Censure

Massacres de Womey : Dr Bano parle des conséquences d’une erreur de communication…

Les massacres de Womey lors desquels ont péri 8 membres d’une équipe de sensibilisation contre le virus Ebola continuent de susciter des réactions au sein de l’opinion. Dr Bano Barry, sociologue, professeur à l’université général Lansana Conté de  Sonfonia, que notre reporter a interrogé, donne sa lecture de ce drame, qui selon lui n’est que l’aboutissement d’une erreur de communication et de stratégie de prise en charge de la maladie commise par les autorités et leurs partenaires, dont MSF (Médecins sans frontières).

La Guinée vient d’enregistrer  des événements douloureux suite à l’assassinat de 8 membres d’une équipe de sensibilisation contre le virus Ebola. Un acte qu’il faut mettre sur le compte de l’anarchie qui a l’air de s’être instituée dans notre pays, l’impunité aidant. Que vous inspirent de telles cruautés en tant que sociologue ?

Dr Bano Barry : Vous savez les mots comme cruauté, comme barbarie sont très péjoratifs. En tant que sociologue chaque fois qu’il y a de la violence, ce que nous cherchons c’est de savoir pourquoi il y a de la violence. Quand on regarde ces évènements, on doit les regarder dans deux dimensions : la première c’est que la région forestière depuis plusieurs années constitue une région dans laquelle il s’est passé plusieurs violences. C’est une zone de la Guinée où la terre a énormément de valeur d’après les études économiques qui ont été réalisées. Le foncier en Guinée Forestière pose un enjeu relativement important par rapport à son accès, à sa gestion et à sa transmission. Le deuxième paramètre de cette région qu’il faut prendre en compte c’est que c’est la région la plus extensive par rapport à Conakry, davantage tournée vers le Liberia et la Côte d’Ivoire. Avec les populations où on rencontre la proportion la plus importante de chrétiens et d’animistes par rapport au reste du pays. C’est une zone de forte migration. C’est une zone aussi qui possède un sous-sol extrêmement riche. On pourrait dire que la région de la Guinée Forestière c’est un terreau fertile à des violences. C’est aussi dans laquelle on a vu que les anciens des rébellions du Liberia, de la Sierra Leone et la Côte d’Ivoire, beaucoup de jeunes de cette région ont participé à cette violence. La deuxième explication qu’il faut donner est liée à la gestion d’Ebola et en particulier à la gestion communicationnelle d’Ebola. Vous savez Ebola est une maladie qui n’est pas endogène à la Guinée. Il n’y a pas de nom en Guinée lorsqu’elle est apparue. D’abord, il a été difficile à la situer. On a perdu beaucoup de mois avant que le 24 mars les laboratoires de Lyon et de Hambourg confirment qu’il s’agit d’Ebola. Lorsqu’il a été confirmé que c’est Ebola, ce n’est pas le gouvernement qui est monté en première ligne, c’est Médecins sans frontière (MSF). La communication qui était développée était de dire qu’Ebola venait de singes et de chauve-souris. En le disant, ils ont braqué un côté communautaire de la Guinée Forestière. Qui s’est sentie vexée, stigmatisée par rapport à Ebola. Parce que  nous ne mangeons pas tous la même chose, heureusement d’ailleurs. Deuxièmement, des choses toujours dans la communication, il avait été dit qu’Ebola n’avait pas de médicaments. Quand vous dites à des populations africaines, qu’il n’y a pas de médicaments à l’hôpital, ça veut dire que c’est une maladie dont le traitement se fait chez les tradi-praticiens, chez les marabouts, chez les charlatans. Sans le savoir Médecins sans frontières (MSF) a donc empêché par cette communication d’abord les populations d’aller à l’hôpital, et donc de propager la maladie à l’intérieur des familles et chez les guérisseurs. Et en même temps ils ont poussé une partie de la population guinéenne à considérer qu’Ebola n’existe pas. Etant donné qu’ils ont mangé des singes depuis la nuit des temps. Et que donc ils ne sont pas tombés malades, et que subitement on leur dit que c’est ce qui  fait tomber malade. Elles ont considéré qu’Ebola n’existe pas. Ces erreurs de communication expliquent la réticence. Pour moi Womey n’est que l’aboutissement de ces erreurs de communication dans une région à potentiel conflictuel relativement important. Parce que vous vous rappelez qu’avant Womey, qu’il y a eu Guékédou où les gens ont chassé les enfants du terroir qui sont venus faire la campagne de sensibilisation et ensuite il y a eu Macenta. Il y a eu le marché de N’Zérékoré avant Womey. Pour moi Womey est donc l’aboutissement d’une erreur de communication et de stratégie de prise en charge de la maladie qui s’est soldée par la mort  malheureuse.

D’autres événements sanglants ont été enregistrés dans la même région forestière, suite à des affrontements intercommunautaires qui avaient fait en juillet dernier plusieurs dizaines de morts et de nombreux blessés, ainsi que des dégâts matériels importants. Est-ce dire que la barbarie s’est installée dans cette partie du pays, à votre avis ?

