Censure

FSOA, Dialogue, Immigration: Dr Dansa Kourouma pousse un coup de gueule

Dr Dansa Kourouma, président du Conseil national des organisations de la société civile guinéenne (CNOSCG) ne cache pas sa déception de la classe politique guinéenne, dont les préoccupations seraient simplement électoralistes, selon lui. Il espère que le Forum Social Ouest Africain qui a ouvert ses portes ce mercredi à Conakry, soit une opportunité à saisir pour les Guinéens, de se ressourcer, grâce au panel d’experts triés sur le volet qui auront à intervenir durant ces travaux. Entretien.

Bonjour Dr Dansa Kourouma. Le Forum Social Ouest Africain s’ouvre demain mercredi à Conakry. Que  peut-on attendre de cette importante rencontre sous régionale?

Dr Dansa Kourouma : Ecoutez, le Forum social, c’est la plus grande retrouvaille des acteurs de la société civile au niveau africain.  Comme il doit se tenir à Montréal au Canada,  le Forum Social Mondial, le premier enjeu c’est que les pays africains se retrouvent dans un pays pour harmoniser leurs positions qu’ils doivent défendre lors du Forum Social Mondial ; parce que le Forum Mondial, c’est une représentation continentale. Donc l’Afrique vient avec ses préoccupations, qu’elle soumet à l’appréciation des autres continents. Donc c’est beaucoup plus basé sur l’équilibre des continents, l’équilibre entre les pays développés et les pays moins avancés. L’autre réalité c’est que le Forum Social, c’est l’Afrique qui est plus concernée par ce Forum Social. Pourquoi c’est les terres africaines qui sont spoliées, c’est parce c’est les terres africaines qui sont accaparées par les multinationales occidentales. C’est parce que c’est l’Afrique qui détient la matière première pour l’exploitation minière, c’est parce que c’est l’Afrique qui détient des plaines cultivables par millions d’hectares. Aujourd’hui l’Occident n’a plus des moyens pour son développement économique. Ils font face à l’Afrique pour les ressources naturelles, les ressources du sol et des ressources hydriques. Donc si l’Afrique ne sait pas l’impact de ses exploitations sur l’avenir des générations,  c’est que dans quelques décennies la vie sera impossible dans ce continent. L’Occident viendra puiser les combustibles de son développement économique. En Occident il n’y a plus en dehors des taxes, il n’y a plus des ressources minières. Une autre réalité au point de vue de réchauffement climatique, c’est l’Afrique qui est considérée comme un puits de carbone pour le monde parce que l’Afrique c’est le continent le moins spolié par rapport aux pays développés. Donc si on ne prend pas garde c’est que  le monde sera impossible si l’Afrique n’existe pas et pour que l’Afrique existe, il faut créer les meilleures conditions pour pérenniser nos ressources naturelles. Du point de vue de la crise migratoire, le Forum Ouest Africain va aborder aussi la crise migratoire parce qu’il y a combien d’Africains qui meurent dans les océans, il y a combien d’Africains qui sont maltraités en Occident. Et il se trouve que c’est l’Afrique qui assure le développement de l’Occident, c’est aussi paradoxal et on ne veut pas nous recevoir sur les terres occidentales. Si on ne prend pas garde les nouvelles générations ne vont pas avoir confiance à l’autorité africaine, et ça va être une situation de déséquilibre qui va déstabiliser profondément le continent africain, qui l’est déjà parce que les guerres les plus meurtrières c’est sur le continent africain.  Les rébellions les plus sauvages, c’est sur le continent africain, l’instabilité politique réelle c’est sur le continent africain.

Si la désunion de l’élite ou la déchéance de l’élite jeune surpasse les institutions africaines, l’Afrique sera un continent où on ne peut plus gouverner. C’est pourquoi nous acteurs de la société civile, on est très vigilants, parfois très vicieux, face à ce rapport entre Occident et l’Afrique mais face aux rapports entre les différents pays  du continent africain, l’intégration ouest africaine quand on en parle, c’est les discours, c’est les mots. Les Guinéens sont maltraités dans les pays de l’Afrique de l’Ouest et vice versa. Donc la crise migratoire est une conséquence de la crise d’emploi des jeunes africains. La crise migratoire est une conséquence de l’exploitation déséquilibrée des ressources africaines qui ne profitent pas au développement de l’Afrique mais qui profitent au développement d’autres continents, et la jeunesse qui a besoin de ces ressources pour trouver du travail ne parvient pas à trouver du travail. Donc elle tente des aventures périlleuses  au prix de leur vie. Donc il faut repenser les relations entre l’Afrique et l’Europe, entre l’Afrique et l’Amérique pour que les jeunesses africaines se trouvent dans une position d’espoir parce que sans espoir le suicide c’est l’arme, c’est l’unique alternative quand quelqu’un n’a pas  d’espoir, elle se suicide.

