Censure

La gouvernance Alpha et la culture de la distraction (Par Mamadi Sitan Kéita)

Le philosophe et socio politologue américain d’origine allemande Herbert Marcuse, l’inspiration derrière  l’activisme réactionnaire  estudiantin des années 60, disait que « ….les crises devraient être des opportunités pour le peuple de mener des réflexions profondes pouvant conduire à des bouleversements importants; justement, les leaders  mettent à profit ces moments pour distraire le peuple… ».  En le disant il y a un demi-siècle, on peut penser que même ce génie de Marcuse était loin d’imager le degré de cynisme avec lequel la gouvernance Alpha utilise cette arme de distraction dans la Guinée d’aujourd’hui.

Vous vous rappelez quand, au hit de la crise d’Ebola qui avait poussé certains pays voisins à fermer leurs frontières à la Guinée, le Président guinéen avait pompeusement annoncé la pose de la première pierre de l’usine de transformation de produits agricoles au Foutah en décembre 2014 ? Souvenez-vous encore de la déclaration du même Président de faire de la Guinée le Singapour africain à l’horizon 2040 ? Qu’est devenu tout ce vrombissement autour de l’accord de 20 milliards de dollars américains avec les chinois ? Cette annonce, en fanfare,  qui s’était emballée dans la presse pendant plus de trois (3) semaines avant de s’émousser comme si de rien n’était.

La mode du jour est évidemment le classement de la Guinée parmi les cinq (5) pays les plus attractifs de l’Investissement Direct Etranger (IDE), sur un lot de 80 pays évalués. Tout comme dans le cas de l’accord avec les chinois, la nouvelle nous est parvenue depuis l’extérieur, tellement elle est importante. Plus précisément, elle nous est parvenue de Vienne –  ou peut être de Paris. Mais, qu’elle nous ait été relayée de Vienne ou de Paris, ceci n’est vraiment pas relevant. Ce qui importe, en revanche,  ce sont les Aspects majeurs, comme ils ont choisi de les appeler, sur lesquels repose cette reconnaissance de notre Guinée. En l’occurrence : les réformes entreprises dans le secteur minier et celles mises en œuvre à travers l’Agence de Promotion des Investissements Privés (APIP). On a l’impression qu’on ne vit pas sur la même planète que nos autorités. Réellement.

Pour le premier aspect, à savoir les réformes entreprises dans le secteur minier, s’il est vrai que la Guinée est devenue plus attractive, cela ne devrait guère surprendre. Si vous faites des reformes qui impliquent le bradage des ressources du pays, vous attirez évidemment les investisseurs.  L’accord portant sur les 20 milliards de dollars de ressources minières contre infrastructures avec les chinois en est l’illustration parfaite, si besoin était. En effet, au dire du Ministre des mines, le remboursement de ces 20 milliards de dollars va nécessiter au moins 5 milliards de tonnes de bauxite ; soit 4 dollars par tonne. Qui est fou pour ne pas saisir une telle opportunité si l’on sait que la tonne du même minerai peut être vendue à 35 dollars….Sans compter qu’étant du troc – oui je sais que ce terme choque nos autorités – il revient au chinois de réaliser ces travaux, créant ainsi un débouché pour les entreprises et la main d’œuvre du pays de Mao. La réforme a dû également donner cours à l’exploitation sauvage de nos ressources minières, en tout cas à en juger par les révoltes à répétition des populations riveraines  des zones minières dans les récents jours. Alors, j’invite les membres du jury de la Banque Mondiale, si tant est que c’est sous l’égide de cette institution que ce satisfecit a été décerné, de venir s’imprégner des réalités auprès de ces populations en première ligne des conséquences fâcheuses de l’exploitation sauvage de nos ressources.  C’est pourquoi, on est d’accord avec le Ministre Kassory sur un point, à savoir que la Guinée a fait mieux que chacun des pays voisins : de la Guinée Bissau à la Côte d’Ivoire, en passant par le Sénégal ; car aucun gouvernant de ces pays ne peut s’engager dans de telles folies. Seulement, en comparant la Guinée à nos voisins, qu’il se souvienne que notre pays fut classé suivant l’indice de développement humain 183è pays sur 188 en 2016, dépassé par ces pays voisins qu’il a pris le plaisir de dénigrer. D’ailleurs, parlant de dépassement, l’on peut également ajouter à la liste la Sierra Leone, le Liberia, la Gambie ; en fait tous les pays de la sous-région. La Guinée n’est-elle pas l’oisillon faible de la sous-région ?  Demandez au Président Alpha.

Pour le deuxième aspect, à savoir les réformes mises en œuvre à travers l’Agence de Promotion des Investissements Privés (APIP), il est clair que si la situation n’était pas si sérieuse, elle serait risible. En effet, les seules réformes citées à l’actif de l’APIP concernent l’allègement des formalités de création d’entreprise, à travers la disponibilité d’un guichet unique. Il est choquant de constater que nos autorités ne connaissent même pas l’immense rôle que doit jouer une agence dite de promotion des investissements privés, dont les formalités administratives ne constituent qu’une infime fraction. Que dire de l’assistance aux promoteurs potentiels dans la traduction de leurs vagues idées de projets en plans d’affaires banquables… Que dire de l’assistance à ces inexpérimentés promoteurs dans la recherche et l’obtention de financements adéquats…. de leur mentorat ou coaching pour la mise en place, le développement et la croissance de leur business…. L’APIP serait mieux avisée d’aller apprendre auprès de sa consœur tunisienne, l’API, avec ses 24 incubateurs, un dans chaque gouvernorat, pour conforter la place de la Guinée auprès de ce pays en matière d’attractivité des investissements, comme le classement semble l’indiquer.

Evidemment, ces déclarations intempestives ne sont pas innocentes. Deux sociologues américaines, Brendan Nyhan et Jason Reifler, commencent l’un de leurs articles avec une ligne largement attribuée à Mark Twain, à savoir que : « Ce n’est pas ce que vous ne savez pas qui vous crée des troubles ; mais plutôt ce que vous savez avec certitude et qui n’en est pas ainsi ». Poursuivant, ces deux auteures ont conclu que « Le plus grand obstacle au changement politique positif ne vient pas de ce que les citoyens ne sont pas informés ; mais de ce qu’ils sont désinformés ». Ces annonces en pompe de la part de nos dirigeants ont donc pour but de déstabiliser le jugement du peuple en vue de prendre le contrôle de son esprit. De le manipuler. De le distraire. De faire en sorte que celui-ci soit inapte à distinguer ce qui est vrai de ce qui ne l’est pas.  Dans leur bestseller intitulé ‘Art of the deal’’, l’art de la négociation, Donald Trump et son coauteur Schwartz s’y réfèrent comme l’hyperbole véridique : l’exagération et l’amplification de la vérité en vue de créer l’illusion et le fantasme.

Alors, Mr. le Président Alpha, si vous pensez, votre équipe et vous, que les guinéens ne vous comprennent pas, détrompez-vous… Car nous avons tout compris.

Mamadi Sitan Keita

Consultant International, Spécialiste du Développement Economique et Social

Email : mamasitank6@gmail.com

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