Depuis quelques mois, l’idée soutenue par certains citoyens guinéens est qu’il nous faut une révolution populaire en vue de mettre fin à l’impunité et d’amorcer un vrai développement. Certains politiciens défendent publiquement cette idée, pour eux la Guinée et son peuple sont en danger et qu’il faille les sauver. Ils déclarent, ces penseurs, intellectuels et politiciens guinéens que le pouvoir guinéen est illégitime et qu’il faut une vraie insurrection pour mettre fin à sa dérive. Ils appellent les Guinéens à renouveler leurs efforts, à sortir de la peur et à affronter avec la plus grande fermeté le pouvoir d’Alpha Condé.
Importe la définition que chacun donne à la légitimité, moi, je ne crois pas que la rue soit le meilleur moyen de libérer la Guinée de ses myriades de maux. L’insurrection populaire est la piètre des idées que puisse proposer un citoyen guinéen. Dans ce papier, je tâcherai de montrer que les exemples évoqués par nos défenseurs hargneux de l’insurrection populaire sont inconséquents et incohérents.
D’emblée, je dois dire que je ne suis pas d’accord avec toutes les politiques du Président Alpha Condé. Il est le choix des Guinéens, comme je respecte les Guinéens, je me dois de respecter leur choix. Ne pas être d’accord avec les idées d’un dirigeant ne doit pas impliquer que l’on nie certaines de ses réalisations, moindres soient-elles, que l’on baigne dans la chicanerie la plus absurde qui soit. Je ne participe d’aucun parti politique, mon choix est celui des intérêts de la Guinée. La Guinée a son histoire à elle, pénible ! Aujourd’hui, je ne crois pas que le pouvoir soit confisqué en Guinée, notre Président n’est pas candidat à un troisième mandat, il tend vers la fin de sa première mandature. C’est son droit de se présenter à un second mandat ou de se désister au profit d’un autre.
Ce qui m’intéresse, c’est de savoir est-ce que l’on peut avoir des élections transparentes par le truchement desquelles le verdict des urnes et le choix du peuple de Guinée seraient respectés. Je crois que oui. Les législatives de 2013 ont montré que cela est possible. Pour la première fois de notre histoire, un pouvoir en place n’a pu gagner une élection avec la majorité absolue et était en phase de perdre la présidence de l’Assemblée nationale. Ce même pouvoir pourrait perdre les présidentielles de 2015. Ne me demandez pas comment, ce n’est pas le dessein de ce papier.
L’insurrection populaire ne permettra pas de mettre fin aux maux de la Guinée, elles les aggraveraient. Parce que les insurrections populaires ont toujours moins de chance d’aboutir. On peut bien renverser un pouvoir en payant un certain prix, mais bien souvent les insurrections populaires sont inefficaces et aggravent les maux des peuples, parce que :
1) La foule n’a pas d’objectifs élucidés
Le premier argument est que dans une foule, il n’y a pas les mêmes préférences et aspirations. Dans une foule, les objectifs ne sont pas les mêmes, voilà un écueil. Il est facile de s’asseoir dans son salon en Occident et d’appeler à une insurrection en Guinée. Quelle hypocrisie que d’inviter les enfants des autres à se faire tuer pour son dessein à soi, tout en ayant les siens dans les grandes mégapoles du monde !
Je n’ai jamais vu les Guinéens mener une simple grève qui se termine bien. Dans les écoles, j’ai vu lors des grèves des étudiants qui cassent les bancs, les fenêtres et qui brûlent leurs propres dossiers scolaires. A Guéckédou , lors d’une grève , les élèves brûlèrent la Direction préfectorale de l’éducation et les milliers de dossiers partirent en fumée . A Dabola, lors de la grève des syndicats de 2007, les populations brûlèrent la Direction préfectorale de l’élevage. Lors des manifestations, les boutiques sont attaquées par les affamés, leurs contenus emportés. Quand les membres du Comité Militaire de Redressement National, sous l’égide du Colonel Lansana Conté, ripostèrent au putsch manqué du Colonel Diarra Traoré, en 1985, les populations profitèrent du désordre pour piller les magasins et violés les propriétés. Les manifestations de 2007 et celles des années qui suivirent montrent que nos manifestations et révoltes populaires sont incapables d’infléchir l’ordre des choses en dépit du bilan humain très affligeant qu’elles impliquent.
