Le président de la plateforme des citoyens unis pour le développement (PCUD), Abdouramane Sanoh revient dans cet entretien accordé à notre reporter sur des sujets tels que le calendrier électoral publié récemment par la Ceni, le retrait des députés de l’opposition de l’assemblée nationale…
Bonjour monsieur Sanoh, quelle est votre réaction suite à la publication du chronogramme électoral par la Ceni ?
Abdouramane Sanoh : Ma lecture à propos de ce chronogramme, c’est que c’est une situation qui résulte d’une incompréhension politique qui perdure depuis un bon moment. Il ne faut pas analyser ce problème tel qu’il est présenté. En tout cas sur le petit bout qui semble se présenter, comme une goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Il faut essayer d’analyser ça dans un angle plus large, en ne faisant pas économie de tout ce que nous observons depuis un bon moment, en termes d’incompréhension politique. C’est une situation qui nous préoccupe. Notre lecture des choses, c’est que ce sont des indices qui confirment tout simplement ce que pensaient les observateurs et les analystes de la situation politique de la Guinée. Qui pensaient que l’année 2015 qui devait être une année électorale, pourrait aussi être une année difficile. Ce sont des indices confirmant cette lecture qui commencent à se manifester et là ça nous préoccupe.
Cette publication a fait des remous au sein de l’opposition républicaine. Elle demande à ce que ses députés suspendent leurs participations aux travaux de l’Assemblée nationale. Qu’en pensez-vous ?
A mon avis ce n’est pas la date qui pose problème, aucun Guinéen ne va s’opposer à l’organisation des présidentielles à la date prévue. Le problème qui se pose est qu’on traine les municipales depuis un bon moment et l’opposition certainement aurait souhaité que les municipales puissent être vidées maintenant. Comme on pourrait le dire dans le jargon judiciaire. En tout état de cause, nous notre position en tant que société civile, c’est qu’il faut nécessairement qu’on se battre pour respecter nos lois. La Ceni qui a proposé la date est une Ceni qui n’a jamais arrêté de faire preuve de maladresse et ce sont ces maladresses qui provoquent souvent des tensions politiques. Je crois qu’elle doit pouvoir revoir son mode de fonctionnement, son mode de communication parce que cette crise s’annonce trop tôt. Et ça risque de compromettre aussi toute cette année comme en 2013. Nous ne pouvons pas permanemment rester dans la tension. Il faut que les uns et les autres pensent aux problèmes des citoyens qui aspirent à la paix, qui aspirent à l’amélioration de leurs conditions de vie, qui aspirent à un pays où il y’a la cohésion sociale, qui aspirent à un développement. Je dirai inclusif où l’emploi des jeunes est garantie, les femmes travaillent convenablement avec des ressources confortables, les travailleurs ne se plaignent pas trop du pouvoir d’achat. Où, il y’a vraiment une atmosphère de convivialité mais pas de haine. Pour cela, il faut que la Ceni comprenne qu’elle est un instrument de la paix. Lorsqu’on fait les élections, c’est pour la stabilité des institutions, la stabilité du pays, pour la sécurité des institutions et des citoyens.
La Ceni doit revoir sa copie afin que la quiétude règne dans la cité. C’est ce que vous voulez dire ?
Je pense que si la Ceni travaille de manière à faire en sorte qu’il y’ait des concertations sur tous les actes qu’elle pose. Ce qui ne compromet nullement son indépendance, et pourrait pouvoir être un instrument de compromis, de rapprochement des positions et non un instrument qui serait présenté comme étant un tournant pour une partie au détriment d’une autre. Ce problème n’est pas un problème aussi facile, c’est souvent difficile, c’est pourquoi la société civile veut prendre du temps à la réflexion. Parce qu’en même temps, c’est une Ceni que nous impose la classe politique : opposition et pouvoir. Toute la classe politique veut avoir une Ceni, où ils sont représentés. Donc ce sont leurs représentants, il est vraiment qu’il y’a une dose de représentants de la société civile, même si ceux là ne nous font pas suffisamment honneur. Il faut reconnaître qu’en fait l’écrasante majorité des membres de la Ceni sont des représentants de l’aspect politique. C’est eux, qui nous imposent une Ceni comme ça. En tout état de cause la société civile ne reste pas indifférente face à la situation. Parce que c’est une situation qui inquiète et il faut bien qu’on n’y fasse face.
Monsieur Sanoh, comment expliquez-vous la réponse de l’opposition républicaine, qui décide de suspendre sa participation aux travaux de l’Assemblée nationale ?
Mais c’est un des moyens qui est à leur disposition, pour exercer les pressions, ça résulte de la logique. Nous, ce que nous souhaitons, qu’ils se comprennent, il n’y a pas d’alternative au dialogue. Il faut que le gouvernement, l’opposition, la mouvance se retrouvent autour d’une table. Il ne faut pas qu’ils attendent pour faire cela ça, c’est urgent. Il ne faut pas attendre que des Guinéens commencent à tomber ou à se faire blesser ou avoir des biens détruits pour aller au dialogue. Parce qu’ils finiront par ça, mieux vaut le faire maintenant et je crois cela est de la responsabilité du gouvernement.