S’il n’y a pas d’espoir, la vie n’a pas de sens. Parce qu’on espère être riche, parce qu’on espère être chef, parce qu’on espère survenir à ses besoins, qu’on a des ambitions qu’on peut vivre. C’est parce qu’il y a l’espoir du paradis que les gens font du bien, c’est parce qu’il y a l’espoir qu’il  a l’enfer que les gens évitent le mal. Donc s’il n’y a pas d’espoir pour la jeunesse africaine, je crois que le continent africain sera un continent qui sera profondément menacé de disparation. Des disparations sociologiques, des disparitions politiques et des disparitions économiques. Donc le débat de fond sur le forum social pour préparer la nouvelle génération à ces analyses, des analyses acteurs mondialistes, des analyses sociales, de repenser le paradigme du développement et les relations entre l’Afrique et l’Occident. Il se trouve que c’est la Guinée qui a eu l’avantage d’abriter cette rencontre cette année. Les mouvements sociaux africains se rencontreront en Guinée pour mieux analyser et produire un document qui sera présenté à Montréal.

Un autre angle, qu’est-ce que ça va amener à la société civile guinéenne. Si le Burkina Faso, le Sénégal, le Mali, le Niger  se mobilisent en Guinée, les sociétés civiles de ces pays se mobilisent en Guinée, c’est pour aider à créer un climat d’échange entre eux et la société civile guinéenne sur des questions africaines, sur des questions nationales. La société civile guinéenne bat de l’aile, elle a des problèmes, des problèmes profonds parce qu’après les problèmes de 2007 suivis par les événements du 28 septembre 2009 ; ça a créé un enthousiasme,  pour la création d’organisations de la société civile et l’enthousiasme là est en train d’être compromis aujourd’hui parce que les acteurs qui ont voulu créer des ONG avaient d’autres intérêts, c’était d’accéder  à des postes de responsabilités sans militer dans un parti politique. C’était pour recycler des cadres politiques qui n’avaient plus d’agenda. Alors si on ne se retrouve pas pour débattre de l’ensemble de ces questions, aujourd’hui le mot le plus répandu dans le paysage de la société civile, c’est plateforme. Mais combien de plateformes devraient être plateformes ; ce n’est pas une question de fond. Quand une association des jeunes se crée aujourd’hui 7 à 10 personnes, ils disent une plateforme. Quand une ONG normale se crée, on dit, on s’appelle plateforme. Pour être une plateforme, il faut regrouper plusieurs structures faitières et être décentralisé de la base au sommet et avoir une assise institutionnelle qui vous permet d’appréhender tous les problèmes du pays. Donc aujourd’hui, il faut poser ce débat sur la table et comme notre confrère ….. comme d’ailleurs du Sénégal, Miriam Diouf sera là, c’est lui qui aura l’occasion d’animer le panel sur la société civile, sa définition, ses valeurs, ses principes pour que la société civile guinéenne puisse comprendre que tout le monde n’est pas plateforme, tout le monde n’est pas réseau, tout le monde n’est pas faitière, tout le monde n’est pas ONG. Un autre impact, c’est les thèmes qui seront débattus lors du forum. Il y aura 24 thèmes, des thèmes sur la question économique, les questions de dettes , le thème sur le réchauffement climatique et son impact sur le développement de l’Afrique, les thèmes sur l’accaparement des terres en Afrique au détriment des femmes et des jeunes, la crise de l’éducation en Guinée, la crise sécuritaire en Guinée, la crise politique en Guinée, ces questions seront débattues lors du Forum, à travers des panels qui seront animés par des experts africains, par des universitaires chercheurs guinéens. Donc ça veut dire 24 ateliers en trois jours, c’est une opportunité pour les jeunes guinéens, pour les acteurs de la société civile pour les médias et mêmes les hommes politiques de se ressourcer. Parce qu’en Guinée on ne fait pas beaucoup de débats, le débat qui se fait dans les radios, c’est des débats politiciens, c’est des débats ostentatoires, c’est des débats qui ne sont pas basés sur des analyses, sur la maîtrise du sujet qu’on discute. Mais c’est le repli identitaire, c’est le positionnement politique qui détermine l’angle d’intervention des gens sur les médias. Donc nous on donne l’opportunité aux Guinéens de discuter entre eux, de discuter avec le gouvernement, de discuter avec le PTF et de discuter avec les autres pays pour qu’au sortir du Forum, les questions qui sont des préoccupations pour les citoyens guinéens soient mieux analysées, soient mieux raffinées avec un certain recule, parce que les panels seront animés par des étrangers. C’est très, très, très important si l’arbitrage est bien fait. L’Afrique de l’Ouest a le même problème, peut être les pays se dépassent au virgule près mais les pays de l’Afrique de l’Ouest, la plupart des crises sur le continent africain, c’est en Afrique de l’Ouest, les crises les plus meurtrières sur le continent africain, le plus grand nombre c’est en Afrique de l’Ouest, et il se trouve que l’Afrique de l’Ouest, c’est la sous-région la plus riche mais la sous-région la plus instable politiquement. En dehors du Sénégal, quel est le pays de l’Afrique de l’Ouest qui n’a pas connu des crises ? C’est le Ghana qui est un pays anglophone alors 2/14 pays. Même le Sénégal a connu sa crise constitutionnelle avec Wade mais cette crise a été résolue grâce à la maturité du peuple sénégalais. Alors nous voulons créer une opportunité pour que les Guinéens au-delà des marches, au-delà des discours ethnicités, qu’on ait une opportunité de  débattre sur l’avenir de l’agriculture en Guinée. Qu’on revoit la politique d’employabilité du gouvernement guinéen, qu’on voit les questions de gouvernances guinéennes, la gouvernance foncière, qu’on voit les questions culturelles, l’impact du TUC sur la culture du continent Africain. Alors ces thèmes sont importants pour la société civile,  d’avoir une analyse cohérente et par conséquent un discours cohérent, si on n’a pas une analyse cohérente, on ne peut pas avoir un discours cohérent. C’est pourquoi Aminata Traoré du Mali, ancienne ministre de la Culture, qu’on connait à travers le continent africain, c’est pourquoi Demba Dembélen du Sénégal, c’est pourquoi les Ama Essi du Togo, les grands syndicalistes, des grands acteurs de la société civile, des acteurs mondialistes se retrouveront en Guinée pour débattre l’ensemble de ces préoccupations et sortir des recommandations pour la Guinée, pour la sous-région, et pour l’Afrique avant le Forum Social Mondial.

