Censure

Aboubacar Sylla, président de l’UFC : «Ces meetings, ces marches et cette probable désobéissance civile sont les résultats d’un déficit de dialogue»

Mercredi 21 janvier 2015, à quelques heures du meeting géant de l’opposition, nous avons rencontré le porte-parole de l’opposition, Aboubacar Sylla, pour une interview à bâtons rompus. Avec notre reporter, il détaille, entre autres, le climat politique qui prévaut dans notre pays.

Bonjour monsieur Aboubacar Sylla. L’opposition prépare un meeting le 22 janvier, ce lundi il y a eu une réunion, de quoi s’agissait-il?

Aboubacar Sylla : La réunion que nous avons organisé le lundi dernier, était justement chargé de nous permettre de faire le point sur l’état de préparation de ce meeting. On a donc fait les derniers réglages, nous avons mis au point tous les dispositifs nécessaires pour faire en sorte que ce meeting soit une réussite totale. Nous avons été informés que les autorités ne sont pas opposées à son organisation. Donc nous allons faire en sorte pour que ce soit un succès au-delà de celui du meeting qui l’a précédé, c’est-à-dire le meeting du 7 janvier. Donc nous sommes assurés que les moyens nécessaires pour la mobilisation, pour la sécurisation de la manifestation, pour la prise en compte des contraintes liées à l’épidémie Ebola, tous ces éléments-là étaient réunis. Nous sommes également assurés que les dispositions d’ordre logistique sont également prises, les différents thèmes à débattre sont aussi mis au point. Nous sommes donc prêts à aller à ce meeting qui va être une étape dans le cycle de manifestations que nous avons prévu d’organiser. Nous n’arrêterons que lorsque le pouvoir acceptera enfin nos revendications qui ne sont pas des revendications émanant d’une opposition capricieuse, ce sont des revendications qui s’appuient sur la loi.

Etes-vous rassuré qu’il n’y aura pas d’écueils pour vous empêcher de rééditer l’exploit du 7 janvier qui, malgré les incidents enregistrés du côté de Hamdallaye, a été une réussite en termes de mobilisation ?

Ecoutez, je crois qu’il faut poser cette question aux forces de l’ordre. L’expérience a prouvé lors de toutes les manifestations que nous avons organisées depuis 2011 jusqu’en 2014 et maintenant, que chaque fois que les forces de l’ordre n’ont pas reçu des instructions de l’autorité publique pour disperser et empêcher nos manifestations, nos marches et nos meetings se sont déroulés dans toute la sérénité et dans un esprit républicain. Mais malheureusement, si les forces de l’ordre décident de nous provoquer ou d’attaquer nos manifestants, il est évident qu’il y aura des troubles à l’ordre public qu’il ne faut mettre au compte des forces de l’ordre hein, mais au compte des manifestations. Nous espérons que le statut de l’opposition qui a été voté par l’assemblée nationale et promulgué par le chef de l’Etat va inspirer les décideurs politiques du pays, de manière à ce que l’opposition entre effectivement dans les droits qui sont reconnus dans ce statut, dans cette loi, que notre pays soit quand même dans une situation normale où ceux qui ne sont pas satisfaits de la gouvernance exercée dans notre pays, peuvent manifester sans mettre en péril leur vie ou leur santé ou leur liberté. Donc la réponse est à demander du coté des autorités publiques. Nous, nous ferons en sorte qu’il n’y est pas de la provocation de la part de nos militants, nous ne répondrons pas non plus aux provocations. Nous ferons en sorte que le meeting qui va se dérouler dans une enceinte close comme le stade de Bonfi, se passe sans qu’il n’y ait aucun dérapage, sans qu’il n’y ait aucune violence. Mais si nos militants, soit au retour soit à l’aller sont attaqués, malheureusement nous ne pouvons pas préjuger de cet état de nuire. Mais nous essayerons de, compte tenu de la localisation de ce meeting qui est très loin du siège du RPG-Arc-en-ciel qui a toujours été généralement le point d’accrochage, le point sensible lors de nos manifestations, nous espérons donc que ce meeting qui est géographiquement très éloigné de ce siège-là ne va pas amener à des accrochages entre partisans des deux bords

Pendant que l’opposition fait des meetings et des conférences de presse, la CENI, l’organe chargé d’organiser les élections poursuit ses activités. Elle a déployé des commissaires dans les circonscriptions électorales pour revoir, disons, la cartographie des bureaux de vote dans la perspective des scrutins prévus en 2015. Comment percevez-vous cet état de fait?

