Censure

Gouvernance et budget : Les graves accusations d’un député

Dans cet entretien accordé à notre reporter, l’agroéconomiste Dr Alpha Mamadou Baldé, député, membre de la commission ressource naturelle, environnement et  développement durable flétrit la manière dont le budget est alloué aux ministères. Et le manque de lisibilité dans le fonctionnement de ces départements. Le député ouvre également une brèche sur la gestion des ordures dans la cité.

Honorable, la ville de Conakry est sale. Cela n’affecte-il pas l’image de notre pays, à votre avis?

Dr Alpha Mamadou Baldé : Il faut dire d’abord que c’est une question de mentalité, ce n’est pas seulement l’Etat. Regardez les routes, des citoyens qui se lèvent nuitamment, pour venir déposer les sacs d’ordures le long des routes, par exemple de Bambéto à Wanidara, il n’y a que des sacs d’ordures. Le Guinéen ne considère pas la chose publique, ça c’est grave. On n’a aucune considération pour la chose publique. Quand vous créez un espace de cadre de vie à Conakry, du jour au lendemain vous allez retrouver là-bas des sacs d’ordures. Donc, moi  je suggère, qu’il faudrait qu’on applique la loi.

Justement certains estiment que c’est l’inertie de l’Etat qui amène tout cela ?

L’Etat oui, mais l’Etat c’est d’accord toi et c’est moi.

Que faut-il faire maintenant ?

Mais il faut la rigueur.

En quoi faisant ?

Un, d’abord en revoyant notre approche en matière de gestion des ordures. Aujourd’hui, il y a la cacophonie entre le ministère de l’Administration du territoire et le ministère de l’Environnement. A  Conakry, dès lors que vous parlez de l’affaire des ordures au ministère de l’Environnement, on vous dira non nous ne sommes pas chargés de la collecte des déchets. Nous c’est la gestion, donc comment vous allez gérer, ce qui n’est pas collecté. Donc, il faut ramener toute la situation environnementale de Conakry dans un département. Moi, j’aurai clairement dit de faire cela au sein du département de l’Environnement. Là, il y a une direction nationale de l’assainissement et de cadre de vie, qui est créée au ministère de l’Environnement. Parallèlement au gouvernorat de Conakry, on vous dit non, c’est à la charge des communes, ça c’est le code des collectivités qui le dit. Je suis d’accord, mais par rapport à la ville de Conakry. Le ministère de l’Administration du territoire et de décentralisation, pendant plus de dix ans, ils ont montré leurs limites, leur incapacité à assainir la ville de Conakry. Il faut privatiser certains secteurs, et puis rendre tout le système de collecte et de transport dans un seul ministère. Comme ça, la cacophonie est levée; ainsi on sait à qui faut-il demander les comptes dès qu’on voit des tas d’ordures.

Certains observateurs estiment que, l’Assemblée nationale à sa part de responsabilité dans cette affaire. Puisque si ça ne marche pas, elle devrait interpeller l’exécutif?

Vous savez l’Assemblée ce sont les textes. Nous, nous avons trouvé des textes de loi. Il y a un code de l’environnement bien que c’est caduc.

Qu’à cela ne tienne, il faudrait par exemple convoquer le ministère ou les ministres concernés au parlement. N’est-ce pas?

