Je regarde toujours avec plaisir et beaucoup de respect le chef de l’Etat procéder au rituel du dépôt d’une gerbe de fleurs à la place des Martyrs. Ce geste apparemment anodin est plein de signification, il symbolise le devoir de mémoire et de reconnaissance que la nation tout entière se doit d’observer à l’endroit de nos Martyrs, ces illustres hommes et femmes qui ont payé de leur vie la liberté et l’indépendance de la Guinée. Notre peuple, à l’instar des autres peuples du monde, honore ses Martyrs à l’occasion de la célébration annuelle de la fête de l’indépendance.
Tout bon citoyen reconnaît que mourir pour sa patrie est un acte au-dessus de tous les honneurs, ce qu’exprime plus éloquemment le poète français Victor Hugo quand il écrit : « O morts pour mon pays, je suis votre envieux ! » Mais au-delà de l’honneur rendu aux Martyrs, je ne puis m’empêcher de me poser la question « Qu’est- ce-qu’une gerbe de fleurs représente pour moi ? » La réponse ne tarde pas, pour moi Africain une gerbe de fleurs ne représente absolument rien, la fleur n’existe pas dans mon univers. Je peux tout au moins admirer une résidence fleurie, mais il ne me viendra jamais à l’esprit l’intention d’offrir ou le besoin de recevoir des fleurs, cela n’est que pratique de blanc. Quant au devoir d’honorer ses morts, chaque peuple ne devrait l’accomplir qu’à travers ses us et coutumes. Pour nous Africains les morts ne sont pas morts, ils continuent de vivre avec nous, nous partageons notre quotidien avec eux en pensée, en nourriture et boisson, nous les implorons dans toutes nos difficultés et nous les remercions pour tous nos bonheurs.
Alors pourquoi ne donnons-nous pas une âme africaine à nos Etats modernes ? Pourquoi près de soixante ans d’indépendance nous continuons à imiter les blancs dans bien des domaines comme dans le protocole d’Etat, l’habillement, la nourriture, l’habitat, etc. Nous vivons un véritable drame de complexe d’infériorité, de dépersonnalisation de nous-mêmes, toutes attitudes maintes fois
dénoncées par des penseurs africains ou occidentaux. Il n’y a même plus de honte à rivaliser de zèle dans ce mimétisme culturel qui prend les allures de la meilleure réussite aux yeux de tous, des intellectuels aux analphabètes. Et pourtant, pour nous limiter qu’à l’exemple du rituel des morts, rien ne nous empêche de le célébrer à la manière de nos ancêtres : déposer quelques noix de cola, une
poignée de mets, une calebasse d’eau fraîche, et clamer un hommage avec en sourdine une percussion d’instruments traditionnels. Le monde entier attend de nous d’apporter la touche africaine à la culture universelle. Ce n’est sûrement pas en singeant les blancs que nous le ferrons, mais en restant nous-mêmes.
In Le Démocrate, partenaire de Guinee7.com