Je vous ai déjà dit si vous dite ça, ça veut dire que nous sommes tous barbares. Il n’y a pas de barbarie en Guinée Forestière plus qu’à  Conakry; il n’y a pas plus de barbarie à Forécariah qu’à Labé. Barbarie est un terme très péjoratif qui en réalité donne une connotation de sauvagerie aux actes que l’on a. Ecoutez, la cartographie en Guinée indique très clairement qu’il y a des régions qui ont un potentiel conflictuel relativement plus important que d’autres régions. C’est le cas de la Guinée Forestière. Mais c’est aussi le cas de Kouroussa et de Siguiri. C’est le cas dans la zone entre Dabola-Mamou et Dalaba. C’est le cas de la zone de contact entre Télimilé-Fria et Boffa. C’est le cas à Forécariah. C’est aussi le cas à Conakry. Si ce qui se passe en Guinée Forestière est de la barbarie, ce qui se passe dans tout le territoire national guinéen en matière de violence, c’est de la barbarie. Ce qui se passe dans toutes les régions africaines où il y a de la violence, c’est de la barbarie. Ce qui se passe aux Etats-Unis lorsqu’un jeune prend un fusil pour aller dans une école pour tirer sur des populations, c’est une barbarie. Ce qui se passe en Chine, c’est de la barbarie. Ce qui se passe en Syrie, c’est de la barbarie. Ce qui se passe en Libye, c’est de la barbarie. En réalité ce n’est pas de la barbarie parce qu’il n’y a plus de barbare au monde. Il y a des hommes et des femmes frustrés, placés dans des conditions de violences, et qui réagissent malheureusement avec beaucoup de violences pour résoudre des problèmes, qui parfois pourraient être résolus, par simplement une gestion politique ou une gestion juridique des problèmes.

Des nostalgiques de Sékou Touré plaident pour l’application de la peine de mort, qui pour eux pourrait dissuader contre de telles cruautés. Partagez-vous cet avis ?

On n’a pas besoin d’avoir des partisans de Sékou Touré. Il y a des partisans de la deuxième République aussi. Il y a eu des exécutions sous la deuxième République. Vous vous rappelez certainement des Mathias, ça ne s’est pas passé sous la première République. Ça s’est passé sous la deuxième République. Ecoutez, si l’exécution des criminels était une solution pour arrêter la criminalité, il n’y aurait plus de criminels aux Etats-Unis et pourtant c’est le pays le plus criminalisé au monde. Mais encore une fois de plus, si les gens considèrent que ça peut résoudre leurs problèmes, il n’y a cas proposer une loi par rapport à cela au niveau de l’Assemblée nationale. Elle sera votée probablement par des députés. Mais à mon avis, ça c’est la vue du sociologue, on ne résoudra pas la question de violence par l’installation d’une violence encore plus cruelle que l’autre violence qui s’est passée.

Les victimes du massacre du 28 septembre viennent de commémorer le 5ème anniversaire d’une l’expédition punitive au stade du stade du même nom en 2009, par la junte du CNDD dirigée par Moussa Dadis. Cette fois-ci les victimes souhaitent que cette commémoration soit la dernière. Pour que justice se fasse. Qu’en pensez-vous?

Il faut toujours espérer. Tout ce qui vit, espère, espérons. Mais vous pouvez être quand même réaliste dans l’espoir, en considérant que ce n’est pas possible qu’il y ait un procès en 2014. Parce que nous sommes déjà vers la fin de l’année 2014. Qu’il y a probablement très peu de chance qu’il y ait l’ouverture d’un procès avant l’élection présidentielle, qui normalement devrait se tenir dans les environs du mois de juin 2015. Ecoutez, dans les conditions normales on pourrait espérer que vers fin 2015, c’est-à-dire dans les environs de septembre-octobre 2015, qu’il y ait le début du procès. En tout cas, tout le monde souhaite qu’il y ait un début de procès en Guinée, pour qu’on sache enfin ce qui s’est réellement passé.

Comment trouvez-vous la justice guinéenne ? Pensez-vous qu’elle saura relever pour une fois le défi, à travers un procès équitable, suite aux massacres de Womey ?

Les éléments en Guinée sur lesquels la justice a été incapable d’aller jusqu’au bout sont très nombreux. Si l’on cite probablement on aura plus de vingt cas de violences. A la fois vis-à-vis des personnes physiques et des violences intercommunautaires… énormément de violences. Et toutes ces violences n’ont pas connu de procès. On peut donc douter que subitement elle devienne efficace plus que d’habitude. A mon avis, il y aura certainement des procès. A quel moment, je  n’en sais absolument rien. Mais vous savez étant donné certains crimes sont imprescriptibles, il y a donc de très fortes chances que ça se passe. Même si ça se passe quelques années plus tard mais ça va se passer. Il y aura de la justice en Guinée.

A présent, dites-nous s’il est nécessaire d’ajourner la rentrée scolaire pour cause d’Ebola ?

Pour moi non.

Pouvez-vous nous donner une explication ?