Mais on l’a fait combien de fois, mon cher ami, il  y a un problème grave. Si je prends par exemple la répartition des ressources de l’Etat. Quand vous entendez vous citoyen lambda, que nous sommes assis à l’Assemblée pour voter le budget. Mais le budget là, c’est à toi et à moi, c’est un truc d’ami, sinon quand tu analyses l’allocation budgétaire du ministère de l’Environnement, des eaux et forêts, qui ne faisait même pas 20 milliards, et vous regardez un autre ministère des Affaires étrangères qui a 300 et quelques milliards. Alors, il faut savoir choisir qu’est-ce qui est prioritaire. On parle de sécurité, vous regardez le budget du ministère de Sécurité. Il n’a pas même 15 milliards. Vous regardez un autre département où certainement le ministre c’est un je ne sais quoi là. Et puis là-bas, on a pompé suffisamment de ressources. Ce sont des choses que nous avons toujours dénoncé mais malheureusement, c’est tout un réseau mon frère. Depuis le ministère du budget, jusqu’au ministère de l’Economie et des finances, en passant par les Daaf qui évoluent dans les départements, c’est un réseau qui est là. J’ai vu un  écrit dans un de vos journaux, qui s’est attaqué à nous. Un certain, je crois Yansané, qui a parlé de montant de la loi des finances. J’ai dit ben, il ne sait pas comment nous fonctionnons à l’Assemblée. Nous, on avait voté contre la loi des finances rectificatives 2015. Quand je dis nous, c’est le groupe de l’opposition parlementaire. On a dit qu’il n’y a ni transparence ni équité. Certains ministères gagnent plus que d’autres. Et ils n’ont pas pu nous donner l’explication. C’est fondé sur quoi ? La seule chose qu’on nous a promis, et qu’on ne verra peut être pas c’est de nous faire participer aux débats d’orientation budgétaire, qui auront lieu aux mois de mai et juin pour qu’on puisse comprendre. A un moment, quand on a coincé certains ministres, ils ont dit oui, je suis venu à la commission d’arbitrage, on m’a accordé 58 milliards, alors que je n’ai eu que 18 milliards GNF. Ils nous ont dit qu’on a coupé sans consultation. Quand vous regardez le secteur de l’éducation, de la sécurité, santé, ou la justice, ce sont des domaines où ça ne va pas. Mais quand vous regardez leurs  budgets, vous trouverez que ce sont des ministères sacrifiés, qui n’ont pas de ressources. C’est pourquoi, j’invite le président de la République, de  mettre de l’ordre. C’est lui qui doit présenter un bilan. Il doit voir comment les ressources ont été affectées. 4 mille milliards, repartis et dépensés n’importe comment. On ne fait même pas une évaluation pour savoir comment le budget de l’année dernière a été  dépensé. On voit que le taux de décaissement est de  100%, et sur des lignes de taux de réalisation 100%. Vous demandez au ministère : dites nous concrètement où est-ce que vous avez fait exécuter tel projet. A un moment donné, on a coincé le ministère de la Pêche, ils disaient qu’ils ont fait des  commandes de chaînes de chambres froides, c’était faux. Il n’y a jamais eu d’achat quelconque. Donc, il faut que le premier magistrat du pays s’intéresse aux affaires économiques. Mais ici, on ne parle que d’élections, de l’opposition, de la mouvance. De qui a voté pour moi, qui n’a pas voté pour moi. C’est tout ce qui marche dans ce pays. Le Premier ministre devait faire une présentation à l’hémicycle pour dire voilà les axes et tout. Mais il ne se voit même pas obliger de venir décliner à l’Assemblée les lettres de sa mission.

A qui la faute ?

A l’exécutif, au premier magistrat, c’est tout. Moi je t’ai nommé Premier ministre. Je t’ai donné une mission, je sais les tenants et aboutissants de la mission. Je sais, là où il ya les forces et des faibles, là où tu as des opportunités. Tu n’as pas à me parler de ce que tu as fait dans ta préfecture, afin que je sois élu. Mais tu dois me dire concrètement par rapport à la mission au développement économique qu’est qu’on a en Guinée. Si tu ne peux pas le décliner, bon Dieu,  même si tu m’apportes tous les jours 500 mille électeurs, ça ne peut pas avancer le pays. Vous la presse, vous avez un grand rôle à jouer, parce qu’au moins avec votre travail le citoyen lambda pourra comprendre que les députés d’aujourd’hui, sont pris au piège. Même le président de l’assemblée nationale, n’est pas avec nous.

Vous qui ?

Nous de l’hémicycle, c’est grave, c’est vrai nous tous, on était en campagne. Regardez nous sommes le combien aujourd’hui. (vendredi 04 décembre : ndrl) depuis le 05 octobre c’était la session des lois de finances 2016, ça fait presque deux mois nous sommes là. Et c’est un décret qui a convoqué la session. Moi, je quitté dans ma préfecture, je viens tourner en rond à Conakry, pas de session, pas de budget et le bureau de l’Assemblée nationale ne fait aucune déclaration, comme si c’est tout à fait normal.

Vous n’est pas le seul, quasiment toutes les institutions de la République ne fonctionnent pas. Elles attendent peut-être l’investiture du chef de l’Etat ?

Juridiquement nous sommes indépendants. On ne devait pas dépendre de l’exécutif. Nous sommes la deuxième institution de la République, on devait convoquer une plénière et appeler le Premier ministre, afin qu’il nous explique, on lui dit pourquoi on n’a pas le budget. Sinon pourquoi faire un décret que tout le peuple de Guinée a entendu, convoquant les députés à la session budgétaire 2016. C’est seulement en Guinée qu’on voit cela.

Interview réalisée par Richard TAMONE in L’Indépendant

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