Ecoutez, ces meetings que nous organisons, ces marches qui vont suivre probablement très bientôt avec les mots d’ordre de désobéissance civile que nous allons finir par lancer à la population sont les résultats de déficit de dialogue. C’est parce que ce pouvoir refuse ostensiblement  de s’assoir autour de la table avec l’opposition, négocier avec elle des questions relevant de loi de notre constitution que nous sommes amenés à faire des manifestations sur les places et sur les voies publiques. Nous avons constaté que lors de la trêve unilatérale que nous avons décidée en tant qu’opposants, d’une part pour éviter la recrudescence des violences, éviter surtout les récupérations politiques ou communautaires et, d’autre part compte tenu de la fièvre hémorragique Ebola, nous avions comme vous le savez, décidé d’une trêve unilatérale volontaire. Mais, nous nous sommes rendu compte que cette trêve a été mise à profit par le pouvoir pour engager une campagne électorale avant la lettre, pour occuper un espace que nous avons laissé volontairement. Et mieux que ça, pousser la CENI à aller poser des actes que le gouvernement voudrait irréversible qui vont dans le sens seulement de l’organisation de cette fraude massive contre laquelle nous luttons pour avoir des élections transparentes. Donc, nous nous levons en fait pour tout ça. C’est pour d’une part que nos revendications soient prises en compte. Mais à l’intérieur de ces revendications, il y’a surtout la nécessité pour notre Guinée d’entrer dans le cercle vertueux des Etats où les élections ne sont pas des occasions de violence mais plutôt des opportunités de manifestations de la vitalité de la démocratie; où les citoyens expriment leurs suffrages; où les suffrages ne sont ni détournés, ni annulés. C’est pour cette raison que nous faisons nos manifestations. Maintenant la question est de savoir est-ce que  ces manifestations vont aboutir à l’objectif recherché à savoir mobiliser l’opinion nationale et internationale, infléchir la position des autorités pour les amener à s’inscrire dans une gouvernance à défaut d’être irréprochable mais en tout cas acceptable. Ça c’est une autre opposition, en tout cas nous ne nous arrêterons pas en chemin. Nous savons que ce pouvoir, ce n’est que contraint et forcé qu’il accepte de respecter les lois. Nous savons que c’est chaque fois que nous avons fait des manifestations que nous avons eu des avancées, des avancées en matière de dialogue, et en matière de gestion du processus électoral. Nous en avons eu l’expérience en 2012 et en 2013 surtout. Nous allons donc continuer sur cette lancée-là. Nous espérons qu’il n’y aura pas la violence. La violence ne va pas s’inviter dans ces manifestations. Ce n’est pas ça notre objectif. Notre vocation encore une fois en tant que partis politiques légaux, ce n’est pas d’organiser des manifestations sur les voies et les places publiques, ce n’est pas de nous exposer aux intempéries au soleil, au vent, à la pluie, ce n’est pas de nous exposer aux violences de forces de l’ordre qui n’ont pas toujours l’esprit républicain et qui manquent de formation. Mais nous sommes obligés d’en arriver là parce que nous n’avons pas d’autres choix. Nous avons déjà épuisé tout, nous avons échangé. Même hier (Ndlr, lundi 20 janvier) j’ai reçu une lettre du ministre de la Justice en réponse à un courrier que nous l’avions adressé en tant que président du cadre de dialogue précédent pour ouvrir vraiment cette concertation entre la mouvance présidentielle et l’opposition. Cette lettre fait encore