Réclamer son droit est-il devenu un crime ? Les travailleurs d’Orange-Guinée qui ont débrayé pour revendiquer de meilleures conditions de vie et de travail sont en droit de se poser cette grave question. Dix jours après le déclenchement de ladite grève, l’un des meneurs est porté disparu. Amara Baldé puisqu’il s’agit de lui, est ingénieur à Orange et responsable syndical de l’antenne de Sonfonia.
Depuis le 17 septembre, la société Orange-Guinée traverse une zone de turbulence. Le personnel réclame de conditions salariales en conformité avec les performances financières de l’entreprise en plus d’une assurance santé internationale, d’une assurance habitat, d’une allocation familiale conséquente et la mise à la disposition aux cadres nationaux de moyens appropriés, etc. En gros, ils exigent « du légitime » comme l’estime l’inspecteur général adjoint du travail Dr Alia Camara.
A l’annonce même de leur mouvement, il se disait que certains ténors avaient commencé à recevoir des menaces de mort via téléphone mobile. D’autres, ont par contre été sommés de reculer à défaut de perdre leur place. Comme tout cela ne suffisait pas, la société de téléphonie a lancé une campagne d’intimidation et de dénigrement qui ne semble aucunement pas affaiblir la vague de contestation.
En tous les cas, c’est dans ces conditions troubles qu’Amara Baldé, technicien chevronné a été porté disparu depuis le 27 septembre 2013. Selon ses proches, le jeune ingénieur a reçu des menaces de mort depuis le 19 septembre, soit deux jours après le déclenchement de la grève.
D’après Abdoulaye Barry, membre du bureau syndical d’Orange-Guinée, Amara Baldé a reçu dans la matinée du jeudi 19 septembre, un appel téléphonique venant d’un numéro inconnu. « Amara m’a appelé pour me dire qu’il a reçu un appel le menaçant de mort(…). Elle lui a posé la question ‘’ c’est toi Amara Baldé ? Il a dit oui. Et l’appelant a entonné en lui disant ‘’tu viens de signer ton arrêt de mort’’ », a-t-il déclaré.
Une menace prise très au sérieux par ses proches. « Quand il a reçu cet appel d’un numéro inconnu, nous avons tenté d’identifier. Ainsi, nous avons informé la direction de la police d’Etat. Mais aussi, nous avons invité l’autorité de régulation des postes et télécommunication (ARPT) à la collaboration afin d’identifier ce numéro sans succès. Vous savez avec le nouveau système, c’est seulement l’ARPT qui a la possibilité technique de le faire », fait remarquer M. Barry.
A en croire Abdoulaye Barry, le jeune technicien avait réussi à envoyer le message qui suit à Kerfalla Marie Camara, chargé à la négociation et revendication à Orange-Guinée. Voici le contenu du message dans sa version originale : « ya des gars ki mon arrêté à la Cité ki dise être de la DPJ. G sai pa ou nous actuelemen ». Depuis, ses proches n’ont aucune nouvelle de lui.
Inquiets, ils attirent l’attention de la direction générale d’Orange-Guinée, le département en charge du travail, l’inspection générale du travail et la direction de la police judiciaire sur sa disparition.
Le Silence assourdissant de la direction d’Orange Guinée
C’est ainsi que le 3 octobre, nous avons tenté de joindre la direction générale d’Orange-Guinée pour prendre langue avec Alassane N’Diene, le directeur. Peine perdue, sa secrétaire est ferme : « Si vous n’êtes pas au programme, Il faut prendre un rendez-vous.» Normal pour un service responsable. Nous comprenons la leçon tout en laissant nos numéros de téléphone dans l’espoir d’être rappelé plus tard. En vain. Le vendredi matin, le nouveau contact avec la secrétaire butte contre une réponse péremptoire « le directeur dit qu’il ne veut pas communiquer sur ce sujet. A temps opportun, on vous fera appel ». Entendu !
Au Ministère de la fonction publique, la réflexion semble plus portée sur le respect du cadre juridique et réglementaire à Orange-Guinée. Aux dires de son chargé de communication, Racine Sy Savané, le cabinet est fortement impliqué dans la négociation entre la direction et ses employés.
Quant à la disparition d’Amara Baldé, selon M Savané « Le Département est aussi inquiet de cette disparition mais comprenez qu’il n’est de son ressort d’ouvrir une enquête. C’est le travail des services de sécurité publique ». Et il rapporte que le Ministère est tout de même en contact avec les services compétents.
A l’inspection générale du travail, le premier souci, c’est d’abord de faire respecter le cadre juridique et réglementaire. L’effort vise à trouver une solution à l’amiable à la crise qui secoue la société de téléphonie mobile.
Accusée de ne pas coopérer, la Direction générale de l’autorité de régulation des postes et télécommunications (l’ARPT) balaie cela d’un revers de main. Joint au téléphone dans la matinée du vendredi 4 octobre, le directeur général Moustapha Mamy Diaby est précis : « nous n’avons pas été officiellement saisi. Notre institution est spécialisée dans la régulation et non pour mener des enquêtes sur une éventuelle disparition. C’est le rôle de la police et de la gendarmerie ».
Et pour l’heure, rien n’a filtré à la direction de la police judiciaire et l’on se contente de souligner que « L’instruction judiciaire est secrète ». Une manière d’éluder les questions en invitant à attendre la fin de l’enquête pour en savoir mieux.
En attendant, Amara Baldé est toujours introuvable et ce n’est surtout pas à sa famille qu’il faut demander de la patience. Et la détermination des grévistes se renforce par un appel ferme à la vigilance pour sauver la vie de leur collaborateur. C’est dans cette dynamique qu’ils ont rejoint la famille de ce dernier pour porter plainte contre X.
.
Aboubacar Condé