Pendant qu’Ebola tue nos compatriotes, porte atteinte à notre bien –être, nous semblons devenir des myopes. Cette myopie, nous empêche de voir loin, au –delà et d’appréhender les enjeux liée à cette crise. Ebola n’est pas seulement une crise humanitaire, un problème de santé publique, c’est aussi un problème économique.
Les pays touchés par le virus Ebola, ressemblent à des économies sous embargo. Celles –là subissent des chocs d’offre très violentes .Les activités économiques y ralentissent, les problèmes budgétaires y sont déjà omniprésents. Les accumulations de déficits budgétaires sont des terreaux pour le recours à la planche à billet, surtout dans les économies comme les nôtres où la banque centrale ne jouit d’aucune indépendance et subit des pressions politiques très grandes. Ebola n’a donc pas seulement les conséquences immédiates, mais aussi celles différées. Les enjeux qu’il induit sont grands, il faut pourtant les contrôler pour ne pas que la crise devienne systémique et au –delà de nos forces.
La Guinée depuis 1985 est en transition économique, elle peine à se libérer des séquelles des orientations étatistes de la première république et des politiques de libéralisme sans marché et de copains de la seconde république. La Guinée est aussi un pays en transition politique, elle n’est pas une démocratie au sein plein du concept, ni une preuve de démocratie .Elle peine encore à tenir des élections régulières, aux échéances dues, et sincères. Une crise comme Ebola soulève des enjeux qu’il faut donc maîtriser. Mais ni Ebola ni les enjeux qu’il soulève ne sont maîtrisés pour l’heure. Et le Président Alpha Condé aurait dit : « Ma seule priorité , celle actuelle, c’est de combattre Ebola ». Cette assertion n’est pas un péché, mais Ebola ne doit pas être l’hyper –priorité. Perdre de vue les enjeux liés à Ebola dans un pays à myriade de maux accumulés depuis des décennies, c’est faire une mauvaise lecture des réalités et adopter la posture inadéquate. Nous aurions aimé que le Président de la République dise : « Ebola est l’une de mes priorités. » En faisant d’Ebola la priorité des priorités, il met tous les œufs dans le même panier, et voilà l’erreur. Si Ebola n’est donc pas contenu à temps, alors qu’il fut l’hyper –priorité, d’autres crises émergeront et nous serons incapables de les maîtriser dans le temps imparti .Ainsi d’une crise humanitaire et économique, nous irons à d’autres crises, et la crise deviendra systémique. La stabilité politique pourrait en pâtir et cela pourrait avoir raison de celle macroéconomique. Il faut voir loin et non écourter sa vue !
Encore là, il est question d’une vision de temps. Nous percevons comme toujours, le temps comme circulaire, sans coût aucun, ne fût –il celui d’opportunité. Alors que le temps est séquentiel, le temps passé ne repasse plus et la vie n’accepte pas de brouillons à griffonner. Ainsi, un problème aux enjeux non maîtrisés peut conduire à d’autres problèmes et la spirale de problèmes peut engendrer des conséquences sociales et économiques les plus graves.
Depuis qu’Ebola sévit en Guinée, nous refusons de voir loin, et les yeux bandés nous partons vers l’avenir imprédictible. Les élections présidentielles de 2015 approchent et aucun consensus politique nécessaire à la tenue d’élections sincères et apaisées, n’est trouvé pour l’heure . Pourtant les présidentielles ont toujours soulevé des grands enjeux dans cette Afrique où chacun veut diriger. Nous concentrons nos efforts à la lutte contre Ebola, ce qui n’est pas une erreur. Mais nous commettons la grosse erreur de ne pas communiquer clairement à son sujet et contenir ses enjeux à défaut de le circonscrire le plus rapidement que possible. Les élections présidentielles approchent et nous ne faisons rien pour éviter les compromissions, le contentieux électoral et toutes leurs conséquences. Ebola a trop endeuillé nos familles, il est inadmissible que notre myopie endeuille de plus nos familles et accroisse nos frustrations déjà trop grandes.
Il faut aller ici et maintenant aller au dialogue franc et désintéressé au sujet de la tenue des élections présidentielles prochaines. Il faut éviter les compromis abscons .Il n’est plus temps que nous reculions, nos acquis démocratiques ne sont certes pas grands, mais il nous incombe de les préserver dans l’intérêt des Guinéens. Les législatives se sont tenues trente mois plus que prévu et cela doit être une leçon. J’ai l’impression qu’en Guinée, nous n’apprenons rien de l’histoire, nous ne la lisons pas, ou sinon nous ne faisons rien pour la cerner. Quand nous dépassons une adversité, nous refusons d’en tirer les enseignements nécessaires et c’est pour cela que nous allons les yeux bandés vers l’avenir imprédictible. N’ayant pas su tirer les leçons des législatives, les communales n’ont pas eu lieu en Guinée à la date due et probablement elles n’auront plus jamais lieu.
