Censure

Calvaire : Une nuit à la maternité de Donka

J’ai fréquenté plusieurs fois  par le passé le centre hospitalier universitaire de Donka soit pour y accompagner un malade soit pour une visite. J’y ai même été par trois fois garde-malade pour des parents. Le CHU de Donka ne m’est  donc  pas étranger, quand j’entends parler des problèmes récurrents qui gangrènent la gestion de cet hôpital, je ne m’étonne  pas le moins du monde, je m’en gausse en maugréant : « Qu’est- ce qu’on peut faire face à cet état de choses, il faut juste souhaiter ne jamais avoir à s’y rendre ? » Malheureusement ce souhait n’est parfois pas exaucé, et nous nous retrouvons à Donka pour tel ou tel problème.

C’est ce qui m’est arrivé le mois dernier quand ma femme en état de famille est arrivée à terme. Habituellement nous nous dirigeons dans l’un des centres de santé les plus proches de la maison, mais la raison du choix est moins  la distance à parcourir  que la nécessité de recourir à une parente sage- femme qui travaille dans le centre où l’on va. L’expérience de l’administration guinéenne nous enseigne que pour nous prémunir contre le mauvais service d’un agent de l’administration publique ou privée mieux vaut recourir à un parent ou un ami. En tout cas le fait d’être Guinéen ou de payer les services rendus ne suffisent  pas pour obtenir satisfaction, la pratique du serment d’Hippocrate a presque perdu tout son sens  dans nos centres hospitaliers.

Ma femme part donc un mardi soir pour la maternité du camp Alpha Yaya son centre habituel, elle est suivie par sa mère qu’elle a fait venir du village une semaine avant et par sa tante voisine de quartier. J’attends un coup de fil toute la nuit qui m’aurait annoncé  l’heureuse nouvelle de la délivrance, en vain. Je m’y rends le matin pour déposer le petit- déjeuner, j’y retourne deux autres fois dans la journée mais aucune bonne nouvelle ne tombe. Le soir vers 18 h l’oncle de ma femme reçoit un appel lui disant que la maternité du camp a décidé de transférer ma femme à Donka parce que tous les signes indiquent une césarienne. Me trouvant subitement face à un problème auquel je ne suis pas habitué, je suis pris par un début de panique. Je mets en poche une somme de 3.000 000 de francs guinéens que je prélève sur mon perdiem d’une mission en instance à  l’intérieur du pays. Quelle  drôle de chance que d’avoir de l’argent sous la main en pareille circonstance !

L’oncle de ma femme et moi -même nous nous précipitons au camp Alpha Yaya à bord du taxi de son fils. La maternité nous remet le papier de transfert, nous prions qu’on nous fasse accompagner par une sage – femme qui nous faciliterait les démarches auprès des médecins de Donka. Celle-ci est désignée par son chef et nous nous embarquons tous pour le CHU. Par souci de réduire  les dépenses nous ne déplaçons pas un second taxi, alors nous souffrons de la surcharge à bord du véhicule, mais le plus difficile à supporter c’est les embouteillages qui rendent le temps de parcours affreusement long. Nous arrivons quand même à destination dans les cours de 19 h et c’est un autre problème qui nous attend, où trouver les médecins de garde ? Pendant que notre sage-femme cherche de bureau en bureau, je téléphone à mon neveu, médecin dans la région de Kindia, pour lui dire de nous recommander  à ses camarades avec qui il a eu à travailler avant sa mutation, il me répond de lui donner le contact de n’importe lequel des médecins de garde. Je m’adresse à une dame du personnel qui me dit qu’aucun médecin n’acceptera de me donner son nom ou son contact, « chacun a peur pour sa tête, ajoute-t-elle, depuis la mort survenue le mois dernier dans cette maternité qui avait fait l’objet de battage médiatique suivi de sanctions administratives. »

Notre sage-femme finit par découvrir un  médecin de garde qui reste inaccessible à nous accompagnateurs, elle nous propose de la laisser négocier les frais de l’intervention chirurgicale. Je hasarde  que la césarienne est gratuite, tout le monde me crie de ne pas parler de  gratuité de la césarienne à moins de mettre en péril la vie de ma femme et de son enfant. Les discussions finissent autour d’un montant de 350 000 francs guinéens. Je paie dans les mains de la sage-femme qui reviendra une heure trente après avec un garçon dans les bras  et nous demandera  de la suivre  au centre de nutrition juste en face pour quelques petits soins. Une ordonnance tombe et je cours à la  pharmacie d’urgence de l’hôpital, le produit ne s’y trouve pas, je ne le trouverai qu’après avoir parcouru trois pharmacies privées. Notre gentille sage-femme nous prend enfin congé et je lui dis grand merci en lui offrant  50.000 francs pour le taxi. Une autre femme en blouse blanche me conseille de chercher dans les salles d’hospitalisation aux premier et deuxième étages un lit libre pour ma femme avant qu’on la sorte du bloc opératoire. Ce conseil me peine parce que pour moi c’est le travail du personnel  de trouver une place pour un patient, mais je n’ai  le choix que de m’exécuter. Je tâtonne dans des escaliers non éclairés, tape à plusieurs portes avant de découvrir une place libre qui sera un peu plus tard changée grâce à l’intervention de mon neveu arrivé précipitamment de Kindia et qui a rencontré un de ses camarades de promotion parmi les médecins de garde.

Ma femme est sortie du bloc opératoire vers zéro heure, elle est assise presque inconsciente dans un fauteuil roulant, mon neveu, son camarade et un garçon de salle l’amènent délicatement rejoindre son enfant dans son lit d’opérée. Tout le monde se retire, je reste avec ma belle-mère et la tante de ma femme, les deux étalent une natte au pied du lit et s’installent, moi je m’étale sur un banc à la véranda  où je cherche désespérément un brin de sommeil. Les moustiques me dévorent comme un gibier à la merci d’une meute de carnassiers. Une nuit anormalement longue qu’une mission à l’intérieur du pays m’évite de subir une seconde fois.

Je rentre de mission au bout d’une semaine et coïncide avec le rendez-vous du médecin pour enlever les fils. Je peux enfin souffler ouf !  Après la tempête de frayeur qui m’a saisi le premier jour. Je voudrais jurer sur tous les dieux qu’on ne me reprendra plus dans les couloirs de Donka, mais la sagesse me met en garde de ne jamais jurer de rien, car qui peut dire ce qui adviendra demain ?

                                                                        Walaoulou BILIVOGUI (Le Démocrate)

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