Censure

Souleymane Traoré, négociateur en chef de la Mouvance : ‘‘L’Opposition veut avoir dans la rue ce qu’elle n’a pas obtenu dans les urnes’’

Souleymane Traoré, juriste, directeur du Fonds d’Entretien Routier, est par ailleurs, le négociateur en chef de la mouvance présidentielle dans le dialogue politique. Nous l’avons interviewé pour justement parler de ce dialogue qui, selon l’opposition, se grippe. Entretien à bâton rompu. 

Guinee7.com: L’opposition menace de redescendre dans la rue parce qu’elle estime que la plupart des points négociés au cours du précédent dialogue n’ont pas été respectés par le parti au pouvoir, quels commentaires en faites-vous ?

Souleymane Traoré: C’est faux de croire qu’aucun point n’a été respecté. Il y avait eu des satisfactions sur l’ensemble des points qui ont été sollicités par l’opposition. D’abord je commencerais par la mise en place des délégations spéciales qui étaient prévue dans l’accord. Parce qu’il était dit, dans l’ensemble des communes urbaines et rurales, que nous mettions sur place les délégations spéciales qui reflètent la composition plurielle de nos communes pour éviter que les élections présidentielles qui étaient en vue ne soient entachées de favoritisme par les uns et les autres. Et, pour la mise en place de la délégation spéciale, nous avons travaillé au ministère de l’Administration du Territoire d’arrache-pied entre la mouvance présidentielle et le P.E.D.N, l’UFDG,  l’U.F.R, … sous l’arbitrage du ministère. Et l’ensemble de ces délégations sont mises aujourd’hui en fonction.

Le deuxième acquis de cet accord, c’est la neutralité de l’administration pendant les élections. Et la communauté internationale a pu vérifier pendant les élections cette neutralité de l’administration.

L’indemnisation des victimes des manifestations politiques suppose que l’on puisse identifier clairement ce qui est arrivé aux uns et aux autres et de situer les responsabilités. Il faut d’abord identifier les victimes. C’est un travail qui est dans les mains de la justice.

L’autre volet c’était sur la libération des personnes qui ont été détenues suite aux différentes manifestations de l’opposition. Le ministre de la Justice a été très clair au moment de la rédaction des accords, il faudra que la justice soit faite. Des personnes qui ont été accusées de crimes ne peuvent être libérées sans être jugées. S’agissant des personne ayant commis des petits délits lors des manifestions le jugement de la majorité a fait l’objet d’une remise de peine. Vous avez suivi la grâce présidentielle concernant les autres et ceux qui sont en prison présentement sont des personnes condamnées pour crimes donc il n’est pas à la responsabilité d’un accord de les faire libérer. La question qui n’est pas mise en application aujourd’hui est celle de l’élection locale. La CENI qui a la responsabilité d’organiser cette élection a rappelé un certain nombre de blocages et de contraintes liées aux textes et surtout au niveau des élections locales. C’est-à-dire au niveau des districts et des chefs de quartiers.

Je ne veux pas revenir sur toutes les contradictions juridiques qu’il y’a eu à ce niveau. Au niveau de la mouvance présidentielle, J’avais même proposé à l’opposition notamment à l’honorable Aliou Condé de dire à la CENI de se concentrer uniquement sur les élections communales et communautaires. Là nous aurons à faire uniquement aux collectivités locales avec une autonomie de gestion et un certain nombre de pouvoir de développement local. Soit on choisit que le conseil communal élu désigne les chefs de quartiers. Les chefs de quartiers en termes de gestion ne représentent rien comme autorité locale donc ça ne sert à rien de s’aventurer sur ce plan. Il y’a eu un retrait de la CENI à Kindia au cours duquel elle a dit que l’élection telle que prévue dans l’accord ne peut pas être respectée.

A vous entendre on a l’impression que tout marche comme sur des roulettes. Selon vous, pourquoi l’opposition n’est pas satisfaite ?

Nous sommes sur le point de parler de l’indemnisation des victimes qui ont perdu leurs boutiques et l’opposition affiche cette volonté de manifester. Nous n’avons pas encore fini de régler ce problème qui est difficile à cerner et l’opposition veut descendre dans la rue pour faire une autre manifestation dont on sait pertinemment qu’elle entrainera des casses. Je trouve que l’opposition, depuis le second mandat du Pr Alpha Condé, est en train d’essayer de détourner l’attention du peuple sur ses propres insuffisances en faisant en sorte qu’il ait un vide juridique en Guinée.

Ce qu’elle n’a pas obtenu dans les urnes, c’est une manière pour elle de l’obtenir dans la rue. Quand vous suivez les déclarations du chef de file de l’opposition vous apercevez qu’il y a une intention de créer le chaos dans le pays.

Vous êtes en train de porter quand même de graves accusations…

Regardez les revendications pour lesquelles l’opposition veut aller dans la rue. Il y’a tout un tas de revendications mais rien de précis. Tantôt elle parle de la cherté de vie ; le prix du carburant ou d’une dictature qui serait en place ! Dès lors que les causes des manifestions ne sont pas précises, je m’en tiens aux déclarations des uns et des autres qui font appel à chasser Alpha Condé du pouvoir. Aujourd’hui il y a eu une relance du dialogue et ce n’est pas un nouveau qui commence. Les travaux du comité de suivi ont été suspendus pour que le ministre de la justice fasse des consultations aux regards du fait que la CENI a déclaré qu’elle ne peut pas organiser les élections locales au second trimestre de 2016. Donc il y a une reprise et j’aurai aimé qu’on puisse continuer dans le cadre du dialogue parce que chacun a intérêt à ce qu’il ait des élections. Mais à supposer qu’il y a un échec dans les travaux du comité de suivi, ce ne sera pas l’échec du gouvernement mais plutôt la responsabilité de la mouvance et de l’opposition. La communauté internationale et la société civile n’étaient que les observateurs.

