Dans un entretien exclusif à Financial Afrik, le gouverneur de la Banque Centrale de la République de Guinée, Louncény Nabé, revient sur les réformes structurantes entreprises par son institution. Actualité oblige, le gouverneur a aussi répondu à notre question sur ce qu’il est convenu d’appeler “le malheureux incident” de Dakar dû à un excès de zèle d’un douanier sénégalais.
Monsieur le gouverneur, la Banque Centrale de la République de Guinée gère une monnaie nationale dans un contexte africain marqué par la dépréciation des monnaies par rapport au dollar. Comment va le Franc Guinéen?
Le franc guinéen se porte en tout cas beaucoup mieux qu’il y’a quatre (4) ans. Grâce aux réformes menées par la Banque Centrale depuis début 2011 notamment dans la conduite d’une politique monétaire appropriée, avec la discipline instaurée par l’Etat dans la gestion budgétaire, le franc guinéen s’est stabilisé par rapport aux principales devises (le dollar et l’euro) et les primes de change entre les marchés officiel et parallèle se sont réduites. Sur le marché officiel, le franc guinéen s’est stabilisé autour de GNF 7000 pour un dollar et GNF 9500 pour un euro sur la période. Ceci dit, la Banque Centrale mettra tout en œuvre pour consolider ces acquis pour que la monnaie nationale continue de se porter de mieux en mieux.
Quel est l’état de vos réserves de change entre 2013 et 2014? Quels sont les instruments de placement que vous privilégiez ?
Grâce aux efforts de reconstitution des réserves de change de la Nation en 2011 conjugués avec la discipline budgétaire et l’appui des partenaires financiers, les réserves de change qui ne couvraient que deux semaines d’importations à fin 2010, sont aujourd’hui à plus de trois mois comme elles l’ont été en 2013. Ce niveau permet à la Banque Centrale d’assurer régulièrement ses interventions sur le marché interbancaire de change pour allouer, en cas de besoins, des devises aux banques commerciales pour le compte de leur clientèle.
En ce qui concerne les instruments de placement, ces réserves sont gérées dans le cadre de la politique d’investissement définie par le Conseil d’Administration la Banque Centrale et ce, en conformité avec les normes et standards reconnus par la communauté financière internationale. Ces normes de bonne pratique visent à garantir la sécurité du capital ainsi que la liquidité et la rentabilité des placements. Pour le moment, la Banque procède à des placements de deux semaines à un mois sur le marché.
La Guinée a atteint son initiative PPTE. A l’instar de certains pays de la sous-région, envisagez-vous une sortie sur le marché international de la dette ?
L’émission des titres d’Etat relève du Ministère d’Etat chargé de l’Economie et des Finances, à travers le Trésor public. Autrement dit, l’initiative d’intervenir sur le marché international de la dette revient au Trésor. Ceci dit, en tant que Banquier et Conseiller financier de l’Etat, la Banque Centrale contribue à la création des conditions macroéconomiques nécessaires à cette sortie sur le marché international. Elle apportera, le moment venu et en tant de besoin, toute son expertise à l’Etat pour ces opérations.
La zone CFA a relevé les standards minimaux en termes de constitution d’une banque. Quid de la Guinée ? D’une manière générale quel est l’état du secteur bancaire ?
Comme la zone franc, la Banque Centrale de la République de Guinée a pris plusieurs mesures pour être en phase avec les standards internationaux et renforcer la solidité financière des banques. Elle a relevé le niveau du capital minimum des banques qui passe de GNF 50 milliards à GNF 100 milliards selon un calendrier en trois étapes : GNF 65 milliards au 30 juin 2014, GNF 80 milliards au 30 juin 2015 et GNF 100 milliards au 30 juin 2016. Elle a élaboré une nouvelle Loi bancaire qui a été promulguée en novembre 2013. Cette Loi renforce les missions de réglementation et de supervision du secteur financier par la Banque Centrale, et s’emploie à assainir les relations entre les banques et leur clientèle, notamment en matière de protection des déposants. Elle prévoit également un ensemble plus complet d’outils de prévention et de résolution de crises. Elle traite aussi de la mise en place du fonds de garantie des dépôts de la clientèle des établissements de crédit, ainsi que des échanges d’informations avec les Autorités de supervision étrangères.
S’agissant de l’état du secteur bancaire, selon les résultats des contrôles sur place et sur pièces effectués par la Banque Centrale, il se porte bien. Comme vous le constatez, le nombre d’Institutions bancaires est en nette progression avec la présence des banques appartenant à des grands groupes solides. Le taux de couverture nationale continue de s’améliorer. La rentabilité des banques est nettement supérieure à la norme minimale et à celle enregistrée dans la plupart des pays de la sous-région. De nouveaux produits et services sont aujourd’hui offerts par le secteur.
Quelles sont les réformes que vous comptez mener à terme pour améliorer le taux de la bancarisation en Guinée ?
Pour renforcer le processus de bancarisation du pays, la Banque Centrale continuera à construire des Agences à l’intérieur du pays. A Mamou, elle profitera de la célébration de la fête nationale de l’indépendance, le 02 octobre prochain, pour démarrer les travaux de construction d’une nouvelle agence. Une autre sera construite par la suite à Faranah. Ces actions visent à appuyer et à encourager les banques commerciales à s’implanter à l’intérieur du pays. Des mesures sont en train d’être prises à ce niveau pour faire en sorte que les villages les plus reculés puissent avoir accès aux services financiers. Je pense notamment aux facilités de création des agences de banques commerciales et d’institutions de micro finances, ainsi qu’aux possibilités offertes par les services financiers mobiles et les sociétés monétiques agréées qui sont en train de se développer, de sorte que tous les citoyens aient la possibilité de procéder à une opération de retrait, de dépôt ou de transfert dans une banque ou dans une institution de micro finance. Les sociétés monétiques agréées par la Banque Centrale en 2011 et 2012 seront opérationnelles au dernier trimestre 2014 et favoriseront l’accès des populations aux services financiers, surtout en milieu rural.
Monsieur le Gouverneur, récemment la presse sénégalaise a fait état de l’interception de vingt (20) millions de dollars ayant transité à Dakar pour Doubaï. De quoi s’agit-il ? Quel est l’objet de ce mouvement de fonds ?
Effectivement, le 08 août 2014, au cours d’une opération habituelle de transfert d’encaisse en devises de la Banque Centrale de la République de Guinée (BCRG) vers un de ses correspondants pour être positionné sur ses comptes à l’étranger, un incident s’est produit à l’aéroport de Dakar, au Sénégal.
L’incident fait suite à une mauvaise lecture des documents d’expédition par le douanier en poste à l’aéroport. Après vérifications, le colis a été acheminé comme prévu par le vol Emirates du 09 août 2014.
A notre grande surprise, le 23 août 2014, soit plus de deux semaines après les faits, un journal sénégalais, le Quotidien, a publié un article calomnieux sur l’opération.
Comme je l’ai indiqué tantôt, il s’agissait d’une opération de routine d’une banque centrale comme la BCRG. En effet, lorsque les banques commerciales reçoivent de leur clientèle des devises en espèce, elles les déposent auprès de leur banque centrale. Celle-ci à son tour expédie ces billets à ses correspondants à l’étranger afin d’alimenter les comptes qu’elle détient auprès desdits correspondants.
Propos recueillis par Adama Wade