Pourtant, l’insurrection populaire surpasse les grèves et les manifestations. Une insurrection populaire sous-entend l’usage de la violence pour infléchir un ordre et établir un nouvel. C’est en sorte le désordre qui conduit à un nouvel ordre, du moins en théorie et dans les fantasmes ! Comment les insurgés auraient-ils les mêmes objectifs, si les aspirations et les préférences sont antagoniques ? Le pouvoir d’Alpha Condé ne fait pas l’unanimité et l’insurrection non plus. Il risque d’avoir la confrontation de deux groupes et le pouvoir sera du côté de ceux qui le soutiendront. Que veulent les défenseurs de cette insurrection : le génocide d’une partie, afin qu’interviennent une force d’interposition internationale ? En quoi de telles éventualités profiteraient aux Guinéens et mettraient fin à leurs maux.
2) La force a ses limites
La révolution française fut d’abord intellectuelle, sans les idées, elle aurait avortée. Daniel Mornet dans »Les origines intellectuelles de la révolution française 1715 – 1785 », démontre cette idée et explique comment les intellectuels français préparèrent la révolution et la planifièrent.
Les intellectuels guinéens sont les grands friands de la précipitation. Quand le Comité Militaire de Redressement National leur invita à suggérer des idées pour la réforme de l’exsangue économie guinéenne en 1986 , ils ne prièrent aucun recul , acceptèrent l’idée qu’il fallait brusquement tout privatiser ici et là . Cette idée était celle des institutions du Bretton Woods. Au lieu de préférer le gradualisme, nos intellectuels choisirent la thérapie du choc. Les conséquences de cette privatisation précitée et impréparée sont connues ! Les leaders de l’opposition guinéenne sont toujours victimes du bombardement limbique. Ils peuvent s’engager dans une chose et puis se dédire quelques tierces après. Bien souvent, ils agissent avant de réfléchir et la conséquence, c’est le regret.
La chute des partis politiques de 1990 assigne aux partis politiques guinéens les missions d’éducation civique et politique de leurs membres et partisans, mais ils ne le font pas. Lors des manifestations ils stipendient des jeunes qu’ils prennent pour de la chair à canon, sans éducation politique et civique , ceux-là s’attaquent à tout et entravent l’exercice des libertés individuelles dont celle de la mobilité des biens et des personnes . Comment peut-on appeler un tel peuple à une insurrection ? Je pense qu’il est temps de faire interner les défenseurs de l’insurrection populaire dans les centres psychiatriques. Ils souffrent de la démence.
Le printemps arabe a avorté parce que les peuples qui les initièrent n’étaient pas très avertis et ne prirent pas le temps de les planifier. D’ailleurs, une révolution implique des incertitudes, il faut de la matière grise pour parer à celles-là . Si la révolution tunisienne a relativement réussi, c’est parce que le peuple tunisien est l’un des plus éduqués d’Afrique. Habib Bourguiba, fut un leader visionnaire, il a investi dans son peuple. Au Yémen, en Egypte , en Libye et partout ailleurs, les résultats du printemps arabe sont connus : douleur, sang, régression et regret.
Ceux qui implorent l’insurrection n’appellent qu’au désordre, leur seule fin est de renverser le pouvoir en place. Mais notre objectif, à nous autres, est de changer la condition de vie de nos citoyens et pour cela nous avons besoin d’une instabilité politique. Si l’on tombe le pouvoir en place et que l’anarchie s’installe, nos conditions de vie ne changeraient point, mais s’aggraveraient. C’est pour cela appeler à l’insurrection est lâcheté.
