Censure

Antoinette Sayeh : « Face à Ebola, il y a une nouvelle prise de conscience du FMI »

Directrice du département Afrique du Fonds monétaire international (FMI), la Libérienne Antoinette Monsio Sayeh est le bras droit de la directrice générale Christine Largarde sur le continent. Libérienne de 56 ans, elle a occupé de 2006 à 2008 le porte-feuille du ministère des finances dans le gouvernement de la présidente Ellen Johnson Sirleaf. Alors qu’Ebola a fait plus de 10 000 morts au Sierra Leone, en Guinée et au Libéria, son pays d’origine, Antoinette Sayeh est en première ligne pour tenter de sortir ces trois pays de la crise.

Le FMI a récemment pris des mesures énergiques pour aider le Libéria, la Guinée et la Sierra Leone. Pourriez-vous nous en donner les détails ?

En juillet-août 2014, lorsque la gravité de la flambée d’Ebola est devenue manifeste, nous avons agi avec les gouvernements guinéen, libérien et sierra-léonais afin d’évaluer rapidement les conséquences macroéconomiques et les mesures qui s’imposaient.

Pour financer la lutte contre ce fléau, il était logique de creuser les déficits budgétaires, mais, comme ces pays n’avaient pas accès aux marchés, nous devions également les aider à combler d’énormes problèmes de financement. En mettant en marche des procédures accélérées, le FMI a rapidement réagi, en septembre dernier, pour offrir aux trois pays un financement à taux d’intérêt nul de 130 millions de dollars. Au début de cette année, nous avons également débloqué 160 millions de dollars, toujours sans intérêt. A cela s’ajoute, depuis début février, un don de 100 millions de dollars, sous forme d’un allègement de la dette due par les trois pays au FMI.

Le FMI a également mis en place un fonds fiduciaire d’assistance et de riposte aux catastrophes (ARC) ? Quels sont sa finalité, son budget, ses moyens d’action ?

Le fonds adopté le 4 février permet désormais au FMI de débloquer des dons pour alléger la dette des pays touchés par une catastrophe de santé publique. Ce fonds comporte deux guichets : le premier couvre les catastrophes naturelles, et existe depuis 2010. Le second est nouveau et vise à aider les pays frappés par des catastrophes liées à la santé publique. L’accès à ce fonds est limité aux 38 pays membres du FMI les plus pauvres et les plus vulnérablesLe Libéria et la Sierra Leone en ont déjà bénéficié. Notre conseil d’administration devrait également approuver la demande pour la Guinée le 25 mars.

« Face à Ebola, il y a une nouvelle prise de conscience que, dans la lutte contre les épidémies mortelles, l’aide ne soit pas seulement motivée par des raisons humanitaires »

Les ressources actuelles du fonds fiduciaire ARC sont suffisantes pour aider les pays touchés par Ebola. Mais d’autres moyens seront nécessaires pour le pérenniser. Son financement sera initialement assuré par des transferts provenant d’autres fonds du FMI (environ 200 millions de dollars), sous réserve que les 37 pays qui y contribuent donnent leur accord. Des concours bilatéraux des pays membres – de l’ordre de 150 millions de dollars – sont également envisagés. Le Royaume-Uni a par exemple déjà annoncé qu’il apporterait 50 millions de dollars au fonds et plusieurs autres pays membres ont également manifesté leur intérêt.

L’allégement de la dette, sans exiger de remboursement, représente un tournant dans la politique traditionnelle du FMI. Assistons-nous à un changement de cap ?

Le FMI dispose de moyens puissants pour aider les pays frappés par des catastrophes naturelles de grande ampleur. Nous sommes ainsi intervenus en Haïti en 2010 à la suite du séisme qui a dévasté ce pays. Face à Ebola, il y a une nouvelle prise de conscience que, dans la lutte contre les épidémies mortelles, l’aide ne soit pas seulement motivée par des raisons humanitaires. Elle doit, en plus, en réduisant les risques de pandémie, participer ainsi à l’émergence d’un «bien public mondial».

Outre les crédits à décaissement rapide – et nous sommes en général parmi les premiers à débloquer des fonds – nous mobilisons donc désormais des dons pour alléger l’endettement des pays touchés par l’épidémie. Bien entendu, nous allons continuer à utiliser l’arme du prêt concessionnel, mais face à ce risque de pandémie nous avons décidé d’aller au-delà de notre démarche traditionnelle afin d’offrir un appui supplémentaire.

Cette politique s’appliquera-t-elle, demain, à d’autres pays en crise ?

Le FMI s’est adressé par écrit aux créanciers des pays frappés par la flambée d’Ebola pour les encourager à accorder un allègement de dette – ou à leur fournir un nouvel appui financier. Nous avons adopté le fonds fiduciaire ARC, pour nous doter des moyens de réagir aux risques de pandémie. Bien entendu, cette politique sera appliquée, pour autant que les conditions d’une assistance se matérialisent et que les efforts que nous avons engagés auprès des pays membres permettent de mobiliser des moyens suffisants.

L’épidémie semble sur le déclin, mais la Sierra Leone, la Guinée et le Libéria restent fragiles. Qu’entend faire le FMI pour aider ces pays durant les années à venir ?

