Censure

Un enseignant chercheur cloue le système éducatif guinéen au pilori (interview)

Linguiste de formation, Dr Morlaye Camara travaille pour le compte du  ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche scientifique, où il sert au Centre national de documentation, d’information pour le développement (Cendid). Dans cet entretien qu’il  a accordé à notre reporter, Dr Morlaye Camara, qui n’a pas sa langue dans sa poche, juge  le système éducatif guinéen, et pointe du doigt un dysfonctionnement, qui compromettrait l’avenir des enfants.

L’école guinéenne vient d’ouvrir ses portes. Vous avez certainement votre point de vue sur  le secteur   éducatif guinéen, notamment au niveau de l’enseignement pré-universitaire ?

Dr Morlaye Camara : Le système éducatif guinéen a un problème.

Qu’est-ce qui vous fait dire cela ?

Parce que la Guinée a opté pour un système d’enseignement qui a réussi à débrancher l’Etat. Lorsque nous observons, même pas en profondeur, on se rend compte que l’Etat n’assume plus sa fonction régalienne d’éducateur publique.

Comment, Dr Camara ?

Laissez-moi vous dire, qu’il ya des quartiers à Conakry, qui n’ont pas d’écoles publiques, même primaires. C’est un problème.

A vous entendre vous voulez dire que dans chaque quartier, il devrait y avoir une école publique ?

Normalement, il doit y avoir une école publique dans chaque quartier. Ce sont des citoyens de l’Etat aussi, et l’Etat ne peut pas les payer, sinon que de créer des structures leur permettant de s’instruire. Mais s’il ya des quartiers même dans la capitale qui n’ont pas d’écoles publiques, comment les tout petits peuvent s’embarquer pour aller faire 5 à 10 km pour se rendre dans les écoles. Il ya des risques avec  la circulation et les moyens manquent au niveau des parents pour assurer le transport de ceux-ci tous les jours. Sans compter ce qu’ils doivent avoir pour passer la journée. Il doit avoir des écoles de proximité, ne serait-ce que pour les débutants, l’école primaire au moyen suffit.

Justement, bon nombre de parents dénoncent souvent le payement des frais de scolarité, qu’ils jugent  très élevés. Et dans ce cas, certains souhaitent que l’Etat régule cela. Quel est votre point de vue là-dessus?

Vous savez ce problème d’écoles privées est arrivé dans les années  durant lesquelles la Guinée avait procédé à l’application d’un programme appelé PASE (programme d’ajustement structurel de l’éducation), qui s’est déroulé en trois phases. PASE I, PASE II, PASE III. Et à travers cela, la Guinée a reçu des appuis des partenaires étrangers pour que l’Etat puisse améliorer les conditions nécessaires d’éducation en procédant non seulement à l’amélioration des infrastructures scolaires, à la qualification des enseignants mais aussi à rehausser le niveau des élèves. Malheureusement qu’est ce qui est arrivé, au lieu que l’Etat investisse ces moyens pour faire face aux besoins du publique, il a plutôt autorisé la construction d’écoles privées. Les écoles privées se sont ouvertes à tous les niveaux et avec l’appui de l’Etat. Ainsi, au lieu que l’Etat les appui, pour qu’elles puissent s’installer, il les a plutôt entretenues. Il ya des écoles qui reçoivent des subventions de l’Etat de manière progressive, alors que l’Etat a lui-même ses écoles qui se détruisent à  chaque instant. Les reportages de la presse attestent cela. La dernière fois, on présentait  l’école Morifindjan Diabaté à Kankan, les enfants sont même à la fenêtre pour suivre les cours, à Kankan centre. L’Etat engage des milliards pour supporter les écoles privées. Pourquoi, c’est parce que la plupart des fondateurs d’écoles privées sont encore dans l’arène de l’Etat. Donc, tout ce qu’ils ramassent des caisses de l’Etat, ils investissent pour aller détruire encore la population, et c’est le drame encore qu’on voit dans ça. Ces écoles privées ne contribuent nulle part à l’amélioration de la qualité de l’enseignant, parce qu’ils n’ont pas d’enseignants titulaires. Ce qui fait que nulle part, ceux-ci ne sont engagés moralement pour fournir ici un système d’enseignement qui peut amener à l’enfant d’apprendre ce, dont il a besoin.

Qu’en pensez-vous du système LMD (licence-maîtrise-doctorat), au niveau universitaire ?

C’est un système contre lequel moi je me suis élevé dans les années 2006.

Pourquoi Dr Camara?

Parce que, c’est un système qui n’est pas compatible avec le niveau de vie économique de la Guinée. Le système LMD comme ils le disent licence-maîtrise-doctorat, c’est un système qui est propre aux pays industrialisés. Là, la main d’œuvre semi-qualifiée est demandée par des entrepreneurs ou par des entreprises naissantes. Celui qui a la licence, il peut interrompre sa formation à ce niveau, pour être recruté par une entreprise qui a besoin de son niveau de qualification. Maintenant au sein de cette même entreprise, ce licencié peut évoluer un an, deux ans, trois ans. La même entreprise va avoir besoin dans les domaines d’application de son licencier, quelqu’un qui a un niveau plus ou moins élevé. Donc, qui est au niveau de la maîtrise. Cette entreprise va mettre son licencié dans une disponibilité de formation. Il travaille le soir, il fait les cours la journée. En deux ans, il a sa maîtrise. Donc au lieu d’embaucher quelqu’un qui n’a jamais travaillé dans l’entreprise, qui a quand même la maîtrise, il préfère la qualification de leurs personnels jusqu’à ce que celui-ci arrive au niveau sollicité, et c’est comme ça qu’ils avancent.