Finalement, qu’est-ce que la mouvance compte faire si l’opposition descendait dans la rue?

Nous sommes dans une dynamique de dialogue positif pour chercher des solutions ensemble parce qu’il est plus facile de trouver une solution sur la table que de l’avoir par la rue. Je ne prétends pas parler au nom du gouvernement mais pour le reste je pense que la force doit rester à la loi. Quant au gouvernement il a l’obligation de maintenir de l’ordre public et qu’il revient aux forces de l’ordre de faire leur travail conforment à la loi.

Vous n’êtes pas un partisan de cette fange de la mouvance qui croit qu’il faut répondre aux ‘‘provocations de l’opposition’’ ?

Ce serait trop facile mais ce n’est pas bon pour notre pays. Je crois que l’opposition dans sa volonté veut mettre le pays dans un chaos. Mais pour qu’il y ait affrontement il faudrait que vous soyez à deux. Mais nous ne nous inscrivons pas dans cette dynamique de confrontation nous continuons plutôt à répondre à tous les appels au dialogue. Donc nous demandons à l’Etat de tenir ses engagements quant à la sécurisation des personnes et leurs biens et aussi à la justice de faire éventuellement son travail. La démocratie n’est pas synonyme de désordre donc quand les appels à la guerre, à la rébellion ou à la chasse d’un président démocratiquement élu, sont lancés, il faut que la justice réprime.

C’est peut-être que la justice a peur d’exacerber la fragilité de notre démocratie en mettant par exemple le grappin sur un chef de l’opposition, ne trouvez-vous pas cela délicat ?

C’est délicat, c’est un responsable politique, quand on l’arrête ou quand il est poursuivi, évidemment ce qu’il a dit ou ce qu’il a fait passe au second plan. C’est une personne qui représente des millions de nos compatriotes et donc forcément c’est ce qui est vu. Mais de l’autre côté, il faut que quand on est un acteur politique de premier plan, qu’on puisse faire attention à ce qu’on dit pour ne pas fragiliser notre vivre ensemble et pour le reste. Quant à une manifestation de rue, je pense que les forces de l’ordre sont préparées à maintenir l’ordre pacifiquement.

Chacun de nous, quel que soit le niveau de responsabilité politique qu’il peut avoir doit faire attention à ce qu’il fait pour ne pas fragiliser notre unité.

Récemment le chef de file de l’opposition a déclaré qu’il y a eu des détournements et les marchés de gré à gré mais la mouvance n’a jamais démenti ces propos. Est-ce que, selon vous, cela n’est pas un motif qui pousse l’opposition à descendre dans la rue ?

C’est dans l’ordre naturel des partis politiques d’apporter de telles accusations qui sont non vérifiables. Je suis dans le domaine des travaux publics et cette année vous avez vu dans les journaux publiés les différents appels d’offres. Alors si quelqu’un a des preuves qu’il a eu des marchés qui se sont passés de gré à gré, qu’il les fournisse ! Vous ne pouvez pas aller sur des suppositions en disant qu’on descend dans la rue pour chasser un président de la République qui n’a même pas exercé un an de son second mandat. Est-ce que légitimement il est raisonnable de demander que celui qui est élu démocratiquement soit chassé par la rue? Cette question je la pose à tous les démocrates.

Aujourd’hui avec l’insalubrité à Conakry, la cherté de la vie. Est-ce que ce ne sont pas des motifs de frustration ?

Il faut rappeler que nous sommes un pays en voie de développement. C’est vrai qu’il y a des problèmes économiques, sociaux et il appartient au gouvernement de chercher à y répondre. On peut dire que l’insalubrité est une problématique réelle il y a différentes solutions qui ont été mises en place, cela n’a pas commencé aujourd’hui. Parce que la population augmente, la question d’insalubrité est un problème qui date de plus de vingt ans. Les différents gouvernants et les différents gouverneurs, ont toujours cherché à trouver des solutions mais la solution idéale n’est pas encore trouvée. Les problèmes sociaux existent, l’Etat cherche à y remédier, en même temps il y a aussi des acquis qui existent pour un pays qui n’avait pas de capacité énergétique installée de plus de 150 mégawatts. Nous avons un barrage en cinq ans de 240 mégawatts, aujourd’hui les gens n’en parlent plus. Parce que la solution a été trouvée. Nous avons des infrastructures routières et autres qui sont faites ou qui sont en train d’être faites. Donc il y a des problèmes mais il y a aussi des résultats. Ce n’est pas suffisant, parce que c’est la vie des nations, la crise, elle est mondiale.

Je rappelle que les manifestations sont constitutionnelles c’est normal, mais est-ce que c’est pour autant une raison de faire un appel à un coup d’Etat ? Nulle part au monde ça ne se fait ! Sinon dans d’autres pays, en France et ailleurs les même appels aurait été lancés, donc soyons responsables pour trouver des solutions.

Interview réalisée par Ibrahima S. Traoré pour guinee7.com

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