Censure

Droits de l’homme/Mamady Kaba dresse un état des lieux peu reluisant

Dans un entretien accordé à la radio City FM, jeudi dernier, le président de l’Institution indépendante nationale des droits de l’homme (INIDH) a fait le point sur son récent séjour en Chine, il a aussi abordé la situation des droits de l’homme, puis des élections communales à venir, sans oublier le procès du 28 septembre. Décryptage.

Vous avez pris part à Beijing en Chine, à un forum d’une importance majeure, puisqu’il portait sur les droits de l’homme sud/sud. Quel est le centre d’intérêt d’un tel forum dans un pays comme la Chine qui est décrié souvent comme étant aux antipodes des droits de l’homme ?

C’est une grande première ce forum, c’est l’une des plus importantes et l’histoire des droits de l’homme qui est en train de souffrir parce que, généralement la question des droits de l’homme a été toujours présentée comme quelque chose qui nous est imposé de l’Occident, et les pays du sud ont le complexe de prendre leur responsabilité, en s’abritant derrière les questions de néocolonialisme etc… aujourd’hui. C’était hier, présenté comme si vous ne voulez pas suivre le chemin de la démocratie, que vous ne voulez pas traiter avec l’Occident alors vous traiter avec la Chine. Mais aujourd’hui, je crois que la dynamique change parce que ça va vouloir dire que soit, aller avec l’Occident ou  avec la Chine, la question des droits de l’homme restera centrale. C’est le principal message que je retiens. Ça veut dire que quel que soit le chemin que vous allez emprunter, vous devez tenir compte du fait que les droits de l’homme sont une préoccupation centrale. Les pays du sud qui connaissent les pires formes de violations des droits de l’homme vont désormais s’approprier. La question va désormais composer avec la question des droits de l’homme, pour avoir une meilleure coopération sud/sud. Pendant le forum, à l’ouverture d’ailleurs, le président chinois a envoyé une lettre à l’Assemblée plénière, et un de ses conseillers a lu la lettre. C’était un engagement très fort. Dans cette lettre on peut retenir que la Chine souhaite désormais que sa coopération avec la coopération sud/sud profite largement aux populations. Que tout ce que les populations reprochent aux entreprises chinoises que cette image-là change. Ça je vous le confirme, il y a beaucoup de choses que les entreprises chinoises font dans notre pays qui ne sont pas en droite ligne avec les engagements du gouvernement chinois, en matière de coopération. Secundo, on a compris que toutes les informations ne remontent pas forcément au gouvernement chinois, il y a beaucoup d’intermédiaires, beaucoup de personnes qui sont présentées ici, mais qui ne sont en réalité que des intermédiaires, qui n’ont même pas accès aux patrons d’entreprises en Chine. Les gouvernements du sud s’abstiennent de certaines exigences pensant que ça va gêner le gouvernement chinois, or ils ont à faire avec des intermédiaires. Donc ils ont nécessairement besoin de poser des exigences, des conditions de respect de l’environnement, respect de droit de l’homme aux entreprises qui viennent, et c’est ce qui est en droite ligne avec les engagements du gouvernement chinois, et le gouvernement chinois n’a pas la capacité de contrôler toutes ces petites entreprises qui sont dans notre pays.

Quand on sait que l’un des rapproches que les occidentaux font aux Chinois, c’est que la Chine investit, elle appuie les pays africains, mais la Chine n’est pas regardante en matière de droit de l’homme et démocratie ?

C’est vraiment ce message que la Chine veut projeter au monde. C’est cette nouvelle image que la Chine veut projeter et différemment, c’est-à-dire que ce sont les pays du sud qui se retrouvent dans les panels, les personnalités de divers horizons. Il y en avait 300 personnalités de haut niveau et 70 pays à travers le monde. Donc c’était une opportunité d’exprimer leurs préoccupations en matière des droits humains, de coopération ou de développement, et ces recommandations sont consignées dans un mémorandum.  La coopération sud/sud ne sera désormais vue comme quelque chose d’imposé par l’Occident ou par la Chine, mais plus c’est un consensus entre les pays du sud qui s’approprient des questions de droits de l’homme.

