Petit garçon, j’ai été marqué par les récits de mes parents, évoquant le calvaire des adolescents, qui victimes de rafles massives, étaient entassés dans les commissariats de Conakry avant d’être envoyés aux confins du territoire pour des travaux forcés. Peu d’entre eux sont revenus vivants de cet « esclavage » que le PDG, le Parti-Etat considérait comme des «mesures d’assainissement de la capitale». Dans ces années 1960, cette souffrance du plus grand nombre a été silencieuse et méconnue. C’est ainsi qu’une tyrannie rampante a domestiqué le pays tout entier et s’est attaqué par la suite aux élites politiques et administratives. Elles aussi, ont été broyées par pendaisons ou par la diète noire au camp Boiro de Camayenne.
Mon engagement pour le respect des droits de l’homme en Guinée a été forgé par cette douleur inguérissable. La création de l’Organisation Guinéenne des Droits de l’Homme (OGDH) et mon implication pour faire émerger l’UFDG comme principale force politique de notre pays sont les manifestations concrètes de ces convictions humanistes.
Aujourd’hui plus qu’hier, la Guinée est confrontée à ses plus redoutables démons. La violation des droits de l’homme a atteint un niveau très inquiétant. La violence est devenue structurellement un marqueur de la gouvernance d’Alpha CONDE. L’assassinat politique du Président de la section des motards de l’UFDG, Amadou Oury DIALLO le 15 septembre dernier reste jusqu’à présent non élucidé. Ceux qui l’ont tué, bénéficient de la protection des plus hautes autorités du pays. Cet assassinat marque une nouvelle étape dans l’utilisation de la violence et montre à ceux qui feignent de ne rien voir, que le régime ne recule devant rien pour imposer son joug, quitte à verser « une mare de sang » pour rester au pouvoir… Le recours à la terreur n’est-elle pas l’ultime attitude des dictatures lorsqu’elles sont convaincues d’avoir perdu toute légitimité ?
Cette logique criminelle est aussi appuyée par une politique de domestication des esprits qui se décline aussi vers les parlementaires et les acteurs de la société civile. Les députés Aboubacar SOUMAH, Ousmane Gaoul DIALLO et Holomou Koni Kourouma sont les cibles d’intimidations et de harcèlements afin de les faire taire. Dr Faya Millimonou, le musicien Elie Kamano et les défenseurs des droits de l’homme notamment Avocats sans Frontières sont nommément indexés comme des « activistes qu’il faut dompter ». Le Ministre Sakho de la justice, ancien bâtonnier de l’ordre des avocats de Montpellier est l’instrument de cette politique liberticide. Toutefois, la réaction timorée de l’opposition démocratique suite à l’assassinat du Président de la section des motards de l’UFDG n’incite guère à une levée de boucliers en guise de solidarité en leur faveur. Avec la persistance de cette vision étriquée, suicidaire pour la démocratie et les libertés, c’est la liberté d’expression qui est en sursis.
L’accumulation des frustrations collectives et de l’injustice a atteint un seuil intolérable. Le sentiment de révolte couve dans l’ensemble des secteurs de la société comme en 2006 et 2007. C’est vrai, les guinéens sont en colère et sont profondément indignés. Ils sont victimes d’ostracisme et sont la risée du monde du fait que la Guinée est en proie à une épidémie de fièvre hémorragique Ebola sans précédent. Les morts se comptent par plusieurs centaines. L’économie du pays par conséquent est terriblement affectée. La crise humanitaire est en train de prendre le dessus sur les crises sociales, alimentaires et sanitaires. Pour ne rien arranger les catastrophes de toutes natures se succèdent avec des dizaines de victimes à chaque fois depuis le début de l’année : Lambandji (20 morts), Taouyah (36 morts) ,Womey (14 morts) , Benty (43 morts) et Kérouané (9 morts).
Les inquiétudes perceptibles par-ci, par-là sont légitimes dans un contexte de mauvaise gouvernance systématique. Mais les pleurnicheries et les lamentations ne sont pas de mises, car il est impératif de regarder en face la situation dramatique de notre pays et de se donner les moyens de la changer. C’est un devoir et nous pouvons y parvenir, à la seule condition d’unir les forces et mutualiser nos énergies créatrices pour contrer efficacement cette gouvernance irresponsable et dangereuse.
L’heure n’est pas aux pleurnicheries et aux lamentations. L’heure est à la mobilisation comme en 2006 et en 2007 pour sauver notre pays d’un désastre total et irrémédiable. C’est la seule issue raisonnable.
BAH Oury
Ancien Ministre de la Réconciliation Nationale
1er Vice-Président de l’UFDG