3) L’insurrection conduit aux incertitudes
Point d’insurrection qui n’enfante pas les incertitudes. On commence une insurrection, on prévoit sa fin et son déroulement, mais les réalités deviennent autres. La guerre du Liberia a commencé quand j’étais tout petit, elle ne prit fin que j’avais atteint la majorité. Ceux qui planifièrent l’assassinat du Président Samuel Doe et qui l’exécutèrent, précipitèrent ce pays aux perspectives d’avenir radieuses dans le chaos. Les millions de Libériens périrent dans cette guerre qui entrava le développement de leur pays. Par le fait de la guerre, le Libéria perdit tout : capital physique , humain et son espoir .
Ceux qui appellent à chasser Alpha Condé par la rue, évoquent l’idée de la transition après la destitution de son régime. Notre Etat est faiblard, lui tomber, serait un crime. Nos institutions sont malades et cacochymes, comment pourraient-elles conduire à une transition civile dans l’éventualité d’une guerre civile. Les transitions pourraient aiguiser les appétits, conduire aux conflits d’intérêts et la confiscation du pouvoir par des groupies plus fortes. Les révolutions peuvent même être confisquées par les militaires. Les velléités de confiscation du pouvoir par le C NDD sont connues et tous savons comment nous avions eu l’issue. La révolution égyptienne, par exemple, fut détournée par les islamistes et puis par les militaires. Hosni Moubarak fut chassé du pouvoir, mais les conditions du peuple égyptien s’aggravèrent sous l’ère des islamistes et même aujourd’hui, l’Egypte peine à renouer avec ses performances datant de l’ère Hosni. Est-ce cela le but d’une révolution : la régression ? Quand le Président Nkrumah fut renversé du pouvoir en 1966, dix coups d’Etats se succédèrent au Ghana. N’eut été la décision du Commandant John Jerry Rawlings de rendre le pouvoir aux civils, le Ghana serait encore dans l’impasse. Le Général Konaté, en dépit de tout ce qu’on peut lui reprocher, rendit le pouvoir aux civils. Bâtissons la démocratie. Le choix d’affaiblir l’Etat est ignoble.
Si le dessein de ceux qui appellent à l’insurrection est de conduire l’armée à accaparer le pouvoir, je leur dis qu’ils sont plus que des traîtres à la Guinée. Avec les révolutions détournées, les pouvoirs discrétionnaires permettraient aux militaires d’accaparer nos maigres ressources financières. Que veulent-ils par l’insurrection : détruire un ordre précaire pour installer un désordre ?
4) L’insurrection contre un pouvoir légitime implique qu’il réagisse
Vouloir la fin du pouvoir issu des urnes par des moyens autres que les urnes et non pacifiques, c’est lui donner le droit de riposter. Les dirigeants d’un pays ne peuvent pas accepter la déstabilisation de ce dernier. Le Président de la République a l’obligation de défendre la souveraineté de son Etat. Dans une telle riposte, il userait des moyens disproportionnés. Quand on est attaqué, on riposte, c’est aussi simple que cela.
Il fut un temps où j’étais de ceux qui croyaient que tous les complots dénoncés par Sékou Touré furent inventés à dessein, avec le recul, bien que je ne sois pas un admirateur de ses choix économiques et politiques, je reconnais qu’il fut bien attaqué et à travers divers fronts. Aujourd’hui, en 2015, ceux qui appellent à la rébellion ne se cachent pas, ils le disent sur tous les toits et mêmes dans les médias internationaux. C’est bien malheureux qu’ils soient convaincus que le seul moyen de faire quitter le Président Alpha Condé du pouvoir ne soit que par la violence.
Comparer la Guinée à la Côte D’Ivoire et justifier l’imminence d’une rébellion comme ce fut le cas en Côte D’ivoire dans les années 2000 , est une imposture . En Côte D’Ivoire, il fut inventé le concept d’ivoirité en vue d’exclure et de déchoir certains Ivoiriens de leur nationalité. A qui sa nationalité a été interdite ? A qui on a nié le droit de se présenter à une élection ? Par ailleurs, l’idée qui consiste à dire qu’il faut la guerre civile pour que les Guinéens partent de sur de nouvelles bases, les bonnes, est un blasphème. Ceux qui défendent cette bride d’idées évoquent ainsi le génocide rwandais et établisse une causalité entre celui-là et l’essor économique actuel du Rwanda. Quelle paresse intellectuelle ! S’il faut des morts pour que les nations s’émancipent et émergent, la Guinée a tellement perdu de ses enfants qu’elle devrait être une économie émergente. Les victimes obscures et illustres de la première République, celles de la seconde, celles d’Ebola, celles de nos manifestations, n’est-ce pas suffisant et de trop ? Le Guinéen a perdu le sens de la compassion, certains de nous implorent la mort des autres, se réjouissent du trépas des autres et pis, n’entrevoient leur succès que dans les chute des autres.
