Ils fourmillent dans les cours royales depuis l’aube des temps, les uns tapis dans l’ombre et les autres fort attachés à s’auréoler de l’image ennoblissante du chef. C’est même en référence à leur permanence et, aussi à leur penchant démolisseur qu’on pût dire des premiers qu’ils étaient des ras de palais. Ils entretiennent ainsi depuis des lustres les humeurs de dirigeants, des plus phraseurs aux plus muets, des plus fébriles aux plus contrôlés, des plus sûrs aux plus enclins à la lâcheté. Rois et ras de rois se sont si étroitement côtoyé dans l’histoire qu’ils m’apparaissent désormais comme deux réalités consubstantielles.
Ils étaient là ! Oui, bien près lorsqu’Hitler entreprit follement de faire la guerre au monde, et ils ont eux aussi essuyer les revers de sa chute mémorable. C’est aussi le cas pour le scandale du Watergate qui n’emporta pas que le Président Nixon. En effet, ces recrues de l’ombre ont mandat de s’occuper des affaires de voisinage du Roi et interviennent notamment pour ajuster son attitude aux diverses ondes projetées par ses vassaux. Ils disent au souverain qui il doit aimer et à qui il doit faire porter son courroux, ils détiennent la clé de décryptage des communications du chef. Bref, ils doivent écouter toujours ou faire semblant, rapporter inlassablement puisque tout gouvernant raffole d’entendre ce qui se trame et inventer souvent si l’écoute n’a rien produit.
Vous vous filetiez depuis peu l’esprit pour savoir à quoi retournait tout cet épilogue devenu agaçant. En effet, le fait est que la Guinée n’est pas exempte de cette donnée de l’Histoire, à savoir que Sékoutouréyah compte aussi ses ras, et l’on en parle parce que ces rongeurs ont choisi le jackpot, le foyer du pouvoir guinéen. Il ne s’agit donc plus seulement d’une vulgaire poutre à ronger, mais de murs et de bois remplis d’histoire. Disons donc à ce point qu’un ras à Sékoutouréyah est un rongeur qui s’attaque à un symbole national.
Là, près du Président de la République, ils exercent avec dévotion. Ils s’emploient à s’exprimer d’une langue mielleuse, puisqu’outre l’obligation de résultats qui les colle à la peau, ils doivent toujours plaire sans pour autant se révéler complaisants, tout en évitant d’en rajouter au joug d’un Président déjà largement croupissant.
Et c’est à ce jeu qu’on fit de Sékou Touré le tyran dont parle le monde moderne. C’est à ces manèges que Lansana Conté passa du protecteur au détrousseur, dit-on, de son propre peuple. C’est à cette dérive qu’on perdit Moussa Dadis Camara avant même qu’il eût ouvert la bouche. C’est à cette bassesse qu’on expose depuis bientôt trois ans le Pr. Alpha Condé qui, sans une once de chance, court droit à une destination semblable.
Ses nombreuses communications ciblées, ses écarts fréquents de langage, sa démarche centralisatrice et concentrative et que sais-je encore, sont des signaux plausibles que le feu est déjà au menton.
Et des ras, ces nombreux ras, ce sont aussi ces griots aux seules paroles flatteuses, ces coordinations régionales à l’impact flou, ces messagers de Dieu frappés d’amnésie de vocation qui, au finir, n’apportent pas assez à la construction de notre Guinée fragile.
Bénis tel que nous avons été de notre passé peu reluisant, on ne peut absolument tolérer qu’on se retrouve pris dans le même bourbier.