La Guinée semble se diriger dorénavant vers le point de non retour dans le différend autour du chronogramme électoral, qui a amené l’opposition à projeter des marches de protestation prévues respectivement le 13 et le 16 avril. Des manifestations de rue qui auront lieu, après la journée « ville morte » qui s’est déroulée le jeudi dernier dans la capitale, et qui avait été partiellement suivie. Le refus du pouvoir d’entendre raison, et la persistance de l’opposition à obtenir coûte que coûte satisfaction à ses revendications, tourne finalement à une guerre des égos, qui ne peut que plonger le pays dans la léthargie.
Ce mercredi au moment où nous allions sous presse, l’opposition a confirmé la décision prise lundi dernier d’organiser des manifestations de rue, à travers une marche pacifique prévue pour le 13 avril contre l’insécurité, qui sera suivie d’une autre marche pacifique contre cette fois le chronogramme électoral rendu public récemment par la Commission électorale nationale indépendante (Ceni). Chronogramme qui fixe la présidentielle au 11 octobre. Avant les élections locales qui, elles, auront lieu à la fin du premier trimestre de 2016, comme l’a prévu l’institution chargée d’organiser les votes en Guinée. C’est au cours d’une conférence de presse qui s’est tenue à la Maison de la presse, que les leaders politiques réunis au grand complet ont fait cette annonce relative à ces actions de désobéissance civile, qu’ils comptent exécuter la semaine prochaine. L’opposition entend réagir au blocage politique mis en œuvre par le pouvoir, afin de permettre à la Ceni d’opérer sa fuite en avant, consistant à préparer les élections, sans que les partis politiques de l’opposition ne soient associés à quoique ce soit. C’est cette situation qui a amené Aboubacar Sylla et ses pairs à bouder l’assemblée nationale dont la session des lois a démarré mardi dernier.
Le porte-parole de l’opposition a eu à déplorer durant cette conférence la ‘’mauvaise foi’’ du gouvernement en ces termes « nous avons tout fait pour que le dialogue s’ouvre. Mais nous sommes aujourd’hui dans une situation où le pouvoir joue de manière dilatoire pour retarder le dialogue qui aurait permis d’être plus près de la Ceni, et empêcher cette main mise totale sur le processus électoral.»
Pour Aboubacar Sylla la démarche de l’opposition vise à stopper ‘’l’évolution du processus électoral’’, dans son allure actuelle. Et de marteler en guise de désaveu de la Ceni « nous ne reconnaissons plus la Ceni comme organe en charge de l’organisation des élections en Guinée. Et nous appelons les populations à une désobéissance vis-à-vis des institutions illégales.»
Cette conférence de presse a été une occasion pour les leaders de lancer des piques au pouvoir, dont la gouvernance a été passée au crible, notamment par Sidya Touré. Le président de l’Union des forces républicaines (UFR) a ainsi pointé du doigt l’incapacité des autorités à sortir les Guinéens de la pauvreté. Déplorant au passage que la mise en place des institutions républicaines soit le cadet des soucis du pouvoir. « C’est nous qui voulons que les institutions se mettent en place dans ce pays. On tourne en rond dans un pays où depuis cinq ans on ne parle que d’élections. Nous voulons des élections parce que c’est légal et que le temps est venu de le faire », a indiqué Sidya Touré dans son intervention.
Pour l’opposant « le débat, il faut demander à Alpha Condé pendant tout son mandat qu’est-ce qu’il a fait ? Ce qui est plus visible aujourd’hui dans ce pays est l’incompétence, l’amateurisme et l’incurie dont ils font preuve.»
Le président de l’UFR a regretté que « la Guinée soit un pays qui n’a même pas une croissance économique de 1%. Alors que l’objectif d’une société privée c’est d’avoir des bénéfices. En macro-économie l’objectif c’est de créer la richesse, c’est ça la croissance économique », a fait savoir l’ancien Premier ministre, en bon économiste.
L’opposition a dénoncé aussi les cas des violations des droits de l’homme enregistrés récemment dans la préfecture de Gueckédou, où des populations seraient victimes d’exactions, pour la simple raison, qu’elles ne soient pas de la même obédience politique que les gouvernants. Ce qui s’apparenterait à un crime de « lèse majesté », par ces temps qui courent. Comme pour dire que quiconque se refuserait de faire allégeance au parti au pouvoir, pourrait subir la colère des sbires du régime.
Albert Damantang Camara, comme à l’accoutumée, a encore réagi à l’annonce de l’opposition portant sur l’organisation d’une marche le 13 avril contre l’insécurité. « C’est une marche destinée à lutter contre l’insécurité. Nous sommes tous concernés par une telle marche. Or, nous n’allons pas marcher, nous-mêmes, membres du gouvernement. Parce que nous savons que les marches, surtout en cette période assez sensible peuvent parfois dégénérer. Mais nous sommes sensibles à l’insécurité en Guinée », a indiqué le porte-parole du gouvernement.
Avant de préciser ceci «nous faisons ce que nous pouvons, avec les moyens qui sont les nôtres pour essayer de rétablir la sécurité. Nous sommes désolés de ce qui est arrivé à M. Sylla, le ministre de la Sécurité a instruit ses services de rechercher les présumés auteurs », souligné Damantang.
Le ministre de l’Enseignement technique et de la formation professionnelle affirme qu’on pourrait d’ailleurs ‘’faire l’économie d’une telle marche autour d’un sujet qui selon lui réunit tous les Guinéens’’. Tout en prévenant cependant que ‘’si l’opposition veut organiser sa marche, alors qu’elle prenne ses précautions, pour qu’elle se déroule dans le respect des règles républicaines d’ordre public.’’
On est loin de la détente souhaitée par maints observateurs, tant les discours qu’on entend dans les deux camps sont de nature à favoriser le durcissement des positions. Comme si la déchirure était dorénavant inévitable.
Aliou Sow (Le Démocrate)