Ça commence par des symptômes quasi grippaux : légère fièvre, mal de tête, douleurs dans les muscles et les articulations. Et puis, en quelques jours, l’ordinaire cède la place à l’horreur: vomissements et diarrhées, saignement des gencives et du nez, hémorragie de l’appareil digestif. La déshydratation massive qui s’ensuit fait dangereusement baisser la pression artérielle et provoque des défaillances d’organes, puis le décès du malade.
Ces descriptions alarmistes se sont récemment multipliées dans les médias. Elles ne sont pourtant pas dues à l’Ebola mais au « syndrome de choc », un cas extrême de la dengue, une maladie transmise par les moustiques dont on ne parle guère. Le virus de l’Ebola a certes des conséquences dramatiques, mais il fait bien moins de victimes que d’autres virus. Pourquoi, alors, ces titres dans les journaux alors qu’on ne parle pas d’autres maladies mortelles?
Est-ce parce que les Africains meurent soudain par centaines? C’est peu probable. La dengue tue relativement peu, mais 20.000 des 500.000 personnes infectées y succombent chaque année. Un chiffre bien supérieur à la pire épidémie d’Ebola, mais cinq fois plus petit que le nombre de victimes de la rougeole, par exemple. Et si l’on prend en compte des pathogènes comme les pneumocoques ou les rotavirus -responsables des deux causes principales de mortalité infantile, la pneumonie et la diarrhée-, les victimes se comptent rapidement en centaines de milliers.
Ce qui est vrai, c’est que l’Ebola est extrêmement contagieux, et que les professionnels de la santé redoutent d’être contaminés. Pourtant, il existe des virus beaucoup plus dangereux, dont la rougeole (qui se transmet par voie aérienne) ou l’hépatite B (qui se transmet comme le sida mais en cinquante fois plus contagieux). Cette peur est peut-être liée au fait que 50% à 90% des personnes infectées sont condamnées, puisqu’il n’existe actuellement aucun remède. Mais il n’y a pas de remède contre la rage non plus, une maladie dont les symptômes entraînent presque systématiquement une lente et douloureuse agonie. À moins, bien sûr, de s’être fait vacciner. Ce qui nous amène à un premier élément de réponse.
Bien que l’Ebola provoque d’affreuses souffrances et une mise en quarantaine, loin de ceux qui nous sont chers, d’autres maladies tout aussi horribles méritent qu’on les prenne également au sérieux. Des maladies qui, comme l’Ebola, sont toujours mortelles en Afrique de l’Ouest et au-delà, et qui tuent régulièrement des centaines de milliers de personnes dans les pays les plus pauvres. La médecine moderne soigne ou guérit la plupart de ces maladies, ce qui est rarement nécessaire grâce aux vaccins préventifs. Leurs bienfaits nous ont fait oublier la mémoire de ces infections et maladies mortelles, et nous avons cessé de les craindre.
Alors, quand survient une épidémie comme celle-ci, il est naturel d’observer ses effets avec horreur et d’être terrifié à l’idée qu’elle puisse arriver jusqu’à nous. Pourtant, bien que l’Ebola reste une menace substantielle en Afrique de l’Ouest, il y a peu de chances qu’il fasse des ravages en Europe ou en Amérique du Nord, pour deux raisons essentielles : premièrement, notre veille sanitaire est plus stricte ; deuxièmement, l’Ebola tue ou immobilise la plupart de ses victimes avant qu’elles contaminent d’autres personnes.
Il existe pourtant un danger plus grand et plus immédiat. Certaines maladies que nous avions éradiquées, comme la rougeole, la rubéole et la coqueluche, font un retour en force. Une attitude de complaisance pernicieuse a entraîné une baisse significative du taux de vaccination dans de nombreux pays occidentaux. Résultat : ces maladies réapparaissent avec une telle vigueur que nous les exportons même vers des pays pauvres. Comment peut-on accepter que des gens meurent de maladies pour lesquelles existent des vaccins surs et efficaces ? C’est pourtant dans ces mêmes pays que l’on s’insurge de l’absence de traitement contre l’Ebola.
Ce qui est très positif, c’est que l’épidémie actuelle fait l’objet d’une attention exceptionnelle. D’abord, cela permettra peut-être d’avancer sur certains traitements et vaccins prometteurs dont l’expérimentation était jusqu’ici au point mort. Ensuite, elle devrait faciliter la mise en place de meilleurs plans d’intervention d’urgence dans les pays touchés, afin d’empêcher que de futures épidémies se propagent aussi rapidement et aussi loin.
Bien entendu, tout ceci n’est d’aucune aide immédiate pour les habitants de l’Afrique de l’Ouest, confrontés à cette catastrophe. Mais recentrer l’attention de la communauté internationale sur l’Ebola aide à réviser nos attentes face aux risques sanitaires, ce qui est une bonne chose. Non seulement pour augmenter les taux d’immunisation chez nous, mais aussi pour rappeler que l’Ebola, loin d’être l’exception, est la règle qui condamne chaque jour des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants, frappés par une grande variété de maladies. Espérons qu’il poussera le monde à en faire davantage pour tenter d’éradiquer ces fléaux.
Dr Seth Berkley est médecin et directeur exécutif de Gavi Alliance, spécialiste de la vaccination des populations fragiles
Source : huffingtonpost.fr