El hadj Ahmed Tidiane CISSE rejoint aujourd’hui sa dernière demeure au cimetière de Cameroun à Conakry. Il est parti prématurément avec le regret de n’avoir pas eu le soutien nécessaire du gouvernement auquel il a appartenu. Il avait toujours souhaité laisser une empreinte indélébile dans la politique culturelle de son pays.
Soit ! Mes pensées sont surtout peuplées aujourd’hui des souvenirs de ma première rencontre avec l’artiste et homme de culture sur les bords de la Seine, voilà près de trente années.
En 1984, à la disparition de Sékou TOURE alors que j’étais étudiant en France, j’avais décidé de rentrer définitivement en Guinée que j »avais quitté à l’âge de 6 ans. Ce retour était motivé par une prise de conscience aigüe des défis auxquels la société guinéenne était confrontée. J’avais abhorré l’exil où les membres d’une même famille étaient dispersées aux quatre coins du monde sans se connaître. J’avais vécu douloureusement la séparation physique de plus de dix ans, avec ma famille. J’ai été aussi profondément marqué par la mort de mon père de suite d’épuisement et de maladie sur les contreforts du Fouta-Djalon à Kédougou à la frontière sénégalo-guinéenne, alors qu’il était sur le chemin de retour au pays. En effet , à cette époque ,il fallait traverser clandestinement la frontière car les milices écumaient la zone pour combattre les présupposés « agents de l’impérialisme et de la 5éme colonne » comme le vociférait « la voix de la révolution » l’ancêtre de la RTG.
Les jeunes générations ne le savent pas assez, des milliers de personnes ont été tuées pendant le règne du Parti-Etat le long des frontières guinéennes. Le goulag tropical n’était pas seulement le camp Boiro de Conakry.
Ces deux épisodes de mon enfance ont cristallisé dans ma conscience ,un engagement total pour le respect des droits de l’homme , de la liberté d’opinion et d’expression. Ainsi la disparition de la dictature de Sékou Touré fut une aubaine qui m’a fortement incité à rentrer au pays ,pour continuer à faire vivre autrement mes idéaux démocratiques et civiques.
Dans cette perspective , j’ai recherché dans la capitale française les personnes ressources de la communauté guinéenne avec lesquelles je pensais pouvoir réaliser deux objectifs :
- d’abord renforcer un dispositif politique opérationnel et solide à Paris qui pourrait relayer le combat démocratique qui pourrait s’esquisser à l’intérieur du pays.
- Ensuite rassembler dans la même moule toutes les personnes de bonne volonté, éprises de progrès et engagées à faire évoluer les mœurs politiques de leur pays d’origine.
J’ai eu à ce moment à rencontrer le Professeur Alfa SOW qui, enseignant à l’Institut des Langues Orientales (INALCO) ,avait sur le boulevard Port Royal, ses bureaux où il recevait des intellectuels de toutes les origines. C’est là que j’ai fait la connaissance d’Ahmed Tidiane CISSE. J’ai su en les côtoyant qu’Alfa SOW était leur mentor et leur source d’inspiration. En écoutant ces aînés ,j’ai appris à connaître la Guinée, ses hommes avec leurs faiblesses et aussi avec leurs rêves. J’ai été ainsi familiarisé avec les noms des acteurs des luttes pour l’indépendance et surtout de la mobilisation des intellectuels guinéens et africains pour défendre les syndicalistes et enseignants comme Noumandian KEITA, Ibrahima Kaba BAH et autres qui croupissaient dans les geôles de Sékou TOURE. J’ai également appris comment les Alfa SOW, BAYO Kalifa , Ahmed Tidiane CISSE et bien sûr Alpha CONDE avait créé le MND ( Mouvement National Démocratique) leur structure politique clandestine. L’essentiel de leurs activités publiques avant la mort du dictateur était la publication d’un journal critique à l’égard du régime « Jewol Jamma » (la lumière du peuple) . J’ai appris également comment Alpha CONDE a détourné exclusivement en sa faveur les retombées financières que leur cabinet d’études avait rapporté . Le groupe avait mis en place ,cette entreprise pour pouvoir assurer le financement de leur projet politique en prospectant pour des tiers des marchés dans les pays africains dont les gouvernements étaient animés par d’anciens étudiants en France et militants de la FEANF(Fédération des Etudiants Africains en France ). M. Alpha CONDE qui au début ,n’était que le fondé de pouvoirs de son cercle d’amis politiques, s’appropria la manne financière et s’adjugea ainsi le rôle de patron ,trahissant ainsi la confiance qui était placée en lui. Le MND était en crise à la mort de Sékou TOURE. A ce propos Télé KUDA pseudonyme de Bahna SIDIBE l’ancien ministre de l’urbanisme du gouvernement du Général CONTE avait longuement développé dans ses publications le rôle néfaste qu’a joué selon lui M. Alpha CONDE pour paralyser la puissante fédération des étudiants africains. Cette histoire mérite d’être connue pour permettre de mieux cerner les racines des drames des élites africaines de cette génération .