Est-ce que la Chine pour le moment estime que le seul droit qui vaut c’est le droit au développement. Est-ce que, ce droit au développement implique les autres droits auxquels nos démocraties sont confrontées aujourd’hui en Afrique ?

En intervenant dans cette manière, la Chine veut aussi montrer au reste du monde que la question des droits de l’homme peut prendre diverses formes. Mais quand vous prenez le droit à l’éducation par exemple, le droit au développement comprendre le droit à l’éducation, le droit… En un mot c’est un droit générique qui prend en compte tous les aspects. Le discours du gouvernement chinois a été très clair, en disant que la Chine a un modèle de développement politique, économique, social, la Chine ne souhaite pas imposer à un autre peuple, et elle n’est plus disposée à recevoir de leçons de quelqu’un d’autre. C’est-à-dire que chaque peuple définit son propre chemin et dans la coopération sud/sud respectera le choix de chaque peuple.

Quand vous parlez du choix opéré par la Guinée, vous avez relevé ici une astuce entre la vision des gouvernements et celle des sociétés civiles. Alors, dans ce cas de figure, est-ce que l’État chinois doit tenir compte de la seule ligne de conduite du gouvernement qui  parfois ne tient pas compte des préoccupations profondes des populations ?

En mettant la préoccupation des droits de l’homme au centre de la coopération sud/sud, les pays du sud acceptent une certaine condition. Je ne fais pas partie de ceux qui croient que la Chine doit se battre pour les peuples, la Chine naturellement va coopérer avec les gouvernements et les peuples travailleront pour faire en sorte que les gouvernements soit la véritable émanation des peuples. Je vais vous dire, ce qui était possible il y a cent ans, n’est pas possible aujourd’hui, ce qui sera possible en 2017, ne sera pas possible en 2020… Ça veut dire que, de plus en plus les peuples seront exigeants et les gouvernements seront obligés de tenir compte de la volonté de leur peuple, parce que les jeunes seront de plus en plus des jeunes dynamiques et actifs, qui ne se laisseront pas faire, pour qu’on  leur dicte la vie qu’ils doivent mener.

Donc c’est à nous jeunes ou populations d’imposer à nos dirigeants d’être le reflet de nos aspirations pour que la Chine se colle à ces aspirations ? 

Exactement, la Chine va travailler avec les gouvernants. Les peuples doivent exiger et travailler pour que les gouvernants soient de l’émanation du peuple. Le gouvernement travaille pour le peuple. Si les jeunes n’ont plus d’opportunité dans leurs pays, et  aller chercher mieux ailleurs devient impossible, alors ils se battront pour obtenir ce qu’ils veulent dans leurs pays. Ça, ça ne sera pas facile pour les gouvernants qui devront faire en sorte que les jeunes se sédentarisent dans leurs pays. Cela demande un changement de politique publique, une réorientation de la politique publique en faveur du développement de la jeunesse.

Aujourd’hui on pourrait être tenté de dire que l’affaire est dans le sac, puisque le président a convoqué le corps électoral le 04 février 2018. Est-ce que vous êtes de cet optimisme qui voudrait que plus rien ne va arrêter la marche vers le 04 février 2018 ?

Je pense que la tenue des élections relève de la responsabilité à plusieurs niveaux. La CENI a pu faire un chronogramme, c’était du devoir de la CENI, et le président de la république a convoqué le corps électoral qui était de son devoir. Alors, les deux conditions principales, les deux obstacles principaux ont été levés. Ces élections revêtent une nouvelle forme. Elles sont un peu complexes… C’est une nouvelle expérimentation, nous sommes en train d’expérimenter un nouveau processus pour doter notre pays de dirigeants locaux. Mais je pense qu’aujourd’hui, il y a quelques défauts qui ont été identifiés, notamment au niveau administratif. Notre pays, la majeure partie des pays africains d’ailleurs, à des degrés différents, ont ce problème administratif. Par exemple, les casiers judiciaires pour ceux qui sont nés à l’intérieur du pays, chacun doit aller chercher là où il est né, alors qu’il y a des citoyens qui n’ont pas d’extrait de naissance, depuis leur naissance.

