Comme un coup de couteau planté dans la poitrine, la nouvelle du décès de Thiernodjo Diallo « Bebel », directeur de publication-fondateur du journal « La Vérité » a été un gros choc pour moi. Plus qu’un confrère, Bebel était, en effet tout simplement un frère, un ami avec qui je partageais un respect, une confiance réciproques. La confraternité, née dans les années 90 au sein de la rédaction du journal « L’indépendant » où lui, d’autres et moi exerçaient à l’époque, a, au fil des ans, pris un caractère amical et fraternel. D’autant fraternel, que lui et moi saurons plus tard que nos parents étaient amis et très proches à Fria, la Cité de l’Alumine. Mais, ce fait si important et significatif soit-il en Afrique, n’explique pas à lui seul, la proximité entre Thernodjo Diallo Bebel et moi. L’amour de la profession, le respect de l’éthique, le courage de son opinion, la qualité rédactionnelle et le style dépourvu de toute démagogie sont des valeurs que j’appréciais chez Thiernodjo Diallo.
Si les plumes des grandes signatures de la presse guinéenne de l’époque étaient, dans l’ensemble, belles, celle de Thiernodjo Bebel était en plus respectable et tranchée. Il me voua une amitié et une solidarité à toutes épreuves à chaque fois que je fus confronté à une difficulté dans l’exercice de la profession ou dans la vie courante. Professionnel jusque dans l’âme, THIERNODJO DIALLO BEBEL et sa plume étaient directs, vifs, incisifs, très engagés et combatifs pour des causes estimées justes à l’époque: la démocratisation vraie du pays, le respect total des droits de l’homme, la lutte contre les détournements massifs, les pillages économiques et la bonne gouvernance. Cet idéal et cette orientation ont souvent guidé une plume difficilement aimable par la classe dirigeante d’un pays malheureusement rompu à des pratiques qui justifient encore aujourd’hui les maux de la Guinée.
Au sein du journal « L’indépendant » sous la houlette du rédacteur en chef, Ousmane Tity Faye, nous avons œuvré ensemble afin que l’opposition, superbement ignorée par les médias du service public, trouve elle aussi un cadre d’expression pour le public, ses militants et sympathisants. A ce titre, l’histoire reconnaît à Thiernodjo Diallo Bebel le mérite d’être parmi les premiers journalistes qui ont donné la parole aux hommes politiques guinéens toutes tendances confondues: Elhadj Boubacar Biro Diallo, Aboubacar Somparé du PUP, feu Siradjou Diallo, Kerfalla Bangoura du PGP puis PRP, feu Bah Mamadou, Bah Ousmane, Alexis Doré de L’UNR, feu Issiaga Mara alias » A bas les mains sales » de l’UNDG, Jean Marie Doré de L’UPG, Alpha Condé, Ahmed Tidjani Cisse du RPG, Mansour Kaba du parti Dyama, Dr Sekou Koureissy Condé de l’ARENA, Ismael Ghassim Ghussein, Momoh Bangoura, Lancinet Cisse du PDG-RDA…pour citer que quelques-uns des leaders et leurs collaborateurs effectivement actifs dans les premières années du processus de démocratisation de la Guinée. Nous avons aussi, au nom du principe de la pluralité politique, couvert les meetings et activités de tous ces partis et d’autres agréés à l’époque.
Animés par la culture de la bonne gouvernance, nous avons suivi décortiqué ensemble les différents scandales financiers ayant caractérisé la gestion des affaires publiques: dossier elf, faux marchés, surfacturations, etc.
C’est grâce à toutes ces expériences riches que nous avons, Thiernodjo Diallo Bebel, Abdoulaye Sankara alias Abou Maco et moi-même, fondé, en 1997, « Le Nouvel Horizon » en partenariat avec un frère et ami Abdoulaye Chéri Camara.
Directeur de publication du nouveau journal, et sur financement de la coopération canadienne, c’est à Thiernodjo Diallo Bebel que j’ai placé ma confiance pour couvrir la campagne électorale du candidat du PUP à la présidentielle de décembre 1998, qui se trouvait être le président de la République sortant, le Général Lansana Conté. Difficilement accepté dans le sillage présidentiel notamment par des prédateurs, le reporter du « Nouvel Horizon « , avec la compréhension et le soutien du directeur de campagne, Doyen Cellou Diallo, a pu trouver ses marques et assura la meilleure couverture journalistique de la campagne avec des comptes rendus authentiques reflétant la réalité du ou des terrains. En tout état de cause, à la satisfaction des diplomates accrédités à Conakry et autres observateurs du scrutin. Suite à une brouille éditoriale avec le partenaire, Thiernodjo Diallo Bebel et Abdoulaye Sankara Abou Mako me manifestent leur solidarité et lancent avec moi, « La Nouvelle Tribune », en mars 1999 dans le sillage de « Primo-infos », le bulletin de Primo-Express, la loterie créée par feu Mamady Mara, ancien inspecteur général des finances.
