Censure

Le pouvoir du mensonge doit-il amener au Pouvoir ? (Par Ousmane Boh Kaba)

Ousmane Boh Kaba

 

Lundi 6 avril 2015, Aboubacar Sylla, le porte-parole de l’opposition guinĂ©enne, affirme Ă  la presse avoir Ă©tĂ© victime d’une tentative d’assassinat le week-end de PĂąques, en haute banlieue de Conakry.

Mardi 7 avril 2015, au sortir de leur conclave et suite Ă  cette prĂ©sumĂ©e tentative d’assassinat, l’opposition guinĂ©enne affirme : « Il existe aujourd’hui, en GuinĂ©e, un commando armĂ© chargĂ© d’éliminer physiquement les acteurs politiques en gĂ©nĂ©ral et tous ceux qui gĂȘnent ce pouvoir en place
 A la confĂ©rence de presse de mercredi 8 avril, nous allons Ă©taler devant les journalistes des preuves troublantes d’enregistrements sonores et d’autres informations qui impliquent de hauts responsables de ce pays ».

Mercredi 8 avril 2015, au cours de la confĂ©rence de presse, l’opposition annonce :    « La derniĂšre fois, nous avons promis de vous donner des preuves troublantes quant Ă  l’existence d’un commando de la mort. Mais nous avons dĂ©cidĂ© de ne pas pour l’instant vous donner ces preuves ».

Une semaine plus tard, la prĂ©sumĂ©e tentative d’assassinat de Monsieur Aboubacar Sylla est oubliĂ©e. Les mĂ©dias attendaient des rĂ©vĂ©lations, ils ont eu droit Ă  des confidences, assertions, supputations, et 
 Ă  un appel Ă  une marche contre l’insĂ©curitĂ©. Quel Ă©tait donc le but rĂ©el de cette aventure ? Serait-elle une instrumentalisation politique?

Comment peut-on accepter de dĂ©filer derriĂšre les pompiers pyromanes d’aujourd’hui qui, de 1990 Ă  2008, ont chĂ©ri les causes du mal qu’ils dĂ©plorent Ă  prĂ©sent : dĂ©shĂ©rence des classes populaires, en particulier celles qui sont ghettoĂŻsĂ©es dans les banlieues, aggravation des inĂ©galitĂ©s sociales et scolaires qui laissent sur le carreau un nombre croissant de nos frĂšres et sƓurs et le champ libre aux dĂ©linquants de toutes sortes ?

Si, parce que le professeur Alpha CondĂ©, en tant que prĂ©sident de la rĂ©publique depuis dĂ©cembre 2008, est considĂ©rĂ© par certains actuellement comme responsable de ces maux, saurait-il en ĂȘtre la cause ?

L’assassinat de Madame AĂŻssatou Boiro, la directrice du TrĂ©sor, abattue par des hommes armĂ©s en pleine rue, Ă  Conakry, en novembre 2012 a provoquĂ© une vive Ă©motion en GuinĂ©e. Le peuple a Ă©tĂ© bouleversĂ© et atteint dans sa chair. Le chef de l’État a indiquĂ© que cet assassinat « ne dĂ©tournera pas le gouvernement guinĂ©en de sa campagne anti-corruption ». Il a rendu hommage au travail de la directrice du TrĂ©sor, qui « a luttĂ© sans rĂ©pit contre la corruption dans notre jeune dĂ©mocratie. Elle a Ă©tĂ© emportĂ©e de la pire maniĂšre mais son travail ne sera pas vain. Nous continuerons le combat contre la corruption ». A l’instar de Madame Boiro, Thierno Aliou Diaoune, El hadj Amadou Oury Diallo, les jeunes de bambĂ©to, les villageois de Zogota, de Gallapaye et de WomĂ©, ont eu leur mort rĂ©cupĂ©rĂ©e, tout le monde le sait, par l’opposition, contre la gouvernance de Alpha CondĂ©.

Dans les annĂ©es 90 et aprĂšs, la sous-rĂ©gion de la riviĂšre Mano Ă©tait caractĂ©risĂ©e par une instabilitĂ© et une insĂ©curitĂ© endĂ©mique, alors que des guerres civiles de grande ampleur ravageaient la Sierra Leone et le LibĂ©ria. Notre pays se trouva lourdement impliquĂ©e dans chacune de ces deux guerres civiles et eut sa part de rebelles armĂ©s. La prolifĂ©ration des armes, la prĂ©sence d’un grand nombre de rĂ©fugiĂ©s de la Sierra Leone, comme du LibĂ©ria, contribua Ă©galement et de façon significative Ă  la dĂ©tĂ©rioration de la situation sĂ©curitaire.

De l’avis de tous les observateurs, le summum de l’insĂ©curitĂ© a Ă©tĂ© atteint en 1994 avec la terrible bande Ă  Mathias. De paisibles citoyens, des commerces, des pharmacies ont Ă©tĂ© attaquĂ©s nuitamment ou en pleine journĂ©e. Ces agressions, par leur violence, avaient marquĂ© les esprits.

Madame AĂŻssatou Boiro n’était pas une opposante au gouvernement pour justifier son Ă©limination. N’y a-t-il pas quelque chose d’obscĂšne dans cette derniĂšre tentative de rĂ©cupĂ©ration de l’émotion justifiĂ©e du peuple guinĂ©en ? Jusqu’à preuve du contraire, ce qui s’est passĂ© le 6 avril de cette annĂ©e est une mystification. Allons-nous tolĂ©rer l’utilisation du dĂ©sarroi populaire Ă  des fins politiques ? Le peuple continuera-t-il Ă  se cacher les yeux face aux tentatives de dĂ©stabilisation manifestes ? Nous l’avons vu et vĂ©cu : la peur n’éloigne pas le danger. Quel que soit le parti au gouvernement, celui-ci se doit d’assurer le bien-ĂȘtre et la sĂ©curitĂ© de son peuple pour en mĂ©riter la confiance

Droit fondamental pour chaque citoyen, la libertĂ© ne peut ĂȘtre garantie sans la sĂ©curitĂ©. Alors que la lutte contre l’insĂ©curitĂ© est l’objectif de tous les gouvernements, aucun n’a vraiment rĂ©ussi Ă  faire reculer de maniĂšre significative l’insĂ©curitĂ©, rĂ©elle ou ressentie. L’opposition a souvent accusĂ© le gouvernement de laxisme et inversement. Certes, personne n’est Ă  l’abri d’erreurs de jugement ou d’actes manquĂ©s. Ne serait-il pas temps dans un domaine aussi sensible aux yeux de tous de nous efforcer de parvenir Ă  un consensus, si possible rĂ©publicain ?

Ousmane Boh Kaba