Dr, il se trouve que ce n’est pas la Guinée seulement qui a opté pour le système LMD. A ce que je sache, quasiment la plupart des pays de la sous-région l’ont fait?

Il ne s’agit pas de voir parce que tel pays a opté. Il faut voir le niveau de vie. Est-ce que le niveau économique de la Guinée est au même titre que le niveau de vie des autres pays de la sous région. Au Burkina Faso, les étudiants se sont soulevés au courant de l’année 2014, et même cette année, ils se sont soulevés contre ce programme. Ils disent que c’est un programme qui n’est pas compatible avec les pays en voie de développement. C’est un système qui oblige les étudiants à quitter quand ils arrivent à la licence. Ils ne quittent pas volontairement, on les oblige à quitter. Maintenant ceux qui vont revenir pour faire la maîtrise, on les fait payer leur formation en maîtrise, alors que c’est en ce moment que l’Etat doit payer. Parce que c’est à la maîtrise qu’on doit faire la recherche. En licence, il n’y a rien, et c’est au niveau de la maîtrise qu’on a besoin des moyens pour faire des recherches, mais l’Etat n’accompagne pas.

D’aucuns estiment aussi que le niveau des enseignants est très bas ?

Ils ne sont pas professionnels, ce ne sont pas des enseignants formés dans les écoles pédagogiques. Beaucoup profitent de la création d’universités privées par leurs cousins, pour prendre la craie.

Et tout cela, au préjudice de l’avenir de la nation guinéenne ?

Mon frère, jusqu’à présent on n’a pas réussi un système administratif qui est prêt à préparer l’avenir de la Guinée. On ne veut pas entendre parler de la relève chez nous. C’est pourquoi dès qu’on découvre une possibilité à un niveau des générations qui montent, on crée un problème qui va détruire cela.

Vous dressez un tableau sombre de notre système éducation.  Mais certains pensent que ce sont des cadres guinéens même qui n’assument plus leur rôle?

Mon frère même si vous dénoncez et dans des conditions normales quand vous dénoncez, vous devez-vous attendre à une correction. Ou quand par exemple vous proposez des solutions, comme ce n’est pas vous qui décidez, vous ne trouverez jamais de répondant. Je vais vous donner tout à l’heure un texte qui a été jusqu’au bureau du chef de l’Etat. Main à main, au lieu de m’appeler pour en discuter, il l’a plutôt photocopié, et remettre l’exemplaire à chaque ministère de l’éducation.

Dans quel but ?

Je ne sais pas. Maintenant, ceux-ci m’ont répondu par écrit.

Peut-on avoir une idée de la réponse ?

Je ne peux même pas vous dire le contenu. Parce que la réponse n’a rien avoir avec ce que moi  j’ai écrit, et les trois, se sont réunis, et ils ont délégué un seul pour me répondre. C’est le porte-parole du gouvernement, qui m’a répondu par écrit, j’ai la copie à la maison. Ce texte là, a circulé dans toutes les divisions de l’éducation. Donc, je suis considéré comme la bête noire. Un animal à abattre. Mais malheureusement, une souris ne peut abattre un éléphant.

Qu’est-ce que vous voulez dire par là ?

Parce que je sais ce que je fais, ils n’ont qu’à tout faire, mais moi ils ne pourront pas m’avoir. Parce que moi, je n’ai pas appris par un coup de pouce. Partout où vous me voyez, c’est que j’ai transpiré pour être là-bas. Si tu prépares quelque chose contre moi, avant que tu n’arrives, je te vois déjà. Donc, je t’évite. C’est tout, il n’y a pas de confrontation. Je sais ce que tu veux déjà, donc je n’ai pas besoin que je me confronte avec quelqu’un qui ne sait même pas où il va, qui est guidé par un système, qui lui est  favorable aujourd’hui. Quand le système va changer, il disparait.

Pour remédier à cet état de fait, sur quel pilier les autorités doivent-elles  s’appuyer ?

L’Etat doit d’abord savoir comment estimer les besoins de la nation sur le plan éducatif. Depuis longtemps, presqu’on a détruit le système de l’enseignement professionnel. Tout le monde rêve que son enfant soit à l’université, et un diplômé universitaire est un ennemi de l’Etat. Formé, il sort en se disant diplômé sans emploi. Il devient rebelle, chaque situation de mouvement qui est là, il est dedans. Il veut profiter de cela pour se faire voir, même si c’est sur le plan négatif. L’Etat doit faire en sorte que les enfants puissent être orientés à partir d’un certain âge pour leur formation. Mais ici, tout le monde veut faire l’université. Je ne suis pas contre ça, mais il faut que ça soit sur un certain mérite. Quand vous voyez ce problème de bourse d’université, ceci devrait être plutôt orienté au niveau des familles qui veulent encourager leurs enfants à apprendre un métier. A partir de 16 ans l’enfant est physiquement et moralement mûr pour affronter un corps de métier, et l’apprendre. Maintenant s’il peut aller au-delà, il sait déjà que le métier qu’il pratique va lui apporter quelque chose pendant même la formation. Après cela, il peut s’orienter et devenir même créateur d’emploi. Parce qu’il pourra ouvrir son atelier. En plus de cela, l’Etat doit faire aussi l’inventaire des besoins. Il ne s’agit pas aussi là de faire ça à Conakry. Vous faites un inventaire des besoins en fonction des zones.

           Entretien réalisé par Richard TAMONE/ Le Démocrate

 

 

 

 

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