Ecoutez, Ebola a été déclaré officiellement au mois de mars, les cours ont été arrêtés pendant quelques jours, et puis on a repris. Des mesures ont été prises pratiquement dans toutes les écoles, en matière d’hygiène et nous sommes restés jusqu’au mois de juin, après les examens. Il n’y a pas eu de cas déclaré dans aucune école en Guinée. Aujourd’hui, disons qu’on a plus de moyens et on est mieux informés sur la chaîne de transmission Ebola. Parce Ebola est un virus très facile à tuer et qui aime surtout ceux qui sont salles.

Mais Dr, la propagation de ce virus a pris de l’ampleur depuis août?

Oui, mais il n’y en a  jamais eu à l’école. Aucun n’élève de Guinée n’a contracté le virus Ebola dans une salle de classe.

Le nombre de localités touchées par le virus Ebola a gonflé comme vous le voyez vous-même ?

En faites si vous regardez les malades d’Ebola, tous les malades qui ont contracté Ebola l’ont eu à l’intérieur de la famille. Pas en dehors et à l’hôpital. Il n’y a que deux endroits de contamination d’Ebola jusqu’à présent dans les familles, ceux qui s’occupent du malade et dans les hôpitaux, ceux qui s’y occupent du malade. J’ai comme l’impression que la contamination d’Ebola ne devient réelle qu’à partir du moment où la personne est tombée malade et se couche. Ceux qui viennent pour aider lorsqu’il commence à vomir, lorsqu’il commence à produire des déchets liquides, à partir de ce moment, il devient contagieux et cela se fait à la maison et à l’hôpital.

Si je vous comprends bien les regroupements d’élèves ne pourront pas être source de propagation d’Ebola ?

Ecoutez, il n’y a eu aucun cas d’Ebola dans un marché en Guinée depuis le début d’Ebola. Est-ce qu’il y a un endroit en Guinée où on se rencontre, où on se côtoie de façon plus intense que les marchés de Conakry. Il n’y en a pas. Il n’y a jamais eu un cas déclaré heureusement d’ailleurs. Il n’y a jamais eu un cas déclaré dans une école. Par conséquent, je peux présumer qu’avec le recul et les moyens dont on dispose, c’est-à-dire la possibilité de prendre la température au niveau de la porte de l’école, toutes les écoles guinéennes ont une seule porte d’entrée et une porte de sortie. Chaque salle de classe a une porte d’entrée. Ça veut dire que si l’on donne des équipements au niveau des écoles, il devient possible parce que la machine qui permet de prendre la température n’est pas très sophistiquée, n’importe qui est capable de l’utiliser, s’il sait lire sur un cadran électronique. Ça signifie que si l’on dote les écoles à la fois de moyens qui permettent de laver les mains mais aussi de prendre la température d’abord à la porte de l’école mais aussi à la porte de la salle de classe, il est possible de renvoyer à la maison ou en tout cas dans les structures sanitaires, toutes les personnes ayant une température dépassant les normes requises par l’OMS. A mon avis, il ne sert à rien de fermer les écoles d’autant plus que cela risque de poser beaucoup plus de problèmes au pays qu’Ebola lui-même.

Quel genre de problèmes par exemple Dr ?

Ecoutez, si les écoles n’ouvrent pas, les élections présidentielles sont prévues au mois de juin. L’année scolaire et universitaire risque d’être tronquée définitivement. On risque de se retrouver avec une année à moins de six (6) mois, alors que l’année scolaire et universitaire de Guinée est de huit (8) mois. Cela risque de créer un décalage qui pourrait affecter considérablement à la fois la progression pédagogique mais aussi la tenue des examens. C’est pour cela que je considère qu’il est préférable de prendre des mesures sanitaires adéquates sur lesquelles et qui ont déjà été expérimentées dans des écoles entre le mois de mars et le mois de juin, qui pourraient être renforcées par un dispositif à la fois en fournissant à chaque école un équipement complémentaire de prise en charge et avoir des ambulances qui vont être pré-positionnées pour pouvoir aller chercher n’importe quel cas, dans n’importe quelle zone du pays. Pour permettre d’évacuer très facilement des personnes qui présentent des signes indiquant qu’il y a des risques qu’elles développent la maladie Ebola.

A l’allure où va la Guinée, avec l’impunité et la corruption bien ancrées dans nos mœurs. Etes-vous optimiste que cela puisse changer dans le moyen terme ?

Ecoutez, si on n’est pas optimiste, on choisi entre deux choses : on quitte le pays ou alors on sort dans les rues, on se rebelle. Je crois qu’il n’y a aucun pays au monde qui reste dans la même situation, qui ne change pas. Si le Ghana a changé, les Guinéens ont la mémoire très courte. Le Ghana était considéré à un moment donné comme étant le pays le moins sérieux au monde, pourtant aujourd’hui, il est considéré comme une grande nation. A mon avis, on est dans un processus qui peut prendre du temps. Mais il va arriver une situation de reconstruction et de consolidation de l’Etat mais aussi du fonctionnement des institutions. Mais vous avez raison, ça a trop duré, et les Guinéens ont besoin d’être rassurés, qu’il y a des possibilités réelles que le pays se remette sur des rails et qu’il puisse fonctionner correctement.

Entretien réalisé par Richard TAMONE in L’Indépendant, partenaire guinee7.com

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