état d’une réunion préparatoire qu’il faudrait donc convoquer à une date qui n’est pas encore déterminée pour savoir quel sera le contenu de l’ordre du jour, quel sera le menu qui va être sur la table de négociation. Donc, on n’a même pas encore fixé la date de cette réunion exploratoire, à plus forte raison fixer un calendrier de négociation, a posteriori, aller négocier se mettre d’accord et arrêter un consensus pour le mettre en œuvre. C’est du dilatoire. Depuis de longs mois on est en train de tourner en rond. Et entretemps, qu’est-ce que la CENI est en train de faire comme vous le dites si-bien, mais elle continue à développer ses activités et à nous mettre devant des situations de fait accompli. Et c’est pour ça que nous avons demandé en groupe de revendication le départ définitif de la CENI. Car cette CENI-là, non seulement elle pose des actes de nature à troubler l’ordre public et à mettre notre pays dans une situation d’instabilité politique extrêmement grave. Qu’elle va organiser les élections ou aura tenté d’organiser des élections dont nous savons qu’elle sera caractérisée par la fraude, on va s’y opposer ou les résultats ne seront pas acceptés. En tout état de cause que la Guinée va rester dans un cycle de violence postélectorale. Et ça, nous voulons l’éviter. C’est pourquoi nous demandons le départ de cette CENI. Et puis d’autre part, c’est une CENI qui est illégale et illégitime au jour d’aujourd’hui, parce que ses membres n’obéissent plus aux critères qui sont définis dans la loi 016 qui fonde la composition, l’organisation et le fonctionnement de la CENI, d’autant que ce sont des personnes qui ne sont plus de l’émanation des différents courants politiques et, de façon paritaire et égalitaire comme cela est prévu dans la loi 016. Il n’y a que trois commissaires qui se réclament aujourd’hui de l’opposition sur les vingt-cinq. Alors qu’il en faudrait dix d’après notre loi. A partir du moment où une opposition politique est intervenue au sortir des élections législatives, il est obligé de tenir compte de cette recomposition politique pour recomposer de nouveau cette CENI, voire même la reformer plus profondément que ça. Donc nous avons demandé cela, nous ne l’avons pas obtenu pour le moment. On a voulu passer par le parlement parce que cette loi est une loi organique qu’il faudrait voter au niveau de l’assemblée. Nous avons demandé à ce qu’une session extraordinaire du parlement, depuis le mois d’août, la session a été refusée. Cette session devrait se consacrer exclusivement à la loi sur la CENI, au code électoral et au règlement intérieur de l’assemblée nationale qui est aujourd’hui vieux de vingt-quatre ans depuis qu’elle a été adoptée. Nous n’avons pas obtenu cette session extraordinaire. Nous avons demandé lors de la session actuelle du budget, la session budgétaire, nous avons demandé qu’elle soit projetée de quelques jours parce que la loi nous permet d’avoir une session de quatre-vingt-dix jours au lieu des soixante jours que nous avons consacrés à la session budgétaire. On avait quand même la possibilité de prolonger la session budgétaire pour pouvoir  examiner cette loi sur la CENI et le code électoral. Mais malheureusement là aussi on s’est heurtés à un fait de non-recevoir de la part de la mouvance présidentielle. Ils veulent que le statu quo soit conservé. Car ce statu quo leur permet de poser des actes qui vont aller vers une fraude généralisée pour leur permettre d’avoir de façon indue une majorité aux élections communales et à l’élection présidentielle à venir.

