Je naïs vers 1949 dans un de ces nombreux petits villages lomas et koniankés qui entourent le Pic de Fon séparant les préfectures de Beyla et de Macenta. Mon village est l’une des rares agglomérations lomas que l’administration coloniale, en traçant les limites des cercles d’alors, a rattachées à Beyla. J’y passe une enfance heureuse, chouchouté par mon vieux père que j’appelais affectueusement à l’instar de mes frères et sœurs, grand-père. Je vis là jusqu’à sept ans dans une ambiance familiale chaleureuse totalement soumise aux coutumes ancestrales dont les rites majeurs se focalisent dans les sacrifices aux morts, aux fétiches, les cérémonies de circoncision, d’excision et de tatouage.
Les lomas sont profondément animistes, ce qui ne les empêche pas de croire à Dieu, créateur du ciel et de la terre et de tous les êtres vivants, ce Dieu qu’ils invoquent à tout moment dans leurs prières. J’ai donc grandi animiste avant de prendre le chemin de l’école au chef-lieu du cercle à Beyla en 1956. C’est là que je découvre l’église catholique, je fréquente les dimanches avec des petits camarades la messe, et après chaque messe le prêtre français qui officiait là et qui se faisait appeler Père Foromo nous fait du catéchisme en langue nationale kpèlèwo. Je finis le primaire puis passe au collège sans jamais éprouver un intérêt particulier pour la foi chrétienne, je reste animiste, croyant en Dieu et aux fétiches. Je me fais rare à l’église mais par contre je me lie d’amitié avec un autre prêtre français, Père Fèvre, qui me donne à lire des revues chrétiennes et des romans.
Après la première année du lycée, je pars à l’aventure à Bamako au Mali avec pour objectif d’y poursuivre mes études. Mais dans l’impossibilité d’intégrer un établissement faute de posséder un dossier scolaire adéquat, je me résous à trouver du travail, au besoin à apprendre un métier. C’est à la paroisse de la cathédrale que je suis embauché d’abord pour tenir par deux fois à l’intérieur du pays les classes de deux instituteurs malades, ensuite comme assistant-bibliothécaire au Centre culturel Djoliba. J’y reste six ans, apprenant le métier de bibliothécaire, participant à différentes activités culturelles comme un club de lecture, un ciné-club et des conférences organisées par le centre. Le milieu aidant je m’adonne de nouveau à la foi chrétienne. Frère Fertin, alors professeur d’histoire au lycée Pie XII à Bamako, nous prend en charge, un ressortissant togolais et moi-même, pour un catéchisme d’adultes. Le cours dure trois ans et aboutit au baptême à Pâques 1972 à la cathédrale sous les offices du regretté Archevêque Luc Sangaré. A la bibliothèque où je travaille, je n’arrête pas de dévorer revues et livres sur les religions chrétienne et musulmane.
Je tombe un jour sur un petit livre qui relate l’histoire des Croisades, ces longues guerres de religion menées par tout l’occident chrétien du XI è au XIII è siècle en vue de libérer Jérusalem et le tombeau du Christ des mains des musulmans. En page de couverture l’image d’une foule scandant « Dieu le veut ! », cri de guerre des Croisés au départ de Rome. Ce slogan déclenche un déclic dans mon esprit, je me convaincs que l’homme fait dire à Dieu ce qu’il pense et mieux il le fait exister, il le crée pour combler ses propres insuffisances. Je commence dès lors à noter dans mes lectures les pensées de quelques grands athées de l’histoire, pensées qui me servent désormais de bréviaire en matière de religion. Ces pensées, les voici :
- Tout ce qui existe dans l’univers est le fruit du hasard et de la nécessité. (Démocrite)
- O mon âme, n’aspire pas à la vie éternelle mais épuise le champ du possible. (Pindare)
- Gémir, pleurer, prier est également lâche,
Fais énergiquement ta longue et lourde tâche
Dans la voie où le sort a voulu t’appeler
Puis, après, comme moi, souffre et meurs sans parler.
(A.de Vigny in « les Destinées »)
- Le but unique de l’existence humaine n’est ni le ciel, ni l’enfer, mais seulement l’humanité que nous portons en nous et sa plus grande perfection possible. (J.G. Fichte)
- On ne peut avoir que de la haine pour tous les dieux. La conscience humaine, c’est la divinité suprême. (K. Marx)
- O Christ, ce voleur d’énergie ! (Apollinaire)
- Une nuit j’ai demandé à Dieu s’il existe qu’il me parle, il resta coi. Depuis je ne lui adressai plus la parole. (S. de Beauvoir)
In Le Démocrate, partenaire de guinee7.com