Censure

Face au virus d’Ebola, le gouvernement doit vaincre les résistances et agir sans stigmatiser

Deux raisons peuvent expliquer la résistance de certaines populations à changer de comportements face à la maladie d’Ebola en Guinée. La première est la difficulté d’adaptation de certaines parmi elles aux changements que la stratégie de lutte contre cette maladie apporte à leur mode de vie et à leurs traditions funéraires. Le fait par exemple qu’il soit déconseillé de laver comme par le passé le corps de personnes décédées par suite d’Ebola ou de consommer certaines viandes de bourse peut être mal vécu. La maladie d’Ebola n’est pas un cas unique en ce sens. Le choléra dans les années « 90 » en Guinée avait fait des ravages avant que les populations ne renoncent à laisser les professionnels de santé apporter les soins nécessaires aux corps des personnes décédées. L’analphabétisme d’une frange importante de la population, l’officialisation tardive de l’épidémie pour éviter probablement un mouvement de panique et l’impréparation des structures médicales face à une crise sanitaire de cette importance n’ont pas facilité un rapide changement de comportements.

Selon le témoignage d’un humanitaire qui combattu cette maladie en RDC Congo où elle sévit chaque cinq ans, la stratégie la plus réaliste aurait été de prendre le taureau par les cornes dès l’annonce du premier cas, en isolant la localité concernée de manière à circonscrire la maladie et à empêcher sa propagation. Ensuite, donner l’accès aux médecins (guinéens et étrangers venus pour la circonstance) pour traiter les malades. Enfin mener une importante campagne de sensibilisation sur la manière de prévenir la maladie tout en accordant des aides en vivre et non vivre aux populations concernées. L’agent humanitaire reconnait cependant que ces décisions relèvent exclusivement de la compétence de l’Etat. Mais tenant compte des conséquences qu’elles peuvent produire sur le plan politique, les gouvernements hésitent de prendre de telles décisions. A son avis, ces hésitations expliquent en partie pourquoi à la différence de RDC Congo par exemple, la situation de l’épidémie d’Ébola est unique en Guinée, au Libéria et en Sierra Leone. Dans ces trois derniers pays, dit-il les personnes malades ne viennent pas d’une seule localité mais de plusieurs à la fois, ce qui pose un important défi à relever par les services de santé.

La deuxième raison tient au fait que certaines populations se sentent envahies et en danger à cause de la lutte contre l’Ebola. Elles ont exactement le sentiment contraire de ceux qui les approchent dans le cadre de la lutte contre la maladie. Les combinaisons et masques portés par les professionnels de santé qui viennent leur prodiguer des soins sont loin de les rassurer. Dans ces conditions, on peut se demander si le déploiement des militaires envisagé pour lutter contre ce virus  dans certaines zones affectées n’est pas disproportionné par rapport à l’objectif souhaité, et si cela ne risque même pas de renforcer la peur et la résistance des populations sous informées et peu habituées à faire la Une des medias internationaux.

Malgré ces résistances, rien ne justifiait par ailleurs l’acte odieux des criminels qui ont massacré les représentants de l’Etat venus le 16 septembre dernier sensibiliser les populations de Womey sur le virus d’Ebola. Les auteurs de ces crimes doivent être identifiés, jugés et condamnés à la hauteur de leur forfaiture et cela relève de la responsabilité de l’Etat.

Pour vaincre ces résistances, inutile de stigmatiser les populations concernées ou de les juger au travers des lunettes personnelles. Ces populations doivent au contraire en cette période difficile sentir et vivre la solidarité nationale pour avoir la force de se joindre activement à l’effort collectif de lutte contre cette maladie.  Cette collaboration active doit être considérée par le gouvernement comme un indicateur de performance de son action pour éradiquer ce maudit virus. Pour atteindre cet objectif, le gouvernement doit s’assurer que les populations comprennent les enjeux liés à cette terrible maladie par une politique de communication adaptée à chaque contexte social et culturel de la Guinée.

De plus, le gouvernemental dans son effort doit aller plus loin, en offrant une politique robuste de santé publique aux populations qui inscrira la surveillance des épidémies, le renforcement des capacités de nos structures sanitaires et l’assainissement de notre environnement parmi ses priorités. Pour y arriver, une forte dose de volonté politique est nécessaire. A date, quelques préalables sont réunis : les besoins de la population en matière de santé sont de plus en plus croissants, sans oublier la forte mobilisation financière de la communauté internationale en faveur de la Guinée depuis que cette épidémie est devenue une menace contre la paix et la sécurité internationales selon le conseil de sécurité des nations unies. Ces opportunités devraient être exploitées au maximum par le gouvernement afin d’offrir à la nation un système de santé solide et digne.

Youssouf Sylla, juriste, Conakry

 

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