Donc cette crispation politique n’a pas l’air de préoccuper la communauté internationale. Partagez-vous cet avis? Est-ce que cela est dû à l’effet d’Ebola?

Ecoutez, la communauté internationale a un principe intangible. C’est de ne pas faire de l’immixtion dans les affaires intérieures d’un pays. Mais cependant lorsque la situation d’un pays est de nature à troubler la stabilité régionale, à troubler la paix dans le monde et ou à créer des situations qui sont assimilables à des crimes contre l’humanité comme des guerres civiles et autre chose, la communauté internationale à ce moment demande le droit d’ingérence, et c’est ce qu’elle fait en générale. Au jour d’aujourd’hui la situation guinéenne n’en est pas encore là. Nous allons commencer nos manifestations, nous les avons commencées et nous allons les finir. Et peut-être que ces manifestations vont malheureusement dégénérer parce que ce pouvoir, quand il s’agit de nous contenir dans un petit espace il ne s’oppose pas à nos manifestations, mais dès qu’il s’agira par exemple de faire des marches sur les places et les voies publiques pour montrer à la face du monde qu’une frange importante de la population guinéenne est en désaccord avec la gouvernance du pays, à ce moment, le pouvoir a pour habitude de s’y opposer par les voies les plus violentes en mettant en péril la paix civile dans le pays. Et à ce moment la communauté internationale se verra contrainte de venir. Ce n’est pas ce que nous souhaitons. Nous souhaitons que nos problèmes guinéo-guinéens soient résolus entre guinéens. Mais si nous ne parvenons pas par les voies les plus ordinaires, nous sommes dans l’obligation tout en restant conforme à notre constitution d’engager d’autres actions qui peuvent être de nature à attirer davantage l’attention de la communauté internationale et de l’opinion nationale aussi sur les graves dérives que ce régime enregistre et qui sont des dérives de nature demain à nous amener à des situations explosives. Evidement tous les guinéens ne souhaitent pas aujourd’hui ce genre d’expérience vécue dans les pays limitrophes.

Toujours à propos d’Ebola, pensez-vous que ce slogan ‘‘Ebola zéro  en soixante jours’’ n’est pas une chimère quand on sait que les réticences ne sont toujours pas vaincues surtout en Basse-Guinée?

Je suis extrêmement sceptique sur ce défi que s’est lancé cette coordination elle-même. Parce que nous avons vu quand même comment l’épidémie a été gérée à son début. Les trois mois pendant lesquels l’épidémie n’a pas été déclarée et au cours desquels on n’a pris aucune disposition pour contenir la maladie, sont les raisons pour lesquelles cette maladie s’est répandue rapidement en Guinée et à l’extérieur de la Guinée au point de devenir pratiquement une pandémie. Donc j’ai de solides raisons de penser que la manière dont cette fièvre a été gérée en république de Guinée, la façon dont fonctionnent les services publics de notre pays, de la médiocratie et de l’incompétence avec lesquelles ce gouvernement gère les affaires publiques, je suis extrêmement sceptique sur la possibilité d’arriver  à zéro Ebola dans un délai, ce n’est plus soixante jours maintenant, ça doit être dans un délai de quarante-cinq jours, puisque depuis le début du mois de janvier on parle de soixante jours. C’est très peu probable, d’autant que vous le dites si bien, jusqu’à présent il y’a encore des réticences importantes. Des réticences, un an après l’apparition de cette maladie, mettent en évidence l’incompétence de la cellule de communication qui a été mise en place. Et puis généralement, les autorités guinéennes, dans la sensibilisation dans l’information des populations. Comment une année après l’apparition d’une maladie, on commence à constater des décès, comment se fait-il qu’on soit aujourd’hui à près de 1900 morts de ce virus-là, et qu’il y a encore à côté de la capitale des personnes, des collectivités entières qui ne croient pas à ce virus, ils pensent que c’est une invention des autorités. C’est parce que la politique de communication comme la politique de prévention, comme la politique de traitement, comme tout ce qui a été mis en œuvre dans ce domaine, mais cela n’a pas été bien conçu, n’a pas été mis en œuvre convenablement. Comme en Guinée on peut être dans la désinvolture, dans la négligence, on a laissé le défaut s’accumuler, les choses continuer, les mêmes personnes sont là depuis toujours, elles commettent les mêmes erreurs alors que leurs actions sont évidement de nature non pas à éradiquer très vite cette maladie, mais à l’aggraver. On laisse les choses se passer comme si de rien n’était parce qu’on est dans un pays caractérisé par le laxisme et l’impunité, y compris dans les domaines comme ceci. Il n’est de secret pour personne que le début de la maladie il y avait trois ou quatre préfectures qui étaient touchées, aujourd’hui les trois quarts des préfectures guinéennes sont concernées. Donc cela veut dire que les stratégies techniques qui ont été mises en place n’étaient pas bonnes, on a continué sur la même lancée. Et n’eût été l’aide massive de la communauté internationale tant en personnel médical qu’en moyen de lutte, je vous assure que les populations guinéennes auraient été décimées par cette maladie s’il fallait compter que sur les autorités de ce pays pour l’éradiquer.