C’est ce qui fait qu’on a des difficultés pour le dépôt des candidatures.  Il est important que le président de la CENI prenne une décision pour rappeler à tous les démembrements de la CENI, la responsabilité et la neutralité dont ils doivent faire preuve, et l’équité face au traitement de tous les candidats. Il faut que des efforts soient fournis au niveau de la CENI et du gouvernement pour maintenir l’enthousiasme et faire en sorte que cette bonne ambiance se poursuive, jusqu’à la fin des élections, et à la proclamation des résultats.

Qu’est-ce qui vous a retenu en tant qu’institution, ou gardien du droit en Guinée en 2017 ? 

Vous savez la question des droits de l’homme en Guinée a été une priorité depuis la transition la plus reculée, le renforcement de la démocratie notamment par le billet de renforcement des acquis en matière de liberté, des droits civiques et politiques. Mais le défi reste très important. La liberté de la presse a pris un coup cette année par rapport à l’année dernière, car cette année on a eu des journalistes violentés, les vindictes populaires se sont accrues, il n’y a pas eu une intensification. Par exemple les vindictes populaires que nous avons connues en 2016 sont plus nombreuses que celles que nous avons connues en 2017. Ça veut dire que la courbe est en train de descendre, ce qui est positif. L’absence de confiance entre les citoyens et la justice à cause de toutes les difficultés d’accès à la justice et beaucoup d’autres facteurs liés à la corruption et l’absence d’éducation civique de la population. Je pense que les redevances que les médias publics doivent à l’État doivent être revus en baisse et aussi il faut que l’État fasse un échange avec la presse, à travers une éducation civique de la population, pour le long terme, de lutter contre les exclusions, à éduquer les populations pour que pendant les manifestations les édifices publics et privés ne soient pas saccagés. Ça c’est le travail que les médias doivent mener, en échange d’une partie des redevances qu’ils doivent à l’État, et cela permettrait de renforcer les acquis que nous avons. Aujourd’hui, l’opposition et la société civile doivent exercer des pressions sur le pouvoir pour obtenir le renforcement de cet acquis, parce que c’est une nécessité impérieuse.

On a cru cette année bénéficiera d’une sorte de bol d’air, en matière des droits de l’homme à travers un procès qui nous a été promis, celui du 28 septembre. Puisque le ministre de la Justice disait que courant 2017, ce procès s’ouvrirait. Est-ce que ce n’est pas un rendez-vous manqué devant encore renforcer le sentiment que les droits de l’homme ont du chemin à faire en Guinée ?

Le procès du 28 septembre, reste le défi le plus important en matière des droits de l’homme pour la Guinée. Pas seulement pour la Guinée mais pour toute l’Afrique entière. Vous avez aujourd’hui, beaucoup de dirigeants africains sont très hostiles à la cour pénale internationale, parce qu’ils voient en cette cour un moyen pour l’Occident de sanctionner les présidents récalcitrants d’Afrique. En même temps, on ne fait rien pour aider les peuples à accéder à la justice dans les grands dossiers. Quand la Guinée aura réussi à donner l’exemple dans ce dossier du 28 septembre, en organisant un procès digne du nom, et qui donnera satisfaction aux victimes et l’ensemble du peuple de Guinée, cela projettera une nouvelle image de l’Afrique. Ça donnera l’image d’une Afrique capable de réussir là où on la croit incapable.

Une synthèse de Moussa Thiam (Le Démocrate)

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