Par-delà les pertes en vies humaines et les perturbations économiques, la situation serait bien plus dramatique si les perspectives de croissance à moyen terme étaient menacées. Tout comme les gouvernements, nous sommes soucieux de renouer avec des taux de croissance solides que ces pays avaient affiché ces dernières années.

« Les priorités et les besoins en dépenses varient certes d’un pays à l’autre. Ceci dit, il est clair qu’il faudra beaucoup investir dans la santé, l’éducation et les infrastructures physiques »

Les priorités et les besoins en dépenses varient certes d’un pays à l’autre. Ceci dit, il est clair qu’il faudra beaucoup investir dans la santé, l’éducation et les infrastructures physiques. Même avant la crise, c’était déjà la vocation des programmes que les différents pays menaient, avec l’appui du FMI. Les besoins sont aujourd’hui encore plus urgents. Nous espérons que les partenaires techniques et financiers de ces pays les accompagneront.

Quel espoir avez-vous dans l’avenir de ces trois pays, et notamment du Liberia, dont vous avez été ministre des finances ?

Je reste optimiste. Des progrès ont été réalisés durant ces dernières années, mais nous restons déterminés à aller encore plus loin. D’ailleurs, les politiques mises en œuvre ont été à la hauteur de nos ambitions.

S’agissant des moteurs de croissance, les abondantes ressources naturelles de la région (minerai de fer, diamants, or ou bauxite) auront un rôle à jouer. C’est un potentiel qui reste largement inexploité, même si l’évolution des cours des matières premières demeure incertaine. Il existe aussi des perspectives de développement dans d’autres secteurs, surtout si les pays réussissent à s’orienter vers une production agricole et des services à plus grande valeur ajoutée. Mais, pour cela, il faudra combler les lacunes qui subsistent dans les infrastructures énergétique et routière et continuer à investir dans la santé et l’éducation.

Dans son discours du 5 février, Christine Lagarde a mis la pression sur les créanciers du FMI pour qu’ils aident à alléger la dette des pays touchés par Ebola. Font-ils davantage depuis ?

Un allégement de la dette de la part des créanciers officiels bilatéraux ou une nouvelle aide financière équivalente permettrait d’atténuer dans le court terme les tensions qui pèsent sur la balance des paiements de ces pays, à l’heure où ils s’efforcent de vaincre le fléau, s’emploient à remettre en état leurs services de santé et s’engagent sur la voie du redressement économique. La communauté internationale a déjà fourni une aide considérable, notamment sous la forme de services médicaux, mais il faudra faire davantage pour que ces pays puissent se remettre d’aplomb. Nous espérons que d’autres partenaires suivront le FMI.

De nombreuses critiques accusent le FMI d’être responsable de la crise d’Ebola, pour avoir préconisé dans le passé l’austérité budgétaire, au lieu d’avoir encouragé l’investissement dans les systèmes de santé. Que répondez-vous à ces attaques ?

L’idée est saugrenue. Premièrement, les conditions économiques difficiles et la faiblesse des institutions en Guinée, au Libéria et en Sierra Leone expliquent pour beaucoup les conflits qui ont dévasté ces pays durant les années 1980 et 1990, période durant laquelle ils ont conclu peu de programmes avec le FMI, voire aucun.

« Notre principal souci est d’aider les pays à entretenir cette croissance et à la rendre plus solidaire »

Deuxièmement, l’appui que nous apportons aux pays vise précisément à atténuer leurs difficultés financières. Sans les ressources que nous apportons ou que nous mobilisons auprès d’autres partenaires, les pays auraient encore plus de mal à répondre à leurs énormes besoins de développement. Il ressort d’ailleurs de nos études que les programmes appuyés par le FMI aident les pays à faible revenu à faire reculer sensiblement la pauvreté et à accroître leurs dépenses en matière de santé, d’éducation et de protection sociale, par rapport aux pays se trouvant dans une situation comparable mais ne menant pas de programmes avec l’aide du FMI.

Quels sont les autres grands défis que le FMI doit relever en Afrique ?

Les résultats économiques enregistrés par l’Afrique subsaharienne durant la dernière quinzaine d’années ont été globalement très bons. La croissance moyenne s’est située dans une fourchette de 5 à 6 %, chiffres qui n’ont été dépassés que par les pays en développement d’Asie. Il est tout aussi encourageant de constater que ces statistiques sont allées de pair avec l’amélioration d’un large éventail d’indicateurs de développement : la pauvreté recule légèrement, les taux de mortalité maternelle et infantile sont en repli et les progrès en matière de scolarisation sont satisfaisants.

Notre principal souci est d’aider les pays à entretenir cette croissance et à la rendre plus solidaire. Il faudra pour cela détecter les obstacles et conseiller les gouvernements. Par exemple, la chute des cours du pétrole constitue un redoutable défi pour les huit pays exportateurs de la région. Vu leur marge de manœuvre limitée, ces pays vont devoir opérer d’importants ajustements budgétaires.

Le durcissement des conditions financières à l’échelle mondiale pèsera également sur la croissance dans le court terme. Les pays doivent veiller à ne pas être pris au dépourvu en cas de chute brutale des financements extérieurs, dont le rôle a été important pendant de nombreuses années. Dans une perspective à moyen terme, les pays doivent parvenir à concilier l’impératif des besoins de développement et la nécessité d’éviter une accumulation non viable de la dette.

Bruno Meyerfeld (Le Monde)

 

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