D’ailleurs il y a une émission à grande écoute lors de laquelle ce  mardi 20 janvier, il a été révélé qu’il y a un ministre de la république qui s’est permis de dire ‘’qu’Ebola ce n’est pas vrai…’’

C’est vrai, moi-même je n’ai pas suivi ça, mais tout est possible en Guinée. Parce que c’est un pays où c’est le laxisme qui règne en maître. Tout est possible, on ne rend jamais compte de ses actes, donc chacun fait ce qu’il veut. C’est ça le problème. C’est pourquoi aujourd’hui partout en Guinée chacun se rend justice, les collectivités se rendent justice, tous les groupes de citoyens quand ils se sentent lésés par une quelconque loi, ils s’y opposent avec succès. Parce qu’ils savent qu’il n’y aura absolument rien qui va en découler. Même s’il y a des violations graves du droit et aussi quand ils sont opposés à quelques choses ils usent de la violence, la plus manifeste et la plus gratuite. On sait qu’il n’y aura jamais d’investigation, il n’y aura jamais d’enquête, il n’y aura jamais de procès organisé et que les coupables ne paieront jamais. Donc chacun fait ce qu’il veut. Regardez le cas du drame de Rogbané qui vient d’être traité, on a oublié celui de Lambanyi alors que c’est des cas tout à fait similaires. Et, puisqu’il y a une forte pression de l’opinion et des médias en ce qui concerne le drame de Rogbanè, il y a eu un procès qui a été initié et les conclusions de ce procès c’est quoi, les leaders principaux à savoir le gouverneur de la ville et le président de la délégation spéciale de Ratoma ont bénéficié d’une relaxe pure et simple. Et ceux qu’on a accusés de culpabilité et de négligence, eux, sont sortis avec cinq mois de prison ferme et ils ont été libérés dès le verdict parce qu’ils avaient passé cinq mois déjà en détention ce qui fait que, ces trente-trois jeunes qui sont morts par la négligence de certaines personnes, il n’y a pratiquement pas de coupables. En juillet 2013 il y a eu combien de morts dans les affrontements communautaires à N’Zérékoré? On parle de deux-cent à quatre-cent morts et d’autant de disparus. Pour la première fois en Guinée des lieux de cultes ont été incendiés, des églises et des mosquées. Mais il n’y a absolument rien eu. Alpha Condé dit qu’il a hérité d’un pays mais pas d’un Etat, je crois qu’aujourd’hui il n’y a presque plus de nation. Au moins il y avait une nation guinéenne, mais aujourd’hui il n’y a plus de nation. Chacun fait ce qu’il veut, il n’y a plus de lois et c’est tout. Tant qu’on ne s’intéresse pas à son fauteuil, le reste n’intéresse pas.

Au sein de l’opposition, on assiste à une sorte de tiraillement entre les deux principaux leaders de partis à savoir l’UFDG et l’UFR autour de cette histoire de candidature unique. Comment appréhendez-vous cette question?

