Censure

Et pourtant, la Guinée n’a jamais apporté un appui quelconque à la rébellion casamançaise (opinion)

Conakry, samedi 23 mars 2013. Sénégal-Angola, 35.000 supporters guinéens sont présents pour soutenir… les Lions de la Teranga ! Conakry vibre depuis plusieurs jours au rythme endiablé du Mbalax sénégalais, le tricolore guinéen s’est enrichi d’une étoile. Les Sénégalais, ce sont nos parents. Les Angolais ? Ils sont bien gentils mais on choisit sa famille d’abord en pareilles circonstances, s’entend-t-on dire dans les rues.

Depuis plus de 4 mois, Conakry et Dakar filait le parfait amour. Macky Sall, le tombeur du vieux Gorgui, était à Conakry le 16 décembre 2012 pour une visite d’Etat. Il en repartira quelques jours plus tard avec le soutien clair de la Guinée pour un siège de membre non permanent au conseil de sécurité des Nations-unies. Dans les télécommunications, Orange-Guinée, filiale d’Orange-Sénégal, est le numéro I local. Sur l’énergie, on s’entend sur le barrage de Sambagalou à la frontière commune. Tout semble aller pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles.

18 mois plus tard. Le Sénégal lui rend sa monnaie, et quelle monnaie ! Fermeture des frontières, ostracisme et stigmatisation des Guinéens vivant au Sénégal, appel à la haine et la xénophobie. Que s’est-il passé, dites-vous ? Ebola est passé par là.

Le Sénégal interdit les escales techniques aux compagnies aériennes en partance ou en provenance de Conakry, interdit aux navires en provenance de Conakry d’accoster dans son port. Interdiction formelle à tous citoyens guinéens de rentrer au Sénégal, interdiction à toute personne ayant mis les pieds en Guinée d’entrer au Sénégal avant 42 jours. Pire, les autorités sénégalaises interdisent l’atterrissage sur leur sol des avions des Nations Unies en provenance de la Guinée. Les conventions internationales ? On en a cure. Passant outre les accords dans le cadre de la CEDEAO, les appels de l’OMS, de l’ONU, des Gouvernements et des ONG, le Sénégal est devenu l’exemple parfait de l’Etat-intérêt et contribue à l’affaiblissement de la lutte contre Ebola.

Les conséquences sont dramatiques pour la Guinée, le Libéria et la Sierra Leone, l’appui à la riposte contre Ebola étant au point mort car on le sait un peu moins, Dakar abrite l’essentiel des bureaux régionaux des organisations internationales et des ambassades des grandes puissances qui couvrent la Guinée (Canada, Belgique, etc.). Dakar est aussi le point de transit naturel de toute aide logistique vers les pays touchés. Ainsi sachant qu’une visite en Guinée équivaut à un bannissement de 40 jours dans ce pays, les intéressés se désistent ou cherchent des trajets impossibles qui retardent l’aide.

Le calvaire du citoyen guinéen est encore plus cruel. Paroles insensées, supputations, railleries et menaces sont devenues le quotidien de ces pauvres « importateurs d’Ebola ». La stigmatisation concerne même les enfants car les Sénégalaids interdisent à leurs rejetons de jouer avec leurs amis guinéens.

Chasse à l’homme, stigmatisation, railleries, les Guinéens subissent tout parce que considérés comme des pestiférés voulant importer Ebola au Sénégal. Mais pour des raisons d’intérêts partagés entre le Sénégal et la Guinée, pour des raisons historiques de liens d’amitié et de fraternité entre nos deux peuples, pour le fait que trois millions et demi de nos compatriotes sont établis au Sénégal, certains depuis plus de 50 ans, la retenue, le refus de céder à la provocation prévaudront toujours en Guinée.

Et pourtant, contrairement à d’autres pays, la Guinée n’a jamais apporté un appui quelconque à la rébellion casamançaise qui secoue le Sénégal. Nos deux pays sont condamnés par l’histoire et la géographie à vivre ensemble. Ils atteindront le développement ensemble ou ne l’atteindront pas. Les politiques hasardeuses qui font les malheurs actuels des populations sont à bannir à jamais et les hommes politiques doivent cultiver les vertus de cette maxime : «qui aime son peuple, aime les autres peuples». Toutefois, avec certaines sorties hasardeuses, la patience pourrait atteindre son paroxysme en Guinée. Il serait alors moins sûr de manger le Tchep Djen (riz sénégalais au poisson) ensemble.

B.C.

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