refuser à M. Dadis Camara, le droit de revenir dans son pays parce que c’est un citoyen guinéen. Donc, sur la question il n’y a même pas de problème, parce que la déclaration des droits humains ainsi que les textes nationaux en vigueur en République de Guinée reconnaissent ce droit, à tout citoyen,  de circuler librement sur le territoire national, d’en sortir et d’y revenir.

Pourtant certains de vos collègues défenseurs des droits de l’homme  ont dénoncé cette annonce de candidature de Dadis à la présidentielle ?

Oui, ce sont des défenseurs des droits de l’homme qui oublient que les droits de l’homme sont vastes. Parce que, à les écouter, on va penser que Dadis ne mérite pas le  retour en Guinée, donc si vous avez le temps essayez de regarder un peu les dispositions de la déclaration universelle des droits de l’homme. Sur la question, il n’y a pas de polémique, d’ailleurs l’article 11 de la déclaration universelle de droits de l’homme, proclame le principe de la présomption d’innocence, lorsqu’un citoyen n’est pas encore jugé et condamné de manière définitive à travers une décision, il est présumé innocent. Sinon aujourd’hui, M. Sarkozy ne peut pas prétendre briguer encore   prochainement la mandature suprême parce que vous le savez, il y’a plusieurs dossiers qui tournent actuellement autour de M. Nicolas Sarkozy. Le président Kenyan dont le dossier était à la Cour pénale internationale (CPI), ça ne l’a pas empêché en tout cas de jouir de ses droits, quand il n’est-pas encore jugé.

Ils estiment que Dadis doit encore attendre que le dossier du 28 septembre soit évacué avant de se porter candidat à l’élection présidentielle?

Mais sur la base de quelle loi, il ne faudrait pas confondre la morale avec le droit. Si le droit reconnait à individu  un droit, pourquoi la morale va lui retirer ce droit-là. Donc, je ne vois pas en tout cas la base légale, je le dis en tant que défenseur des droits de l’homme. Parce que certains mélangent la pratique de cette activité avec un peu de dose politique. En droit de l’homme chacun a le droit de circuler librement, de sortir de son pays et d’y revenir. Je l’ai dit, je l’ai rappelé. La présomption d’innocence est un principe universellement reconnu par la déclaration universelle des droits de l’homme.

Dans le même dossier du massacre du 28 septembre 2009. Un des responsables de la junte a été inculpé. Qu’en pensez-vous ?

Nous avons tous suivi à travers les médias, c’est le général Toto, même RFI en a parlé, si les juges ont estimé que, lui, il doit être inculpé parce qu’il y a des charges suffisantes qui pèsent contre sa personne, alors on ne peut pas critiquer parce que nous ne sommes pas dans le dossier. Les juges sont là pour instruire, voir qui est de prêt ou de loin mêlé à cette affaire du 28 septembre à travers une responsabilité pénale. Donc, si la responsabilité pénale a convaincu les juges et que cette responsabilité pénale retienne leur responsabilité à travers des charges suffisantes. Alors, ils ont le droit d’inculper la personne mais être inculpé ne veut pas dire être coupable déjà. Toujours est-il que cette personne inculpée est présumée innocente jusqu’à ce qu’un jour une décision de justice qui est devenue définitive, dise que cette personne est coupable. Donc, la personne inculpée jouit encore de l’ensemble de ses droits. Il n’est privé d’aucun de ses droits civils et politiques. … voilà un peu comment les droits de l’homme se présentent. Mais pour celui qui ne comprend pas, il dira alors les droits de l’homme ne sont pas faits pour nous. Alors que quand les droits de l’homme sont faits pour des personnes qu’on poursuit, il est fait aussi pour les victimes. Donc, il suffit de faire la part des choses pour voir quelle est la solution face à une situation donnée.       

Interview réalisée par Richard TAMONE

In Le Démocrate

 

 

 

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