Le projet de construction de logements de grand standing sur le littoral nord allant de Kipé à Lambanyi, ce jusqu’à Kobaya provoque des grincements de dents au sein de la communauté baga. Lamine Soumah, port-parole du comité de défense de ce littoral a répondu aux questions de notre reporter sur cette épineuse question.
Cela fait des mois qu’un grand chantier a été lancé sur le littoral allant de Kipé à Kobaya pour la construction de logements. Comment avez-vous accueilli cette initiative ?
Lamine Soumah : Ces chantiers ont été lancés par des privés qui sont en train d’investir sur le littoral. Et ces privés, ils sont sortis nous ne savons d’où ? Et ils se sont adressés à qui et comment la convention a été faite? Ça, nous n’en savons rien. On a vu tout simplement pousser des murs, du jour au lendemain en se posant des questions. Comme ils s’intéressaient à la partie de Kaporo, Lambanyi, Kobaya, Waria, Sonfonia, il paraîtrait même jusqu’à Dubreka. On s’est dit qu’il va falloir que nous nous opposions, parce qu’ils nous ont proposé effectivement l’achat de notre bassin, qui s’étend sur 400 à 800 hectares.
Selon certaines sources, certains propriétaires parmi vous ont été dédommagés par les promoteurs du projet. Qu’en dites-vous ?
Comme je l’ai souvent dit dans mes narrations à certains de vos confrères, même au sein d’une famille biologique, il y a des divergences, quand il s’agit d’un héritage. Ils sont propriétaires légaux. C’est leur droit absolu de vouloir vendre. Nous on ne va pas s’opposer à cela. Mais ce n’est qu’une infime partie de personnes qui s’est permise de vendre sa part. Est-ce que d’ailleurs, ils sont autochtones, ça, nous n’en savons rien. Parce que nous savions pertinemment qu’il y a des listes sorties de nulle part. Mais on ne va pas se permettre de vendre la mèche. Nous savons pertinemment qu’il y a des sous-listes.
Existe-t-il un autre groupe qui revendique à part le vôtre ?
C’est un groupe, un seul groupe qui revendique sur tout le littoral. Aujourd’hui ce groupe ne fait que grandir, puisque ceux de Yattaya, de Sonfonia, de Dubreka et même ceux de Bouramaya commencent à s’intéresser au problème. Il y a un dicton soussou qui dit que : ‘’si ton voisin est attaqué, tu ne lui diras pas pourquoi il tu es attaqué, mais plutôt pourquoi nous sommes attaqués ?’’
Comment se fait-il que Bouramaya s’aligne à vos côtés, alors que cette localité ne fait pas partie de Conakry ?
Bouramaya ce n’est pas dans Conakry. Mais c’est toujours le littoral. C’est toujours les baga qui sont installés sur ce littoral là. Ça veut dire qu’à partir d’ici, tel que c’est parti aujourd’hui, c’est le problème baga qu’ils sont en train d’enrailler complètement sur tout le littoral.
Ils viennent vous soutenir ou bien réclamer aussi quelque chose dans ce gros gâteau?
Ils viennent nous soutenir, pour l’instant. Parce qu’ils savent pertinemment le dicton que je viens de dire. Ils savent qu’après Kaporo, Lambanyi, Waria, Kobaya, Sonfonia Yattaya et autres, ils vont s’attaquer à leurs biens aussi. Comme le dit un autre diction ‘l’appétit vient en mangeant.’’
Le gouvernement parle d’un projet gigantesque. Alors que votre communauté s’élève contre la construction de ces cités ?
Nous, nous disons tout simplement que, lorsqu’on se permet de vouloir mettre en place un tel projet, on fait appelle à toutes les sensibilités. J’appelle par sensibilité surtout les propriétaires légaux. Ceux qui sont installés sur le littoral depuis la nuit des temps.
Pour vous ça ne s’est pas fait ?
Ça ne s’est pas fait. Je vous ai cité tout à l’heure les quatre pages de convention qui ont été signées par l’Assemblée nationale au temps de Rabiatou Sera Diallo (NDLR : présidente du conseil national de transition). Je l’ai vue, je sais qu’il existe et cela on ne peut pas me démentir, ça tient sur quatre pages. On ne peut spolier un peuple, une communauté de son bien dont il a hérité de ses ancêtres depuis plus de 800 ans. Et que ça ne tienne seulement que sur quatre pages, ce n’est pas possible. Donc là-dessus, nous disons et nous répétons que nous l’argent qui nous a été proposé, on n’en veut pas.
Aviez-vous entrepris des démarches dans ce sens ?
On a fait de très grande démarche. Nous sommes républicains jusque dans notre moelle épinière. Parce que nous savons pertinemment que ce pays est régi par des lois et des textes républicains. Pour cela, nous nous sommes déplacés vers l’Assemblée nationale, qui est la grande maison de la Guinée, puisqu’elle représente là-bas le peuple. Nous nous sommes déplacés à l’Assemblée nationale, on a été voir tous les groupes parlementaires. Que ça soit de l’opposition ou de la majorité. Mais malheureusement ceux de la majorité ne se sont pas intéressés. Peut être que ce sont eux qui sont plus intéressés par la spoliation. Ce qui ne dit pas son nom.
On a l’impression que vous n’êtes pas écoutés. Quel serait par exemple votre plan B, au cas où l’on ne tiendrait pas compte vos revendications ?
Nous sommes vraiment entendus, parce que tout simplement aujourd’hui, le Groupe républicain et le Groupe des libéraux présents à l’Assemblée nationale s’intéressent à notre sort. La plupart des députés sans exception, nous soutiennent dans notre démarche. Ils savent pertinemment que nous sommes dans nos droits. Lorsqu’on a son droit, on doit jouer là-dessus. On n’a pas le droit de lâcher, parce que le droit ça s’acquiert.
