Censure

Talibé Barry : «El Hadj Mohamed Diallo, je m’en veux…»

Ils l’ont tué! Ils l’ont sacrifié à l’autel de leurs ambitions malsaines! D’un tir cyniquement bien ajusté, et d’une balle imparable, ils ont ôté la vie à la féconde plume. D’une balle assassine, ils ont fauché son souffle journalistique à El Hadj Mohamed Diallo. Mon El Hadj, notre El Hadj, le El Hadj de tous. Ils ont, à jamais, réduit au silence celui dont la plume parlait de tout, et à tout le monde. Ils ont effacé El Hadj de tous les théâtres d’évènements et des théâtres de tous ces évènements qu’il ne manquait guère. Exit El Hadj de toutes ces scènes au cœur desquelles il plantait sa si prompte et généreuse plume. Out El Hadj du film de ces évènements qu’il détestait se faire raconter. Préférant les vivre pleinement. Et qu’il se plaisait tant à me raconter quand il rentrait de ses reportages. Oui, ton DP (Directeur de publication), comme tu m’appelais si affectueusement, revoit encore ton visage rayonnant de joie après avoir tracé la dernière ligne de ton ou de tes reportages du jour. Chez toi, chaque reportage rendu, avait valeur d’un trophée de plus à ton abondant tableau de chasse.

Ton statut de ‘’Grand reporter’’ au Quotidien privé La République, tu en fus tellement fier, que j’en étais dépassé. Oui, désarçonné, puisqu’au moment de nous lancer dans ce défi de faire un Quotidien privé en Guinée, tu refusas catégoriquement le poste de Secrétaire général adjoint de la Rédaction que je te proposais. Pour toi, le défi d’une telle aventure ne pouvait être relevé que sur le terrain. En allant crapahuter au diapason des faits d’actualité. Et pour ainsi dire, les faits t’auront donné raison. Puisque, prolifique, tu le fus. Tu étais ce genre de journaliste, loup du terrain, qui, comme on le dit, prenait en otage les pages de La République. Tu étais ce pisse-copies, qui avait toujours une réserve d’articles dans son carquois. Tu gardais toujours par-devers toi, ce petit article qu’il faut pour dépanner la Rédaction au moment stressant du bouclage.

Et laisse-moi te dire, cher cousin, puisque tu m’appelais ainsi aussi, laisse-moi te dire donc que quand tu partis librement de La République pour une autre Rédaction, il y a trois ans, nous sentîmes ton trou. Qui fut béant. Et aujourd’hui que tu as créé, à jamais, le vide, ce trou est encore plus grand dans nos cœurs, nos Rédactions et nos pages.

Un trou, voire une falaise jusque dans ma petite famille. Oui, tu y avais ta place. Mon dernier fils, Mamadou Oury, âgé de 8 mois, l’a peut-être senti. Mais, il le saura sans doute. Puisque, je te fais la promesse de lui en parler le moment venu pour qu’il s’en souvienne aussi. En fait, je lui parlerai de ces 20.000 francs guinéens, que tu as remis à la mère de Mamadou Oury. «Mme Barry, tiens ! Achètes du lait pour le bébé». Disais-tu. Ce geste intervenu au rond-point de Cosa, je ne l’oublierai pas. Puisque, c’est la dernière fois que je t’ai serré la main. Bien que furtivement, alors que j’étais au volant de ma voiture. Que ces 20.000 francs guinéens se transforment en autant de bénédictions pour toi dans le monde de vérité que tu viens de rejoindre.

El Hadj, si tu permets, je voudrais évoquer ce dernier échange téléphonique que nous avons eu, le 1er février dernier, à 8h08 mn. Quand tu me fis part de l’intention de ton épouse, aujourd’hui inconsolable, de m’offrir un copieux plat de riz gras. «Mais, je ne sais si c’est au bureau ou à la maison qu’elle devra le déposer», m’avais-tu interrogé. Je te répondis que je recevrai volontiers ce plat au bureau. Ainsi, t’ai-je précisé, mes collègues et moi, le partagerons allègrement.

Et aujourd’hui que tu n’es plus de ce monde, je m’en veux pour une chose que tu ignorais certainement. Je me demande pourquoi, quand je te vis pour la dernière fois de mes yeux de chair, je ne pus te héler pour te dire bonjour. C’était aux abords du Palais des Nations à Kaloum. J’ai appris plus tard que tu te rendais à la Bourse du Travail, l’antre du mouvement syndical guinéen en pleine crise avec l’Etat, autour du prix du carburant à la pompe. Ce jour du jeudi 4 février, ce matin, cet avant-dernier matin que tu passais sur cette Terre, j’eus envie de te saluer, sans jamais en avoir eu la force. Peut-être que le mur de la mort qui te guettait, s’était déjà déployé entre nous. Dors en paix mon cher confrère. Ton nom est à jamais gravé dans le marbre de l’histoire difficile mais passionnante de la presse guinéenne.

Talibé Barry, Directeur Général du Groupe de presse ‘’La République-City FM’’

 

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