Lorsqu’une personne riche ou influente est détenue dans une prison africaine, il arrive souvent que ses avocats brandissent la dégradation de son état de santé pour obtenir son évacuation sanitaire vers l’Europe. Avec la logorrhée alarmiste des avocats de Bibo Bourgi dans l’affaire Karim Wade, les juges doivent faire preuve de dextérité pour distinguer ce qui relève de la pathologie ou de la supercherie. Aucune discrimination carcérale entre riches et pauvres ne saurait être admise. aliou
Et si les Bobos muaient leurs bobos en maladie imaginaire ?
L’image de l’homme d’affaires Bibo Bourgi poursuivi pour complicité d’enrichissement illicite dans l’affaire Karim WADE, sur un fauteuil avec des bouteilles de perfusion, rappelle celle surréaliste de Hosni Moubarak sur une civière pour aller à son procès. Même si à première vue cela inspire la pitié, on est tenté de se demander si ce n’est pas une mise scène théâtrale pour échapper à la prison. D’autant plus que l’histoire judiciaire a montré que des avocats, à court d’arguments, ont prédit à tort la mort imminente de leur client pour obtenir sa libération pour raison médicale. A cette fin, ils n’hésitent pas de dénigrer le système judiciaire, d’harasser les juges, ou de s’agripper sur la sonnette d’alarme pour ameuter le peuple et arracher sa mansuétude en faveur de leur client. Les avocats de Bibo Bourgi n’arrêtent pas de ressasser que leur client est mourant et s’indignent qu’il lui soit refusé une évacuation sanitaire vers l’étranger. Malgré leur frénésie, certaines interrogations s’imposent à l’esprit. Ils disent eux-mêmes que la pathologie cardiaque dont souffre leur client remonte à près de 20 ans. Cela ne l’a pas empêché de faire prospérer ses affaires durant cette période. Qu’est-ce qui explique alors qu’on doive subitement l’évacuer vers l’étranger? Est-ce la geôle qui aurait aggravé sa maladie ? Si oui, est-il le seul détenu sénégalais à voir son état de santé physique ou psychique se dégrader à cause de la détention ? Est-ce que ses avocats auraient manifesté la même fougue avec un client sénégalais poursuivi pour vol de poules, de Smartphone, ou de bouteille de gaz, et souffrant des mêmes pathologies ? Si c’est une évacuation de confort, il faut la refuser. Car on ne peut pas être détenu en Afrique et s’offrir le luxe d’une clinique-hôtel en Europe. Et s’il faut impérativement l’évacuer à l’étranger, l’Etat devrait prendre toute les précautions juridiques et matérielles pour qu’il ne s’enfuie pas. Ainsi, pour Bibo Bourgi qui aurait la nationalité française, son évacuation ne devrait être permise que vers un autre pays dont il n’a pas la nationalité et qui accepterait son extradition. Bibo Bourgi ne devrait pas refuser cette solution, à moins que son objectif ne soit pas la guérison, mais fuir ou brouiller les pistes. Les médecins outrepassent leurs prérogatives quand il indique de Bibo Bourgi doit être évacué EN FRANCE. Pourquoi la France ? Pourquoi pas un autre pays où il peut être soigné et ne risque pas de s’évader ? Aucune complaisance médicale ne devrait être tolérée par les juges.
Quand « évacuation sanitaire » rime avec « discrimination carcérale ».
Un européen nanti, habitué des belles palaces cinq étoiles, des voitures Porsche, Lamborghini, Ferrari et autres bolides de luxe, peut voir sa santé chuter d’un cran s’il se trouve coincé dans une prison africaine. De même, un marabout habitué aux demeures royales avec servantes, disciples fanatiques et plusieurs épouses dans sa cour, serait très à l’étroit dans nos prisons. Il est dit que Bibo Bourgi aurait été plusieurs fois victimes d’un infarctus et qu’il aurait découvert qu’il souffre d’insuffisance rénale et de diabète. Mais combien de pauvres prisonniers sénégalais, guinéens, camerounais ou congolais souffrent de pathologies plus graves que celles de M. Bourgi ? Si ces derniers avaient subi la batterie de tests qui a décelé les maladies de Bibo Bourgi, beaucoup d’entre eux découvriraient qu’ils souffrent d’hépatite C, d’hépatite B, de drépanocytose, de diabète, d’insuffisance rénale, de pneumonie, de graves infections dermatologiques dues à l’insalubrité et à la promiscuité dans les prisons, et même du sida. Est-ce pour autant une raison de vider les prisons en leur accordant à tous une liberté provisoire ?
L’ex-patron du groupe pétrolier Elf, Loïk Le Floch-Prigent, qui fut détenu à Lomé pour complicité d’escroquerie financière internationale, avait obtenu une évacuation sanitaire vers la France. Au prétexte qu’il allait mourir et avec une forte pression diplomatique, il a été libéré pour raisons médicales. Aurait-il eu le même traitement s’il était un pauvre prisonnier togolais avec la même maladie? Le guide religieux sénégalais Béthio Thioune, poursuivi pour complicité dans une affaire de meurtre, avait bénéficié d’une évacuation sanitaire vers la France, malgré les doutes émis sur la gravité de son état de santé. Un prisonnier sénégalais lambda, ayant les moyens de se faire évacuer vers la France, aurait-il la même faveur ? Par le lobbying et l’intervention diplomatique, des détenus riches ou influents, poursuivis pour des faits graves, parviennent à échapper à la prison en alléguant un état de santé dégradé. Un prisonnier anonyme, condamné pour avoir volé un bœuf et souffrant des mêmes pathologies, croupira en taule. C’est de la discrimination !
Les juges ne doivent pas se laisser impressionner par la logorrhée alarmiste d’avocats et de médecins.
Les avocats savent qu’en émouvant sur la santé de leurs clients, une bonne partie de l’opinion crédule aura de la compassion. Les avocats de Bibo Bourgi doivent arrêter de diaboliser la procédure pénale sénégalaise, de crier au scandale et à l’inhumanité, juste pour obtenir la liberté de leur client. Ils devraient plutôt mouiller leurs robes pour remettre en cause la légitimité de la Cour de Répression de l’Enrichissement Illicite. Le président sénégalais ne doit pas céder aux pressions politiques et doit se garder d’interférer dans la marche de la justice.
Les médecins ne doivent pas se substituer aux juges. Leur travail est de soigner leurs patients détenus et de dresser sans complaisance leur bilan de santé. Ils réclament que leurs avis médicaux ne soient pas remis en cause par les juges. Or il arrive souvent que des médecins émettent des avis contradictoires sur l’état de santé d’un même patient. Fort heureusement, le juge n’est lié ni par l’avis du médecin, ni par celui du banquier, ni par celui de l’historien. En France, des médecins attestent régulièrement que l’état de santé de leur patient étranger « sans papiers» nécessite un traitement impératif, dont le défaut aurait des conséquences d’une exceptionnelle gravité pour sa survie. Pourtant, cela n’empêche pas l’administration de passer outre l’avis alarmant du médecin, et de refuser de délivrer à l’étranger un titre de séjour pour raison médicale, ou d’ordonner son expulsion : le médecin de l’Etat contredit le médecin traitant de l’étranger malade. Ce qui veut dire qu’un des deux médecins s’est trompé, a menti, minimisé ou exagéré l’état de santé du patient. Personne ne crie au scandale.
S’il est impératif de veiller à la vie des détenus, il faut aussi éviter que l’évacuation sanitaire soit dépravée par les riches en échappatoire de prison.
Aliou TALL,
Président du Réseau Africain de Défense des Usagers, des Consommateurs et du Citoyen (RADUCC)