Pensez-vous que l’opposition seule pourra vous aider à obtenir ce que vous revendiquer ?
Je vous vois venir gros comme une maison parce que tout simplement, vous pensez que d’après vous l’opposition est en train de se servir d’un fait pour pouvoir se faire entendre. Mais non, nous ne sommes pas des enfants de chœur non plus. Nous savions très bien ce que nous faisons. Nous savons très bien où nous mettons les pieds. Il y a parmi nous ici des personnes qui sont de la majorité présidentielle. Ça je ne vous le cache pas. Mais avant d’être membres de la majorité présidentielle, ils sont d’abord propriétaires. Alors d’abord les intérêts, rien que les intérêts que des intérêts. Là-dessus, je vous dis que les députés de l’opposition nous ont entendus, ils nous ont soutenus. Même en dehors des députés, certains grands hommes du pays ont commencé à converger vers nous.
A part l’Assemblée vous n’avez pas tenté aussi de rencontrer la première personnalité du pays ?
On a frappé à toutes les portes afin que le président de la République prenne sa responsabilité pour nous recevoir. Le président de la République ne peut pas ne pas savoir qu’à date d’aujourd’hui les baga du littoral disent niet, non. Ils n’acceptent pas le projet tel qu’il a été présenté. Nous pensons que tout ce qui se passe sur le territoire national, le président de la République est au courant. Là-dessus le président de la République quand il voudra, nous sommes prêts à le rencontrer. Mais je vous dis tout de suite qu’on lui a bel et bien adressé des courriers dans ce sens. On a des ampliations.
Il y a une ambiguïté entre vos dires et celui du chef de l’Etat, qui lors du lancement dudit projet a laissé entendre ce jour que tous ceux qui seront touchés par ce projet allaient être dédommagés à leur guise ?
Le français est tellement délicat, ‘’à leur guise’’ il a dit. Ils seront dédommagés à leur guise. Qu’est-ce que le président veut dire par là. Ce sont des chiffres qui nous intéressent nous. Parce que nous savions pertinemment que la société privée qui veut investir sur le littoral à débourser 21 dollars pour le mètre carré. On peut le dire haut et fort, on a toutes les preuves. Mais les petits malins de la place, comme ils ont souvent su le faire se sont permis de piocher là-dans. Ils se sont servis au passage. Et puis, ils se disent les ‘’gros baga’’, on leur proposera tout simplement 3745 franc par mettre carré. Ils vont tomber dans le piège, il n’y aura pas de problèmes. Ce sont des miséreux. Nous ne sommes pas miséreux, nous sommes loin d’être des gens de la misère. Puisqu’on a accueilli toute la misère de la Guinée. Les bagas, on ne fait pas plus de 400 mille habitants. Aujourd’hui le littoral est plein. Conakry a plus de 2 millions d’habitants, les 2 millions d’habitants ce ne sont pas tous des baga. On a ouvert nos mains pour accueillir la Guinée, les trois autres régions de la Guinée sans anxiété. Mais à la date d’aujourd’hui, on ne peut plus accepter à ce qu’on vienne mater des Baga chez eux. C’est la deuxième fois que le dis, quitte à ce que nous fédéralisons ce pays. Nous n’accepterons jamais à ce qu’ils s’installent sur ce littoral, on ne peut pas l’accepter.
Qu’avez-vous à lancer comme message à l’attention des initiateurs de ce projet?
On a déjà écrit. On a écrit à tous les ministères concernés. Si ces ministères ne se sont pas bouchés les oreilles et si vraiment ils tiennent à négocier la chose, s’ils ne veulent pas passer en force comme certains le disent tantôt, ils seraient déjà entrés en contact avec notre comité de défense. S’ils ne l’ont pas fait, c’est qu’ils ont des arrière-pensées. Il faudra peut être qu’ils puissent marcher sur nos corps pour qu’ils puissent mettre là bas une brique. Ils ne mettront pas de briques parce que là-bas, ce sont nos rizières. Nous préférons cultiver, pêcher, faire nos sels que de voir les immeubles là-bas. Sans notre avis, sans qu’on soit associé à la chose.
Auriez-vous une autre suggestion pour finir ?
La suggestion qu’on a aujourd’hui, nous sommes même plus sur le point de vendre, c’est un héritage, un héritage venu de nos ancêtres.
Qu’est-ce que vous voulez dire par là ?
Je veux dire tout simplement qu’on n’a pas le droit de trahir notre patrimoine. Chaque génération se doit de jouer le rôle qu’il peut en son temps. La génération qui nous a légués ça, elle s’est saignée à blanc pour nous léguer cette chose là. On n’a pas le droit de la vendre. Nous associés, nous sommes prêts à mettre peut être en bail. Mais vendre c’est non. Aujourd’hui, c’est le problème de bail qui nous s’intéresse. La vente ne nous intéresse même plus. Ça veut dire que les 3 745 franc, ma foi, ils peuvent se les garder. Nous, nous refusons. On ne veut pas, nous parlons aujourd’hui de bail. Parce qu’après moi Lamine Soumah qui est en train de vous parler, viendra un autre Lamine Soumah. Il y en aura toujours ici. Il y a eu des Lamine Soumah avant moi. Après moi ce n’est pas le déluge. Il y a des baga, l’ethnie baga existe depuis la nuit des temps. Donc nous, nous disons que ce littoral nous préférons le garder tel, s’il doit évoluer dans le bon sens ça sera en nous associant.
Interview réalisée par Richard TAMONE in L’Indépendant partenaire de guinee7.com