Censure

Amara Camara, Ambassadeur de Guinée en France : ‘‘Le développement de la Guinée est inconcevable sans l’implication effective de la diaspora guinéenne’’

L’ambassadeur Camara (cravate rouge) et Rachid N’Diaye, directeur de Communication du président Condé

Mardi 19 novembre 2013. Il est 8h à Paris, 16ème Arrondissement, Rue de la Faisanderie. Tout le personnel de l’Ambassade de Guinée dans la capitale française est présent, voire mobilisé à quelques heures de l’arrivée à Paris du président guinéen en provenance du Brésil. L’Ambassadeur nous reçoit entre deux réunions préparatoires de cette visite du président Alpha Condé. Son Excellence Amara Camara, visiblement à l’aise, se prête à nos questions sans rechigner. Bien qu’habitué aux hautes fonctions tout au long de sa brillante carrière à l’UNESCO, le diplomate a de bonnes raisons d’avoir le sourire plus rayonnant que d’ordinaire. Il vient en effet d’être élu au Conseil Exécutif de cette institution onusienne, cette fois-ci, au compte de la République de Guinée. Il aborde dans cette interview les enjeux de cette élection, ainsi que tant d’autres sujets de la vie nationale. Lisez !

La République: Le Président guinéen Pr Alpha Condé arrive à Paris ce mardi 19 novembre. Peut-on connaître l’objectif et l’agenda de cette visite présidentielle?

Amara Camara: Au départ, il ne s’agissait que d’une rencontre avec le président François Hollande avec lequel le président Alpha Condé devait discuter des relations de coopération entre la Guinée et la France. Par la suite, le patronat français, le MEDEF (Mouvement des Entreprises de France, ndlr), a demandé et obtenu que le président de la République anime un déjeuner-débat, ce mercredi 21 novembre, sur l’économie et les opportunités d’investissement en Guinée. Un certain nombre de ministres français ont également souhaité le rencontrer durant son court séjour car, faut-il le signaler, le président de la République est en transit à Paris, à destination d’Abu-Dhabi où il est prévu le Forum des investisseurs pour la Guinée, où notre pays sera sur la scène pour essayer d’attirer le maximum de capitaux pour son développement.

Le président Alpha Condé arrive à Paris moins d’une semaine après l’élection de la Guinée au Conseil Exécutif de l’UNESCO. Pouvez-vous nous dire en quoi consiste ce retour de notre pays au sein de cette instance de décision de cet organisme onusien?

Ce retour comporte deux aspects importants. Le premier aspect de cette élection, c’est que dans le monde du savoir qu’est l’UNESCO, le Conseil Exécutif joue le rôle d’un Conseil d’administration. C’est l’organe principal après la Conférence Générale, qui ne se réunit qu’une fois tous les deux ans. Entre les deux sessions, le Conseil Exécutif a pour mission de vérifier et contrôler l’exécution des programmes et le budget, tels qu’approuvés par la Conférence Générale, qui réunit l’ensemble des Etats membres de l’UNESCO. Le Conseil Exécutif qui comprend 58 Etats, est donc l’émanation de l’ensemble des Etats membres de l’UNESCO. Les membres du Conseil Exécutif sont élus par région. Lors de ces élections, la Guinée a eu l’extrême honneur d’être arrivée en tête du Groupe Afrique. Notre dernière participation au Conseil Exécutif remonte à 2001. C’est le ministre Kozo Zoumanigui, qui y représentait la Guinée. Il est donc important de reprendre ce flambeau puisque la Guinée a bénéficié d’une belle unanimité de l’ensemble des pays africains, mais aussi d’autres pays du monde. Tout cela intervient au départ d’une démocratie que nous espérons apaisée et favorable au développement de notre pays.

Après tant d’années d’absence de ce Conseil Exécutif de l’UNESCO, de quels arguments la Guinée était-elle forte pour parvenir à se faire élire?

Il y a deux aspects qui ont prévalu lors de cette élection. D’abord il y a la politique développée dans le pays et la perception que les autres Etats ont de ce qui se passe en Guinée. L’autre volet porte sur la personne du candidat qui doit représenter notre pays. En étant délégué permanent ici, j’ai eu le temps, en deux ans, de connaître et de participer activement au Groupe Afrique, en aidant à la compréhension des problèmes de l’UNESCO où j’ai eu la chance de travailler pendant plus de trente (30) ans. Cette expérience a donc donné l’assurance aux Etats membres, notamment au groupe africain -dont les membres me connaissent mieux-, qui se sont dit que la Guinée pouvait jouer un rôle important au sein du Conseil Exécutif.

Quels sont les avantages que la Guinée pourrait tirer de cette élection?

Pour y répondre, je dois rappeler que le Conseil Exécutif est à la fois un organe d’influence et un organe où toutes les régions du monde sont représentées. Cela vous permet d’établir des contacts directs avec vos homologues, qu’ils soient ministres, qu’ils soient délégués permanents, qu’ils soient intellectuels ou hommes de sciences. C’est là aussi où se dessine la stratégie du monde au niveau des domaines de compétence de l’organisation, à savoir l’éducation, les sciences, la culture, la communication, etc. En citant ces domaines de compétence, vous remarquez aussitôt que l’Afrique est plus concernée. C’est dire que nous devons tout faire pour que notre pays s’affirme dans ce monde du savoir.

