Censure

« La Guinée s’effondre » : plutôt, la morale délogée!

«La Guinée s’effondre », Chinua Achebe doit se retourner dans sa tombe. C’est avec beaucoup d’intérêt que j’ai lu cet éditorial signé d’Abdoulaye Bah (Guineenews). Une occasion pour moi d’y apporter ma contribution, en allant plus loin et parler, plus insidieusement de décadence de l’éthique et de la morale en Guinée. En fait, « La Guinée s’effondre » est une conséquence du déguerpissement de deux valeurs que sont : l’éthique et la morale.

La Guinée, ce petit pays de l’ouest africain perd tout, absolument tout. Ni amour de la patrie, ni esprit civique, etc., ne sont plausibles, parce qu’inexistants, sinon presque. Le fondement même de la devise de la République  – Travail, Justice et solidarité – est ignoré, saboté, malmené, voire passé sous le boisseau.

Le journaliste déforme la vérité pour nuire et trouver la pitance. Le politicien vend son âme au diable pour exister et passer à l’extinction d’un possible adversaire. Le fonctionnaire déjà très mal en point fait semblant de travailler avec ou sans pointeuse dans les départements. Le bricoleur d’à-côté a déchiré le pacte avec la vérité. Le médecin omet, tripatouille le serment d’Hippocrate et enfile sans gêne celui de l’hypocrite. L’entrepreneur demande gros pour prendre après, la poudre d’escampette. L’imam, le mollah, l’homme d’église, etc., dribble Dieu et les fidèles dont le seul tort aura été de croire en eux, pour tomber dans des scènes obscènes comme les grossesses non désirées, le viol ou les attouchements sur mineur. Victor Hugo (1802-1885), dans ‘’Littérature et philosophie mêlées’’ n’avait-il pas déclaré que la moralité est affaire de conscience et non d’opinion. Pour lui, l’opinion d’un homme peut donc changer honorablement, pourvu que sa conscience ne change pas. Progressif ou rétrograde, le mouvement est essentiellement vital, humain, social. Côté politique, la Guinée est mal servie. Je le concède à Abdoulaye Bah. Elle a deux vecteurs: l’enrichissement matériel et l’appauvrissement moral. Or, comme le dirait Napoléon Bonaparte, « La première des vertus est le dévouement à la patrie. » Chez nous, que nenni ! On ne pense qu’à soi.

La classe politique guinéenne – encore elle – s’inspire à s’y méprendre, d’Emile de Girardin : «Les hommes politiques sont infiniment plus irréfléchis et plus superficiels (…). Rarement ils plongent au fond des situations et des questions. » Tous ou presque manquent de courage, d’amour à la patrie. Les libertés sont bafouées et du coup, il revient à chacun de « les reconquérir pour les perdre encore de nouveau. Mais nous ne savons protester contre un excès qu’en tombant dans un autre. » On tombe, de fait, dans des manœuvres dilatoires, calculs politicien et au pire des cas, à l’élimination physique. Malheureusement, même les journalistes ne sont plus épargnés (Repose en paix, El Mahomed Koula Diallo que Guinee7.com pleure et pleure encore).

Que dire justement de ces hommes de médias qui auraient dû être « ce long miroir que l’on promène le long du chemin », mais qui sont tout aussi happés par l’appât irrésistible du gain, de l’aigreur et du règlement de comptes ? Albert Camus l’avait vite compris lorsqu’il la décrivait: « L’appétit de l’argent et l’indifférence aux choses de la grandeur avaient opéré en même temps pour donner (…) une presse qui, à de rares exceptions près, n’avait d’autres buts que de grandir la puissance de quelques-uns et d’autre effet que d’avilir la moralité de tous. Il n’a donc pas été difficile à cette presse de devenir ce qu’elle a été (…), c’est-à-dire la honte du pays. »

La morale décampe partout en Guinée et on attribue cette décadence morale et cette déchéance humaine au Tout Puissant, alors qu’il a offert Aux Rivières du Sud tout, absolument tout, pour mieux réussir convenablement, correctement, sans en vouloir à son semblable lequel aura déjà pris de l’ascendant. Pour réellement jauger l’égoïsme, l’état d’âme du Guinéen, pressé pour rien, imbu de sa personne pour masquer une tâche noire, il suffit de se mettre dans la circulation. L’atmosphère est impitoyable, les regards vifs et la nervosité à fleur de peau. On s’insulte, on se cogne ou se gratte. Le plus fort, au mépris des règles, trimbale l’autre devant un commissariat ou une juridiction. Ou au pire des cas, sort, un flingue ou une arme blanche pour laver un insignifiant affront. La barbarie et l’esprit de revanche ont droit de cité. L’Etat est quasi absent. Parfois il est acteur du désordre. Son autorité est fortement entamée.

On viole des mineures, on viole des vieilles, on tue, on incendie des domiciles privés, on casse des boutiques et magasins, on heurte des voitures de particuliers, on détourne des fonds publics, on injurie des personnalités publiques, on publie des scènes pornographiques, on s’habille avec des accoutrements suggestifs, les hommes devenus femmes, etc. L’Etat ne bouge pas et évoque une certaine mondialisation en lieu et place de la démission collective. Des citoyens, de guerre lasse, ont trouvé le raccourci. La formule atypique, la pire des solutions. Il s’agit, tenez-vous bien, de se rendre justice par le feu ou la casse souvent les deux à la fois. Advienne que pourra ! La furie fait le reste. On se contente au niveau de l’Etat, de déplorer après, la rengaine pour d’annoncer enfin l’ouverture d’enquêtes. Les conclusions de celles-ci ne sont jamais rendues publiques. Ne serait-ce que pour dissuader les récidivistes.

La Guinée est malade. Elle est malade de se hommes. Malade de ses lois. Oui, Abdoulaye Bah, tout s’effondre : la morale, l’amour de la patrie, l’éthique, l’esprit civique.

Pendant ce temps, la misère, la fracture sociale et l’intolérance prennent le dessus. Ce sentiment de laisser pour compte peut bien amener à penser à l’urgence de la mise en place d’une nouvelle classe politique, à une nouvelle classe dirigeante. Avec elle, une nouvelle mentalité plus patriotique qui puisse au moins sauver ce pays qui a tout mais qui a la malédiction de ces atouts naturels, humains et intellectuels. Absolument absurde !

Thierno Fodé Sow

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