Censure

Edito : Quand tuer devient banal

Mohamed Ghussein. Désormais, à l’évocation de ce nom, l’émotion se lira sur le visage de tous ceux qui ont connu un homme entier, d’une gentillesse rare, d’un humanisme exceptionnel et qui, à certains égards, pouvait être perçu comme un robin des bois des temps modernes. Mohamed nous a quittés dans des conditions tragiques, au moment où nous y attendions le moins. Mais cet homme  à la fois discret et affable, d’une humilité rare, est d’abord victime de la haine morbide, de la bêtise humaine, de la barbarie d’une société entretenue par  la déliquescence d’un Etat laxiste envers des criminels. En ces temps d’angoisse, ces rebuts du genre humain font la pluie et le beau temps au nez et à la barbe d’honnêtes citoyens comme l’ancien responsable de la communication du ministère de l’économie et des finances.

Mohamed, a rejoint, comme on dit, sa dernière demeure ce vendredi 29 novembre. Il y a été accompagné de sa grande famille (parents et amis) mais aussi d’une épouse  que lui-même qualifiait d’ ‘’amie’’ et de ses deux adorables filles. Il rêvait de leur faire une surprise en leur ouvrant pendant ce mois de décembre les portes de sa superbe villa non inaugurée à Nongo.

La surprise a plutôt été l’annonce de son assassinat probablement par un individu à qui le père Ghussein a donné gite et pitance. Celui qui a reçu des Ghussein un bol de lait et le leur a rendu par un bol de sang.  Par son acte ignoble et lâche, il a ôté à la Guinée une espèce en voie disparition : Mohamed était en effet honnête, rigoureux, travailleur et humaniste.

Ce Grand monsieur aurait pu rester en France pour bénéficier pleinement de sa bi nationalité. Mais il a préféré la ‘‘pauvreté à la richesse’’, il a toujours refusé de se mettre, comme il le disait, dans les ‘’intrigues guinéo-guinéennes’’ en plaçant par-dessus tout ‘’l’intérêt national’’- c’était ses termes favoris. Quand les autorités actuelles du ministère des Finances omettaient (sciemment ?) son nom de la liste de quelque paiement de frais de mission, Mohamed ne rouspétait pas. Souvent d’ailleurs, il les préfinançait lui-même quand le ministère n’était pas à mesure de le faire !

Mohamed s’en est allé pour ne plus revenir dans une société infestée de personnes qui peuvent se donner le sale boulot de soumettre à la torture une personne qui ne peut faire du mal à une mouche. Cette société pour laquelle il s’est toujours battu pour qu’elle soit plus juste. ‘’ En réalité ce genre de personne n’a pas longue vie’’, me dit un ami. Je le lui concède. Mais pourquoi le tuer comme ça ? C’est ma question. Un homme qui apparemment connait les saintes écritures tente de me soulager. ‘’Il ira au paradis’’, me dit-il. Car selon lui, mon ‘’grand’’ aura à l’au-delà le bonheur inversement proportionnel à la dimension du crime que lui a fait subir son meurtrier. Soit. Et c’est mon souhait.

Seulement voilà. Mohamed ‘’mon grand’’ est victime par ailleurs d’un système sécuritaire défaillant pour les gens honnêtes dans un pays où ces derniers temps, tuer est devenu banal. Pour un oui ou pour un non on assassine sans le moindre remord, et c’est là que se situe le drame.

Ibrahima S. Traoré

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