Diriez-vous que cette élection est l’une des preuves que la Guinée revient progressivement sur la scène internationale?

Il est évident que j’aurais dû commencer par-là. Il est certain que le slogan ‘’Guinea is back’’ trouve une expression ici. Et cela de deux manières. D’abord il y a l’élection à ce Conseil, et ensuite la manière dont celle-ci s’est déroulée. Parce que 166 Etats sur les 175 Etats membres présents ont voté pour la Guinée. C’est quand même une preuve d’adhésion qui montre que notre pays commence à être crédible.

 

Votre modestie en souffrirait, mais il ne serait pas exagéré de dire que l’élection de la Guinée n’aurait pas été possible sans vos efforts personnels.

Ce n’est pas une question de modestie, puisque ce n’est pas une œuvre personnelle. C’est l’œuvre de l’ensemble du pays, notamment les ministres et les experts qui ont accompagné la délégation guinéenne. Il y a aussi mes collègues de l’Ambassade parce que nous avons travaillé, dans deux ans, à montrer que nous serions capables de représenter valablement la Guinée. Donc, je ne peux pas tirer la couverture qu’à moi. J’y ai contribué, mais je n’en suis pas le principal artisan. Cette élection est l’œuvre d’ensemble de plusieurs équipes.

Pendant qu’on y est, peut-on savoir dans quel état vous avez trouvé cette Ambassade, et quelles sont les innovations que vous y avez apportées pour lui donner la bonne réputation qu’elle a aujourd’hui auprès de certains membres de la Communauté guinéenne de France?

Généralement, je n’aime pas répondre à cette question. Pour beaucoup, ce constat porte d’abord sur l’aspect physique de l’Ambassade. Pourtant, c’est un aspect simple puisque j’ai toujours dit que nous étions un pays pauvre, mais cela ne veut pas dire que nous ne pouvions pas être un pays propre. Je tiens à ce que l’Ambassade soit propre pour réserver un accueil normal à nos concitoyens qui y viennent pour des documents consulaires. Aussi, nous sommes ici pour accompagner notre communauté, l’aider et l’encourager. L’autre aspect concerne la gestion simple des ressources du pays. Tout ce que nous avons fait ici, nous l’avons fait sans demander un centime à notre gouvernement. Nous l’avons fait sur la base de nos recettes consulaires, du budget de fonctionnement. Nous n’avons donc rien demandé. Et ce n’est pas un mystère. J’ai toujours dit que si l’argent de la Guinée allait à la Guinée, nous n’aurions même pas besoin d’un centime de l’extérieur. Nous sommes sur le point de numériser tous les documents que nous émettons. Le jour où nous le réussirons, nous multiplierons nos recettes par cinq. En le faisant, nous serions en mesure non seulement de faire fonctionner l’Ambassade, mais aussi de payer les salaires de l’ensemble de son personnel. C’est vous dire que ce n’est pas un miracle. Je n’ai fait que ce que je sais le mieux: me dire que quand on me donne un centime pour mon pays, il doit aller à mon pays. Ce, même si mes besoins personnels sont de dix centimes. Nous avons donc essayé de gérer au mieux les intérêts du pays et accompagner ainsi nos concitoyens. Nous avons voulu faire en sorte que nos concitoyens soient fiers de leur Ambassade en arrivant ici. Même si ce n’est pas le grand luxe, mais que nos locaux soient quand même propres.

La montée du communautarisme empeste aujourd’hui la vie des Guinéens. Percevez-vous ce mal chez vos compatriotes vivant en France?

On essaye de m’y impliquer, mais ça ne m’intéresse pas. Le communautarisme est l’expression de la pauvreté intellectuelle et la pauvreté du débat. Quand on n’a rien à dire on se prévaut de ce qu’on est. On a la chance d’avoir un pays avec de grands groupes homogènes qui ont toujours vécu ensemble. Mais quand on n’a pas assez d’arguments on essaye d’exacerber ce mauvais côté. Même quand on me le montre ici, je ne m’y intéresse pas. Par exemple, quand un problème se pose au Consulat ou ailleurs, je ne cherche pas à savoir le nom de la personne concernée. On règle d’abord le problème et on applique la solution à la personne. C’est pour éviter que l’on dise que quand c’était un malinké, il a agi comme ci, et quand c’était un peulh, il a agi comme ça. Si vous voulez vous simplifier votre vie de leader, de gestionnaire, appliquez les mêmes règles dans les mêmes circonstances à toute personne. Maintenant, s’agissant de ce qu’en pensent les communautés, je vous laisse le soin  de leur poser la question. Ici, personne n’est traité en fonction de son origine ethnique, cela ne m’intéresse pas. J’ai travaillé dans un milieu de plus de 100 nationalités dont certaines personnes ne savaient même pas où se trouvait la Guinée. Alors, ce serait mal vu de dire à un de mes anciens collègues que moi je suis malinké et que tel est tel. Ils vont dire que Camara est devenu fou.

