Quatre mois après la signature d’un accord entre la compagnie Rio Tinto et l’État pour relancer le développement du mégagisement, la chute des cours du fer vient compromettre leurs plans.
Fin mai, lorsque Rio Tinto et le gouvernement guinéen ont conclu un accord-cadre d’investissement pour le développement du projet Simandou, l’horizon semblait dégagé pour ce mégagisement de minerai de fer. Les responsabilités des différents acteurs dans la construction et la gestion des infrastructures de transport avaient été définies. Et même si aucun planning précis d’entrée en production n’avait alors été arrêté, Alan Davies, PDG du groupe anglo-australien, envisageait un démarrage des exportations du fer du Simandou « à l’horizon 2018 ».
Mais quatre mois plus tard, le doute s’empare une nouvelle fois de ce projet, exceptionnel par sa taille (jusqu’à 100 millions de tonnes de minerai produites par an) et sa complexité (les seules infrastructures ferroviaires et portuaires coûteront quelque 10 milliards d’euros).
Et le groupe minier se montre flou sur le calendrier du mégaprojet, au budget total de près de 15 milliards d’euros. « L’étude de faisabilité déterminera la date de la première production commerciale, sur la base d’une évaluation indépendante effectuée par les entités responsables de la construction de l’infrastructure », indique sans plus de précisions la compagnie dans une réponse écrite à Jeune Afrique en date du 7 octobre.
Gelés
L’incertitude a fait son retour avec la chute vertigineuse (de plus de 40 % depuis le début de l’année) des cours du fer, métal indispensable à l’industrialisation et à la construction d’infrastructures. En intitulant « La fin de l’âge de fer » – une formule qui a fait mouche -son rapport de septembre 2014 sur l’état de la filière, Goldman Sachs a alarmé analystes et industriels du secteur, au premier rang desquels l’état-major de Rio Tinto, deuxième producteur de ce minerai avec 18 % des exportations mondiales.
Selon la banque d’affaires américaine, les prix du fer (cotés ou de gré à gré) ont entamé en 2014 une décrue qui se poursuivra sur une quinzaine d’années, soit à peu près la même durée que la fabuleuse période de croissance que le secteur a connue depuis la fin des années 1990. En cause, la faiblesse annoncée de la demande chinoise (plus de 60 % de la demande totale à elle seule), et l’entrée en production, dans l’Ouest australien, des mégaprojets miniers de BHP Billiton, Rio Tinto et Fortescue Metals Group. Ceux-ci ont commencé à inonder le marché, et leurs coûts de production ont chuté grâce aux économies d’échelle réalisées.
« Les mégaprojets africains comme celui du Simandou risquent d’être gelés en attendant une remontée des cours. D’autant plus que, étant situées dans la zone touchée par le virus Ebola, certaines compagnies minières invoquent la fièvre hémorragique pour expliquer la réduction de leur activité », estime l’analyste Magnus Ericsson, certain que Rio Tinto va jouer la montre.
« En Afrique de l’Ouest, l’épidémie tout comme les incertitudes politiques sont souvent utilisées comme arguments pour délayer les investissements dans le fer. Les miniers l’ont fait il y a dix ans avec la guerre civile en RD Congo, pour ralentir la cadence du cuivre au Katanga », analyse Christophe Asselineau, avocat chez Shearman & Sterling, qui conseille des gouvernements et groupes miniers en Afrique francophone.
Même si Rio Tinto indique qu’il « n’a réduit qu’au minimum ses activités à cause d’Ebola » et affirme que « ses décisions d’investissement sont prises en s’appuyant sur le long terme et ne dépendent pas des prix actuels des matières premières », il y a fort à parier que le démarrage de la mine du Simandou n’interviendra pas en 2018. Le gouvernement guinéen, qui doit bien s’en douter, a d’ailleurs refusé de répondre aux questions de Jeune Afrique sur le calendrier. « Depuis trois mois, j’entends des banquiers, des représentants de fonds d’investissements et des fortunes privées dirent qu’ils veulent faire une pause sur les projets de fer », note Christophe Asselineau.
Faramineux
Pour autant, la fin de l’âge de fer annoncée par la banque Goldman Sachs est loin d’être un diagnostic partagé par l’ensemble des analystes. « Je ne crois pas à une baisse continue des prix sur quinze ans, estime Magnus Ericsson, directeur associé de l’analyste SNL Metals & Mining. D’ici à trois ou quatre ans, les cours de ce minerai, qui tournent actuellement autour de 76 dollars [60 euros] la tonne [avec une teneur de 62 % en fer], remonteront pour repasser la barre des 100 dollars, ce qui relancera l’intérêt des miniers pour les projets africains. »
Par ailleurs, en matière de coûts, en dépit du montant faramineux des investissements pour les infrastructures, le mont Simandou reste le « projet africain phare de Rio Tinto », selon Alan Davies. Il tiendrait la comparaison avec les plus grandes exploitations de l’Ouest australien. D’après le groupe, « le projet devrait être positionné parmi les 25 % les moins chers de la filière ferreuse, ce qui le rendra compétitif tout au long du cycle de production ».
Reste que, avec le décalage probable – de trois à quatre ans – de l’entrée en exploitation de la mine, les autres projets, plus petits, qui lui sont liés sur le plan des infrastructures, devront aussi attendre. Cela devrait être le cas de celui de Kalia, en Guinée également, mené par l’australien Bellzone. Son minerai devait emprunter la même voie ferrée que celui du Simandou, dont la construction est supervisée par Rio Tinto.
De même, d’autres grands projets de fer en Afrique de l’Ouest (voir carte) pourraient connaître un ralentissement : celui du gisement de fer de Mbalam-Nabeba par Sundance, à la frontière entre le Cameroun et le Congo, et celui de Belinga, pour lequel les autorités gabonaises espèrent trouver un partenaire sérieux en 2015.
Source : Jeune Afrique