Avec le soutien des personnalités de bonne volonté. Ce journal est né à un moment où la Guinée était confrontée à plusieurs crises politiques et sociales: Contentieux électoraux, contestations des résultats de l’élection présidentielle, arrestation du leader et candidat du RPG, Alpha Condé, l’affaire de Kaporo-rails, les scandales miniers et financiers de Friguia-Impots-Anaim impliquant plusieurs hauts cadres des deux départements et sociétés privées de la place dans l’une des plus grosses malversations de l’histoire de la Guinée. Avec une plume précise, concise et sans aucun état d’âme, Thiernodjo Diallo Bebel crève l’abcès et révèle à l’opinion les dessous et tous les détails liés à ce gravissime et monstrueux scandale.
Son enquête minutieusement menée au coeur du dossier Friguia-Impots-Anaim fut une série médiatique intéressante qui donna une grande crédibilité nationale et internationale au journal naissant.
Au sein de la rédaction, et avec sa grande disponibilité, il suiva les premiers pas de nombreux jeunes journalistes qu’il contribua à encadrer et à former: Abdoulaye Youlake Camara, Mamadou Sacko, Naby Moussa Camara, Ibrahima Marco, Sega Diallo, Alphadjo Diallo, etc.m
Et quand plus tard, Thiernodjo Diallo Bebel décida de relancer son propre journal » La Vérité « , le journaliste est resté en harmonie avec sa conscience, constant sur sa ligne éditoriale, ses principes directeurs: La bonne gouvernance, la démocratie. A ce titre, il continua à combattre les malversations au niveau de l’administration et des commerçants véreux, à défendre les libertés individuelles et publiques. Avec sa plume il accompagna le mouvement social de 2006-2007 contre les dérapages de l’exécutif qui contraignirent le président Conté à choisir un nouveau Premier ministre, chef du gouvernement sur une liste de propositions.
Face à ce nouveau départ, Thiernodjo Diallo Bebel se refusa et résista à toutes les tentatives de manipulations en soutenant ouvertement et fermement les actions du Premier du gouvernement de consensus, Lansana Kouyate. Pour lui, comme Sidya Toure (1996-2000) ce gouvernement tenait largement compte de l’intérêt de la Guinée.
Toujours constant, il se dressa contre la procédure, manifestement corrompue du gouvernement Souaré notamment du ministre des transports de l’époque, Cheick Toure (actuel secrétaire général du même département) de cession du Port Autonome de Conakry à la société Getma International. Une affaire qui expose aujourd’hui la Guinée à de lourdes amendes financières.
Malgré la ténacité du mal qui vient de l’emporter, Thiernodjo Diallo Bebel, avec l’assistance de son complice et compagnon fidèle, Baila Bah, est revenu sur la scène médiatique en relançant une troisième fois son journal » La Vérité » afin de défendre et de soutenir son ami Alpha Condé, l’opposant « pestiféré » avec lequel il était tout heureux de parcourir les ruelles de Kaloum, l’inviolable bastion du pouvoir du Général Lansana Conté. Avec acharnement et agressivité souvent non justifiés, il consacra ses dernières énergies et plumes à pourfendre les opposants de l’historique opposant devenu président de la République. L’homme n’étant pas parfait, c’était sans doute celle de Thiernodjo Diallo Bebel dont l’état de santé dégradant justifie amplement le pardon de tous ceux qui se sont sentis offensés ou blessés par une plume essentiellement consacrée à la défense des faibles, la sauvegarde des intérêts nationaux, la promotion des valeurs humaines.
Affable et profondément humain, Thiernodjo Diallo Bebel était un Guinéen au vrai sens du terme. C’est le lieu de remercier et d’exprimer vivement notre reconnaissance au PDG de Guinée-Games, Antonio Souare qui, dès la manifestation des premiers signes de la maladie, s’est occupé entièrement de notre regretté frère, confrère et ami. Ordonnances, frais d’hospitalisation, dépenses quotidiennes, Antonio Souare a toujours accordé une attention de premier ordre à tout ce qui concerne Thiernodjo Diallo Bebel dont les dispositions d’évacuation avaient été prises bien avant celle que le président Alpha Condé a honoré. Et lors de son séjour médical, Antonio Souare a encore exprimé sa solidarité morale et matérielle à notre collègue.
Abdoulaye CondéIl faut aussi remercier le président Alpha Condé d’avoir assuré l’évacuation sanitaire et tous ceux qui ont dans l’anonymat soutenu Thiernodjo Diallo Bebel dans cette longue lutte contre la maladie.
Finalement, c’est la loi de la vie, la plume combative a perdu la partie face à la mort.
Repose en paix, cher ami, frère et confrère. Que les prières de ce vendredi saint et des jours suivants t’ouvrent les portes du paradis éternel de notre créateur, ALLAH, LE TOUT PUISSANT. Amen
Abdoulaye Condé