Parlant de la diaspora guinéenne, vous qui avez vécu plus de quatre décennies à l’extérieur de la Guinée, trouvez-vous en cette partie de la communauté nationale le potentiel susceptible de lui permettre de contribuer véritablement au développement de notre pays?

Je peux vous affirmer que le développement de la Guinée est inconcevable sans l’implication effective de la diaspora guinéenne. Cette diaspora est dotée d’une formation, d’une expérience, et elle a eu un parcours où il n’y avait ni chèvre ni herbe à brouter. Elle s’est toujours contentée de son salaire, de faire du mieux que qu’elle peut et de gérer au mieux les intérêts des organismes qui l’emploient. Si vous appliquez ces principes à la Guinée, nous nous en sortirons sans difficulté. Cela ne veut pas dire que tous ceux qui sont restés en Guinée ne contribuent pas, mais en injectant une forte dose de Guinéens de l’extérieur dans notre appareil d’Etat et dans le système productif, nous aurons l’avantage qualitatif dont nous avons réellement besoin pour avancer. Donc, je crois que la diaspora guinéenne est importante. Elle l’est par ce qu’elle fait déjà à travers l’argent qu’elle envoie aux parents et les petits investissements qu’elle fait dans le pays. C’est ce qu’il faut harmoniser et amplifier en facilitant l’absorption des Guinéens de la diaspora dans un ensemble beaucoup plus organisé.

Au regard des tensions et convulsions que connait la Guinée, beaucoup de nos compatriotes vont jusqu’à désespérer de leur pays. Feriez-vous autant?

Je demande à ces Guinéens de venir débattre avec moi. Parce que j’ai foi passionnément en mon pays, et je crois en son avenir. Nous ne pouvons pas avoir les potentialités que nous avons et désespérer. Si nous devons désespérer de notre pays, il faut désespérer du Guinéen lui-même. On ne peut avoir les plus grandes réserves mondiales de bauxite, vingt milliards de tonnes de réserves de haute teneur de fer, plus de six millions d’hectares de terres fertiles et plus de mille cours d’eau, et dire que vous ne croyez pas en ce pays-là. Beaucoup de pays aimeraient être à notre place. C’est à nous Guinéens de croire en notre destin, nous donner des moyens et comprendre qu’il n’y aura pas de miracle si nous ne travaillons pas. Il faut travailler sans se dire que ce qu’on fait est vain. Aujourd’hui, ce qui est fait ici ne sera plus à faire par mon successeur. Si nous faisons cent (100) kilomètres de route en Guinée, les gouvernements à venir n’auront pas à faire ces cent kilomètres. Donc, avoir foi en ce pays, c’est un minimum qu’on demande. Et, c’est surtout un engagement. Il s’agit de s’engager passionnément pour son pays, s’engager passionnément à son service pour arriver à en faire un pays non seulement émergent, mais mieux que ça parce que nous en avons les moyens.

Pour terminer, les résultats définitifs des élections législatives guinéennes ont été proclamés la semaine dernière. Malgré tout, il y a encore des grincements de dents, notamment au niveau de l’opposition. Alors, en tant citoyen guinéen, quel appel avez-vous à lancer à l’ensemble des acteurs politiques de notre pays?

Je demande à nos compatriotes d’observer les pays voisins qui se sont retrouvés dans les mêmes situations que nous. Quel est le pays où le parti gouvernemental n’arrive pas à avoir même la majorité absolue à l’Assemblée Nationale? C’est le signe d’une vitalité démocratique. Le deuxième aspect de mon point de vue, c’est que la démocratie se mesure à la façon d’accepter sa défaite. Il s’agit de se demander ce qui a manqué et tenter d’y remédier la prochaine fois. Cette élection a permis de clarifier le débat et de savoir qui pesait quoi. En deux ans, nous avons des échéances importantes. Cette élection est un test qui va nous aider pour fin 2015 (tenue de la prochaine élection présidentielle, ndlr). Il y a donc une vitalité démocratique que nous devons essayer de fructifier en acceptant ces résultats et en se battant  à l’Assemblée Nationale pour faire valoir les points de vue de l’opposition. C’est cela le jeu démocratique normal. Ensuite, comme je le disais en 1995 dans un colloque au Sénat français, une fois qu’on a terminé les élections et qu’on a fait le débat d’idées, chacun défendant son programme, et qu’il y a eu une majorité, c’est de dire qu’on est un pays en développement et que les compétences se trouvent partout. Il faudra donc essayer de réunir toutes ces compétences au sein d’une équipe restreinte au service du pays, mais pas au service d’un homme. Si on pouvait avoir cette opportunité, afin que cette fois-ci les grands partis politiques se mettent ensemble pour conduire le destin du pays, en disant que nous sommes prêts à aller la main dans la main, au service de la Guinée et des Guinéens, ce serait formidable. Vous savez, je suis un idéaliste. Ça fait partie de mes rêves.

Interview réalisée à Paris par Talibé Barry        

 

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