Aujourd’hui le Président Alpha Condé et son gouvernement n’œuvrent pas pour un dialogue sincère au sujet des prochaines élections présidentielles. Quant à la société civile guinéenne elle dort aussi et ne pipe mot. Pourtant si rien n’est fait, la grande crise politique s’annonce en Guinée.
Je m’en vais esquisser quelques scénarios et les conséquences d’une telle crise, avant d’interpeller les uns et les autres. Je ne joue pas à la dramaturgie, mais dénonce un état d’esprit : l’inertie et la pusillanimité politique . Si rien n’est donc fait, les prochaines élections pourraient ne pas avoir lieu à la date due .Et ce serait bien grave .Peut –être qu’Ebola ne sera plus là, mais le temps pour les compromis nécessaires non plus. En ce moment le Président et le gouvernement ne seront donc plus légitimes, car ils auront épuisé leur mandature, et la méfiance naîtra car la confiance des parties sera effritée. L’effritement de la confiance et la méfiance seront le prélude au chaos. Les manifestations de rues causeront assez d’ennuis et de problèmes. Ces manifestations pourraient porter un grand préjudice à l’activité économique en termes de manques à gagner, et les pertes en biens matériels seront bien grands. Les manifestations pourraient déboucher en affrontements entre partisans du pouvoir et ceux de l’opposition .Il faut éviter que l’on soit surpris par de tels évènements ! Diriger c’est prévoir et c’est aussi anticiper.
Si rien n’est fait pour éviter la survenue de tels évènements, ce serait bien là que l’armée interviendrait pour accaparer le pouvoir, car il ne sera plus à personne. Une autre transition militaire avec son corolaire de souffrances s’amorcerait. Et qui est –ce qui vous dira pour combien de temps ? Les transitions aiguisent toujours les appétits.
Et si les élections aient lieu et que les résultats soient refusés du fait des fraudes et des irrégularités, le contentieux électoral se tiendrait. Là aussi, les conséquences seraient graves et le dénouement de la situation compliqué. Nos partis politiques sont sur format ethnique, cela n’est qu’une lapalissade .Le contentieux électoral serait donc synonyme de violences interethniques. Tout le monde sait les deux grandes ethnies susceptibles de se retrouver au second tour, non pas du fait de la vision de leurs leaders par rapport aux autres issus des ethnies minoritaires, mais du fait des votes ethniques émotionnels et insensés.
Dans l’un ou dans l’autre cas, nous serons tous perdants, notre économie se porterait de plus en plus mal, les déficits jumeaux deviendraient abyssaux. Et si dans un tel contexte, l’armée arrive au pouvoir , elle y mettrait assez de temps du fait de l’effritement de la confiance entre les partis politiques et leurs dissentiments .Entre –temps les problèmes économiques deviendront plus pressants du fait de l’asphyxie causée par Ebola ,puis aussi les difficultés liées aux instabilités politique et macroéconomique causées par la crise politique elle –même . Notre incapacité à voir loin aura induit toute cette catastrophe.
Il faut donc ouvrir les yeux et se réveiller de du long sommeil. Nous avons un gouvernement qui est supposé être une équipe, je suis au grand regret de le dire, il ressemble plus à un groupe qu’à une équipe. Tous les membres de cette supposée équipe n’ont pas les mêmes responsabilités, les mêmes missions et tous ne sont pas livrés donc à la lutte contre Ebola .Dire alors que la seule priorité est la lutte contre Ebola, c’est commettre une erreur et une faute politique. J’appelle le Président Alpha Condé à convier son Ministre de l’intérieur et son Premier Ministre à un dialogue franc au sujet des élections présidentielles prochaines.
J’appelle les différents partis politiques et acteurs à concéder et éviter les diversions. Le temps joue à notre encontre et la diversion aussi contre nos intérêts. Les intérêts du peuple de Guinée doivent prévaloir et triompher des ambitions personnelles et puériles : devenir président par tous les moyens et contre les intérêts de tous. En concédant on gagne, mais en voulant tout gagner on risque de tout perdre et de faire perdre son peuple avec soi. Au vue des réalités actuelles liées à Ebola, les échéances électorales prochaines pourraient être prorogées, mais une telle décision doit être concertée et non imposée par décret.
Il n’est pas temps de se livrer à des diversions. La crise actuelle liée à Ebola cache d’autres enjeux, qui, non maîtriser pourraient constituer des crises. C’est enjeux sont des crises potentielles, il faut anticiper leur survenue. J’appelle les uns et les autres au dialogue pour éviter que nous reculions, que nos acquis démocratiques partent à l’eau du fait de notre inconséquence. Si l’armée revient au pouvoir, c’est que notre irresponsabilité aurait justifiée un tel recul. Je ne crains pas pour la Guinée le syndrome burkinabé, nous ne sommes pas dans les mêmes configurations, mais je crains des violences interethniques liées au contentieux électoral. Nous avons trop perdu en temps et en opportunité, luttons contre Ebola et n’oublions pas de maîtriser les différents enjeux liés à cette crise de santé publique, afin d’éviter d’autres crises.
Sanoh Ibrahima,
Citoyen Guinée et Etudiant à l’ENCG de Settat
(212) 06 30 71 47 29.