Bon, c’est vrai qu’il y a des conceptions différentes, je dirais même opposées. Quant aux stratégies à adopter pour assurer l’alternance politique en 2015, il y a certains qui estiment qu’une candidature unique serait souhaitable dès le premier tour pour se donner toutes les chances du succès. Il y a d’autres qui estiment que ce serait suicidaire pour l’opposition dès le premier tour de présenter un candidat unique, ce serait donné la possibilité au professeur Alpha Condé de se faire réélire dès le premier tour. Les deux camps ont des arguments qui sont plus ou moins valables. Mais c’est un débat qui reste encore à la lisière de l’opposition puisque c’est la société civile qui en parle beaucoup. C’est un débat politique qui n’est pas encore officiellement posé au niveau de l’opposition républicaine. Nous en n’avons jamais discuté, cette question n’a jamais été inscrite à l’ordre du jour dans une de nos réunions. Probablement ça le sera, mais ce n’est pas encore le cas. J’avais émis mon opinion sur le sujet, mais c’est une question qui mérite d’être débattue encore. Parce qu’il est important que l’opposition républicaine continue son unité d’action car c’est le gage du succès. On ne pourra pas s’en sortir si on évolue dispersés, divisés, parce qu’on sait que ce pouvoir il faut l’affronter dans un front commun au lieu de l’affronter de façon disparate. Parce qu’il ne comprend que le langage de l’épreuve de force. Et l’épreuve de force ne peut être un atout que si elle est accompagnée de l’unité de l’opposition. Nous l’avons déjà fait, la preuve, lorsque nous sommes unis on est capables de faire avancer le débat politique, de faire valoir nos revendications. Et lorsqu’au contraire nous sommes divisés, nous avons en face de nous un politicien dont la spécialité est ses intrigues et la tromperie, c’est quelqu’un qui pense que la politique se résume à l’art d’abuser des autres et non de concevoir un projet de société, d’avoir une vision grandiose pour son pays et d’avoir les moyens, les ressources à mettre en œuvre pour atteindre cette vision. Donc il faut qu’on reste unis. C’est vrai que ceci a tendance à présenter à l’opinion l’image d’une opposition divisée sur cette question, c’est évident. Mais je crois qu’il ne faut pas rêver. Nous sommes unis sur l’essentiel à savoir la gouvernance de ce pays, les élections transparentes, l’évolution du pouvoir par les urnes. Mais lorsqu’il s’agit d’aller aux élections, il est évident que chaque parti dont la vocation est d’arriver au pouvoir et exercer son programme de société, il y aura forcement des rivalités entre les partis politiques. C’est la moindre des choses et il faut l’accepter. C’est le fondement même de la démocratie, on ne peut continuer à être uni indéfiniment et surtout, on n’est pas dans un système de pensée unique au niveau de l’opposition républicaine. On est d’accord sur l’essentiel, mais chacun à son idée, ses ambitions propres.

A votre avis, est-ce qu’en mettant en place un cadre de dialogue comme vous le réclamez en tant qu’opposant, suivi de la formation d’un gouvernement d’union nationale, le pouvoir parviendra-t-il à décrisper l’atmosphère politique?