Il y aura des panels spécifiques qui concernent le mouvement social Guinéen, son histoire, son évolution, son positionnement actuel pour qu’on puisse renforcer l’unité d’action entre les plateformes de la société civile. Le Forum aussi c’est pour mettre tout le monde ensemble pour qu’on apprenne à discuter et à trouver des alliances stratégiques autour des problèmes du pays.

Puisque vous avez parlé de marche, que pensez-vous de la menace de l’opposition de reprendre ses manifestations, maintenant que le ramadan est terminé?

Je pense que face à cette menace de marche, le gouvernement a pris le taureau par les cornes pour convoquer les acteurs à un dialogue politique le jeudi. J’ai l’impression qu’on ne demande le dialogue que quand il y a des menaces, c’est pourquoi l’opposition maintenant en fait son cheval de bataille. Même si elle sait pertinemment que les marches non pas fait avancer la démocratie en Guinée. Par contre, elle a contribué à endeuiller les familles, elle a contribué à opposer les Guinéens et à radicaliser le pouvoir. Donc je crois en lieu et place de la marche, les Guinéens ont besoin de dialogue mais un dialogue sincère. Il y a un problème, c’est une occasion  pour moi de le  dire sur votre média. Les politiques africains ne sont pas accessibles aux cris de cœur du peuple qui les a élus, d’une manière globale. Ils refusent d’écouter le peuple et pourtant quand on veut avoir le soufrage du peuple, on promet tout et la classe politique est devenue vendeuse d’illusions, vis-à-vis de la population africaine. Il n’y a plus d’alternative  politique pour le problème de la population africaine, il faut une alternative citoyenne, il faut que les citoyens guinéens prennent conscience du problème de retard du pays et décident de se mettre au travail mais dans une communion d’idées,  d’actions. Les fossés virtuels fabriqués qui existent entre nous, entre les ethnies, les régions ne sont pas réelles. Si nous sommes tous croyants, on dit à l’au-delà, il n’y a pas d’ethnie, il n’y a pas de race, il n’y a pas de couleur. Si on était des vrais croyants pourquoi cultiver l’ethnie entre nous si on était des vrais croyants, ça veut dire notre croyance a des limites, parce que si on s’inspire sur le jugement dernier, personne ne sera classé en fonction de son appartenance ethnique, les gens seront classés selon ce qu’ils ont fait dans ce monde ici-bas. Je demande aux religieux guinéens de prendre leurs responsabilités parce que nous sommes religieux à 90 /100 pour ne pas dire à 100/100. Mais il y a des valeurs de solidarité prônée par la religion dont on ne tient pas compte. Donc permettez de vous dire je demande à l’opposition de saisir la main tendue du ministre pour le dialogue et que toutes les revendications soient mises sur la table mais il est regrettable que les revendications de la classe politique africaine d’une manière globale, guinéenne particulièrement soient des revendications électoralistes. On ne fait jamais de débat sur l’agriculture, on ne fait pas de débat sur la dette, on ne fait pas de débat sur la croissance économique, on ne fait pas de débat sur l’emploi, sur l’environnement, sur la culture, sur l’histoire du pays  pourtant quand on parle de politique, les débats c’est sur les questions réelles. Si le débat c’est contrôler la conquête, l’exercice du pouvoir, c’est que le débat politique est biaisé. Oui ! Je suis là, je veux que vaille que vaille rester, ôtes-toi, je me mets, c’est un débat comme ça. Les questions réelles qui assaillent la population ne sont pas un sujet de préoccupation pour la classe politique guinéenne.

L'indépendant

Entretien réalisé par Alpha Amadou  et Sadjo Diallo                                   

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