C’est dans ce contexte que j’ai fréquenté entre 1985 et 1986 ,Alfa SOW , Ahmed Tidiane CISSE et leurs amis du Boulevard Port Royal.
Ahmed Tidjani CisséA mon retour en Guinée à la fin de l’année 1986, j’ai activement initié et impulsé la mise en place de structures de la société civile dans deux principales directions. D’abord il s’est agi d’encadrer les étudiants afin qu’ils créent une organisation autonome pour prendre en charge leurs propres revendications. Le second volet non moins important a été la création de l’organisation guinéenne de défense des droits de l’homme (OGDH). Le lancement de cet important outil avait nécessité plus d’une année de labeur et de préparation. La publication du manifeste de l’OGDH au début de l’année 1990 couronna ce processus inédit dans un contexte de régime militaire d’exception. Dr Thierno Madjou SOW enseignant -chercheur au Ministère de la Recherche Scientifique , Ahmed Tidiane CISSE artiste, Samba TOURE journaliste et correspondant de l’agence Reuters et BAH Oury agent de banque étaient les quatre signataires de l’officialisation de l’existence d’une organisation guinéenne pour la défense des droits de l’homme . Seul espace civique ouvert et critique à l’égard du gouvernement du CMRN , ses rangs se sont vite remplis . Les représentants des victimes de la répression des 04 et 05 juillet 1985 , les cadres de police DIOUMESSY et TRAORE , des intellectuels et cadres du secteur privé naissant , des avocats comme Christian SOW et beaucoup de jeunes étudiants étaient les pionniers de ce nouveau type de militantisme. Cette organisation a été dés le début impliquée pour dénoncer les dérives dictatoriales du régime militaire et la logique sécuritaire qui remettait en cause les promesses de démocratisation du pays. Peu ou prou le déclenchement de la guerre civile au Libéria en 1989 par Charles TAYLOR aura une forte incidence dommageable pour la primauté de l’Etat de droit en Guinée. Ahmed Tidiane CISSE et tant d’autres ont été parmi ceux qui se battaient pour faire libérer des personnes injustement incarcérées et dénoncer sur les ondes internationales des violations graves des droits de l’homme. Par la suite, il a fallu à maintes reprises faire libérer des militants du RPG originaires de la Guinée-Forestiére où les amalgames étaient fréquents entre « rebelles et militants politiques ». L’OGDH a été le creuset qui a favorisé l’éclosion des initiatives politiques de toutes natures, de la création de syndicats comme l’USTG qui a contrebalancé le monopole de la CNTG, à l’émergence de forces politiques opposées au pouvoir en place .
Avec Ahmed Tidiane CISSE, nous sommes parmi les acteurs de cette période qui a fait basculé intellectuellement et politiquement la Guinée dans une autre histoire qui reste à écrire. Au moment où tu rejoins avec les honneurs ta dernière demeure, une profonde tristesse m’étreint avec le funeste souvenir de la mort et de l’enterrement presque en catimini de Alfa SOW à qui Alpha CONDE doit beaucoup. S’en souvient-il ? Je ne le pense pas !
La Guinée officielle s’est révélée particulièrement cruelle pour ses enfants qui se sont sacrifiés pour elle ! A ses illustres disparus , que vos âmes reposent en paix !
BAH Oury
Vice-président de l’UFDG