Il faut qu’il y ait une vacance de pouvoir pour qu’il y ait un gouvernement d’union nationale. Avec l’actuel président, je crois que ça fait partie des rêves les plus fous que certains politiciens ont. Ce qu’Alpha condé n’a pas proposé, que nous n’avons pas suggéré en quatre ans, ce n’est pas maintenant qu’on est entré dans la dernière ligne droite de l’élection présidentielle qu’on va l’envisager. Un gouvernement d’union nationale est possible dans le cadre de vacance de pouvoir. Cela est possible puisque c’est une disposition qui est prévue par la constitution. La vacance de pouvoir existe laquelle  normalement l’intérim est assuré par le président de l’assemblée nationale dans un délai qui lui permet en soixante jours d’organiser des élections. Il est possible que dans ce cadre de période transitoire il y ait un gouvernement de transition. Il est possible aussi, si le professeur Alpha Condé s’accroche indument au pouvoir au delà du mandat que le peuple lui a accordé en 2010, s’il décide de reporter l’élection présidentielle, ce qui m’étonnerais fort parce que son seul atout aujourd’hui auquel il s’accroche, c’est sa légitimité qui se trouve être l’élection présidentielle de 2010. Mais au cas il y aurait retard au niveau de l’organisation de l’élection présidentielle, là aussi on peut parler d’une transition qui va être ouverte sans le professeur Alpha Condé avec la possibilité pour les différents courants politiques et la société civile de se retrouver pour définir les conditions, les modalités et la durée de cette transition. Le RPG arc-en-ciel malheureusement a une structure de parti unique. Le professeur Alpha condé continue d’avoir une culture d’opposant persécuté et qui ne sait pas brasser l’âge, qui ne sait pas avoir un discours d’union, un discours de rassembleur. C’est quelqu’un qui n’a pas le sens du partage. Et le débat politique, ce n’est pas son point fort. Ça, nous le savions depuis qu’il était dans l’opposition. Nous avions espéré une fois converti en homme d’Etat, en président de la république, il allait évidemment s’adapter à cette nouvelle fonction et adopter un comportement républicain, un comportement de rassembleur qui lui permet de rentrer dans l’histoire de ce pays. Mais nous voyons qu’il a toujours exactement le même discours de la même pensée, il est toujours un opposant au pouvoir. Il est incapable de revêtir les habits de président de la république, c’est-à-dire le président de tous les guinéens  qui intervient en arbitre mais aussi en grand rassembleur. Je crois qu’il n’est pas capable de ça. La preuve jusqu’à présent il critique sa propre administration, il critique quelques ministres, il critique des préfets. Parce que dans sa tête il est toujours opposant et il faut toujours  critiquer. Et malheureusement c’est ce qu’il a appris à faire depuis des décennies et il n’a pas la possibilité de changer maintenant, c’est ça le malheur de la Guinée. On n’a pas un président rassembleur, on a un président diviseur, on n’a pas un président qui prend de la hauteur, on a un président qui est toujours dans la mêlée et qui n’est jamais au-dessus du lot. Malheureusement dans ces conditions il a toujours des actions partisanes qui sont de dresser les communautés les unes des autres, de dresser les partis les uns contre les autres. Nous n’avons jamais eu une véritable unité nationale et la cohésion sociale sera toujours soumise à rude épreuve et c’est ce que nous vivons aujourd’hui. Moi, j’ai toujours dit qu’il y a toujours deux types de président qui ont toujours constitué presque les malheurs pour l’Afrique ; ce sont des présidents qui ont toujours été difficiles à gérer. C’est les pères de l’indépendance et les opposants historiques. Les pères de l’indépendance, c’est eux qui ont amené à l’indépendance le plus souvent, et les opposants historiques, qui ont payé le prix fort pour arriver au pouvoir. Parfois ils ont été emprisonnés, violentés ainsi de suite. Et pendant que ceux avec lesquels ils se disputent aujourd’hui le pouvoir étaient de l’autre côté pendant qu’ils étaient de l’opposition. Donc ils se donnent des légitimités qui sont parfois au-dessus de la loi et de la constitution. Ils pensent qu’ils ont des droits qu’on ne peut pas leur contester, ils pensent qu’ils peuvent faire tout ce qu’ils veulent. C’est ça les problèmes de Wade, de Mugabé et le problème de Alpha condé. C’est un très grand problème. Alpha Condé, on peut mettre au débit d’Alpha Condé, en tout cas pas à son actif, au moins cinq à dix violations de la constitution. Ça c’est extrêmement grave. Dans un pays normal où les institutions sont exercées et fonctionnent normalement, où elles sont réellement indépendantes il serait poursuivi depuis très longtemps pour trahison.

A présent parlons de votre parti UFC. Comment se porte-t-il, et quelles sont les perspectives pour cette année électorale?

L’UFC est en pleine relance d’activités. Vous avez suivi il y a  quelques semaines, nous avons  renouvelé nos structures à Conakry et dans les préfectures environnantes, nous avons douze fédérations que nous avons renouvelées il y a moins d’un mois. Et quand nous disons fédérations, les fédérations sont affiliées évidement non seulement à des structures parallèles, c’est-à-dire des bureaux de femmes et des bureaux de jeunes, mais aussi des comités de base qui relèvent de ces fédérations. Donc nous sommes aujourd’hui en pleine relance des activités du parti. J’avoue que le parti a été très handicapé d’abord par ma présence dans le gouvernement de transition, parce que nous avons fait vœu de non candidature présidentielle en 2010, mais aussi par le fait que j’ai une fonction de porte-parole de l’opposition qui était très prenante, que j’étais obligé d’assumer. Parce qu’avant de parler de parti politique d’abord, il faut parler de processus électoral, il faut parler de tracement de l’élection. Il ne sert à rien pour un parti politique si des élections peuvent être des élections truquées. Donc on  s’est beaucoup engagés parce que l’opposition républicaine pense qu’à chaque fois que la transition va s’achever très rapidement, et qu’on n’a pas mis en place une organisation qui ne repose pas seulement sur un porte-parole, on n’a pas de bureau pour l’opposition, on n’a pas de bureau de coordination, on n’a pas de secrétariat. Bref on n’a aucune organisation, tout repose sur le porte-parole. C’est le porte-parole qui fait le secrétariat, c’est lui qui fait la communication, c’est lui qui s’occupe des stratégies, c’est lui qui s’occupe de la représentation de l’opposition au niveau des autorités, au niveau des médias, au niveau de la communauté internationale. Donc ça été une fonction très prenante, d’autant que beaucoup avaient voyagé, et moi, j’étais obligé de faire de la permanence ici tout le temps. Maintenant qu’on est dans une autre logique, on est en train de planter complètement le parti. Et je pense que l’UFC sera prête pour participer aux élections communales et également à l’élection présidentielle soit seule, soit en alliance avec d’autre parti politique.