Le président de la République annonce la relance du dialogue dès le retour de son ministre de la Justice. Cela vous rassure-t-il?
Mais je me pose la question de savoir pourquoi le dialogue a été bloqué en 2014. C’est cela en fait tout le problème. C’est-à-dire que la Guinée, il faut bien qu’on le comprenne, c’est comme un héritage familial, ça appartient à tout le monde. Et donc, il faut nécessairement le compromis. Que sa gestion soit apaisée, il n’y a pas d’alternative à ce niveau. Je souhaite que le ministre vienne rapidement, si c’est cela la position de la plus haute autorité pour que assez rapidement qu’il y’ait un dialogue avec des compromis. Il faut qu’il soit préparé à des compromis. Afin de nous permettre de pouvoir faire des élections apaisées, quel que soit l’ordre et que ces élections soient consensuelles. Parce que surtout, c’est ce consensus là qui permet de créer les conditions de confiance mutuelle.
L’opposition menace de reprendre les manifestations de rue. Nous savons qu’en Guinée les manifestations sont souvent source de dégâts et de morts. Vous en tant membre de la société civile, que préconisez-vous pour qu’on n’en arrive pas à ça?
Vous voulez qu’on dise à l’opposition de ne pas marcher non, ce n’est pas notre rôle de dire à l’opposition de ne pas marcher. Si la loi prévoit la marche et que l’opposition pense que c’est un moyen de l’utiliser, elle n’a qu’à l’utiliser. Mais nous parlons là, aux acteurs politiques dans leurs positions respectives. Nous parlons au gouvernement, nous parlons aux acteurs politiques de la mouvance présidentielle : notamment le RPG arc en ciel, qui constitue la principale ossature de cette mouvance. Nous voulons parler aux acteurs de l’opposition, qu’ils n’ont pas le choix que d’aller au dialogue. Ils doivent reprendre le dialogue comme étant une valeur de notre culture, se mettre autour de la table pour parler de la Guinée. Ça ne ferra que les valoriser. La violence ne peut être la solution définitive : poser des actes qui soient de nature à susciter la colère à provoquer des frustrations. C’est inciter à la violence, ne pas écouter, c’est inciter à la violence. Vouloir exiger plus qu’on ne peut avoir, c’est aussi provoquer la violence. Ils doivent aller aux compromis pour s’accorder sur un minimum. C’est à partir de ce moment là que la société civile, va organiser sa veille pour garantir la mise en œuvre des accords auxquels les acteurs politiques auront aboutis. Mais la Guinée à besoin de la paix, nous avons besoin de la paix, personne ne doit mettre cette paix en danger. C’est en cela que nous trouvons maladroit la manière dont la Ceni se comporte. Il y’aura d’autres problèmes qui vont naître. Parce que ça masque beaucoup de choses. Lorsqu’ils vont être autour de la table, il y’aura beaucoup de problèmes : la problématique même de la Ceni. Parce qu’on le sait, tous les rapporteurs des élections législatives étaient unanimes que la Ceni était un problème. J’ai bien peur qu’on entre dans le cycle de petits jeux, qui risquent vraiment de nous ramener à la radicalisation. Je ne le souhaite pas, mais la société civile est en train de s’organiser. Nous allons travailler à nous organiser pour que nous soyons en position de juguler prochainement ces tentatives de maintenir la tension et la peur dans le pays. A partir de notre capacité de mobilisation, pour que nous soyons plus des observateurs mais des acteurs qui auront leurs mots à dire, dont les mots peuvent être écoutés.
Vous dites que vous allez vous mobiliser, mais certains estiment que la société civile actuelle, joue souvent le jeu du médecin après la mort. Cette fois-ci, est-ce que vous allez prendre les devants pour éviter que le pays soit pris en otage par des acteurs politiques?
La société civile à ses propres problèmes, elle est en rupture de contrat avec les citoyens. Les citoyens n’ont pas confiance à la société civile, il faut qu’elle travaille, pour cela. Nous sommes en train d’aller vers les états généraux pour qu’on nettoie la devanture de notre propre porte. Qu’on nettoie les saletés qui sont là, c’est bien beau de dire que la classe politique fait ceci, fait ou cela. Mais nous même, on a des problèmes, il faut qu’on les règles. Heureusement que l’écrasante majorité des acteurs aujourd’hui des leaders sont prêts à aller à cela. Ils sont mobilisés, c’est tant mieux pour la Guinée. Maintenant une fois qu’on aura terminé cela, je crois que les politiques, nous verrons avec beaucoup plus d’attention. Parce que, n’oublier pas une chose, il y’a des acteurs qui sont acteurs de la société civile avec des discours démagogiques le jour et la nuit, ils sont avec les politiques, pour aller prêter allégeance. Aussi longtemps que des attitudes perdureront au sein de la société civile, elle ne sera pas écouter, elle n’aura pas d’impact sur le cours des choses. C’est ce défi là, que nous avons à relever tout en nous mobilisant pour les urgences que soulèvent la classe politique.
Entretien réalisé par Richard Dassassa in Le Démocrate