Est-ce que le parti compte d’autres démembrements dans les quatre régions naturelles du pays?

Je vais vous dire que l’UFC, contrairement à ce que certaines personnes ont eu à dire ici, c’est un parti qui a implanté très tôt ses fédérations d’abord dans tout Conakry, dans toute la Basse-Guinée, dans certaines préfectures de la Moyenne-Guinée et même de la Haute-Guinée. C’est seulement en Forêt que nous ne sommes pas encore bien implantés. Et quand on dit toutes les fédérations que nous avons implantées avec leurs démembrements, parce qu’il y avait des comités de base, au niveau de chaque comité de base il y avait également des structures parallèles qui sont les bureaux de comité de base, les bureaux des femmes et les bureaux des jeunes. Ça c’était valable pour les treize fédérations que nous avions à Conakry et que nous avons amenées à dix. C’est valable pour toutes les préfectures de la Basse-Guinée depuis Kindia où on a trois fédérations et jusqu’à Forécariah, Coyah, Dubréka, Boffa. Non seulement nous avons nos fédérations, nous avons également des comités de base qui ont toutes été installées. Et nous avons aussi une fédération qui est à Kouroussa, ça peut sembler extraordinaire. On en a à Koundara, et dans d’autres parties nous sommes en train de nous implanter progressivement. Lorsque nous nous implantons dans une préfecture, lorsqu’on a un bureau fédéral, on fait en sorte qu’on ait tout de suite les bureaux de sections et les bureaux des comités de base. Nous  faisons en sorte que nous soyons représentés jusqu’à la base. Nous ne nous contentons pas seulement d’avoir des bureaux fédéraux, nous allons aussi plus loin jusqu’au niveau des sections et au niveau des CRD. Donc nous sommes dans cette logique d’implantation au jour d’aujourd’hui et nous espérons que les élections communales vont trouver qu’on a suffisamment avancé et nous pensons qu’à l’élection présidentielle, nous allons nous installer dans la quasi-totalité du pays.

Pour clore cet entretien, nous allons aborder le décès de Bebel, Thierno Sadou Diallo, un de vos anciens employés en tant que fondateur du Groupe de presse l’Indépendant. Quelle est votre réaction suite à cette perte?

C’est une perte très douloureuse pour la presse guinéenne, pour les amis de Bebel, pour tous ceux qui le connaissaient, pour sa famille et ses collègues. C’est un journaliste très compétent, très doué, très engagé et très courageux dans ses opinions. Et c’est un journaliste d’investigation qui allait très loin dans ses enquêtes. Il ne se contentait pas de diffuser des informations qui n’étaient pas sous-tendues par des faits réels et avérés. Donc c’était vraiment un grand professionnel et c’est également quelqu’un qui était attachant. Il a toujours été attaché à moi en dépit qu’on s’est séparés depuis de longues années. Il a eu le temps de continuer son cheminement jusqu’à créer son propre média. Mais on est toujours restés très proches, il a toujours été très reconnaissant envers L’Indépendant, envers son fondateur de l’avoir en quelque sorte initié à la presse comme beaucoup d’autres. Ce que je retiens de lui, c’est vraiment un monsieur très sérieux, très compétent, très honnête. Mais très malheureusement il s’est retrouvé pris dans l’engrenage  de cette maladie qui a fini par l’emporter. Je déplore qu’on ne lui ait pas rendu en tout cas à ce jour, tout l’hommage qu’il mérite. Je crois que et la presse, et les autorités de ce pays et la société civile nationale devaient vraiment lui rendre hommage appuyé pour célébrer en lui, le journaliste idéal pour notre pays.

Interview réalisée par Mamadou Dian Baldé et Oumar Daroun Bah (L’Indépendant, partenaire guinee7.com)

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