Ainsi, les conséquences d’une insurrection seraient :
1) La faillite totale de notre Etat
Notre Etat est faiblard, il nous importe de le revigorer, mais si par nos choix irréfléchis et malsains nous lui mettons à terre et puis à plat ventre, les conséquences suivantes en découleraient.
2) L’aggravation de la pauvreté et des inégalités
Un Etat défaillant ne peut favoriser la création de richesses et de valeurs. Si penser que l’insurrection permettra de mettre fin à l’impunité et de briser la cercle vicieux du mal-développement est celle soutenue par ses défenseurs, qu’ils comprennent que l’incertitude engendrée et aggravée par l’insurrection induirait la chute de l’activité économique et aggraverait la pauvreté. Si l’insurrection aboutit, elle induirait la chute du pouvoir mais causerait plus de chômage, de pauvreté et d’inégalités pendant la période transitoire dont le déroulement et la fin sont inconnus. Pourquoi enfoncer notre pays dans une mauvaise aventure quand d’autres choix bien réfléchis sont possibles ?
3) La détérioration des niveaux de vie
Partout où se tinrent des insurrections, ne seraient-ce que pour quelques jours, les niveaux de vie y furent détériorés. Les petites violences politiques de 2013 causèrent la baisse substantielle des recettes de l’Etat. L’insurrection populaire devant conduire à la chute d’un régime ne se passe jamais comme prévue, elle nécessite plus de temps et peut avorter. Si la soi-disant insurrection nécessitait quelques mois, de combien baisseraient le niveau des recettes de l’Etat ? Les militaires en charge de la transaction ne vont-ils pas recourir à la planche à billet pour couvrir les charges de l’Etat ? Le seigneuriage et puis l’hyperinflation en découleraient !
Les périodes de violentes instabilités politiques et les hyperinflations ont toujours coïncidé. Quand Augusto Pinochet renversa Allende Salvador en 1973, les Chiliens savent combien ils souffrirent de la volatilité des pouvoirs d’achat. La thérapie du choc des Chicago Boys ne permirent pas de renouer avec la prospérité , il y fallut deux décennies pour que les Chiliens regagnent un niveau de bien-être digne d’admiration . Ce fut sous le gouvernement démocratique de Alywin Patrico Azocar . La volatilité des prix qu’engendra l’instabilité politique ghanéenne suite à la destitution de Nkrumah valut la fin du gouvernement du Dr. Kofi Abrefa Busia en 1971 et plongea le Ghana dans une spirale de chaos qui dura plus d’une décennie, 18 ans pour être précis.
4) Le cycle vicieux du chaos
Dans nombre de cas le chaos enfante le chaos, le désordre donne lui-même. Comment peut-on appeler à une insurrection dans un pays où les idées peuvent sauver le peuple, où le verdict des urnes peut être respecté ? Le chaos de la Somalie continue encore, la révolution au Yémen a conduit à un autre chaos après un répit, la rébellion syrienne a conduit ce pays dans l’anarchie.
Comment peut-on songer à libérer la Guinée de ses maux en suggérant ce qui pourrait conduire à l’instabilité politique et puis macroéconomique ? Que ceux qui appellent à l’insurrection se détrompent. Qu’ils viennent voir la misère des Guinéens pour comprendre que le surcroît de mal serait un crime. Pourquoi ont-ils perdu le sens de la compassion ? Pourquoi ne veulent-ils pas suggérer des idées qui puissent êtres dignes d’admiration ? Pourquoi ont-ils perdu le sens de la bravoure ? La plume de l’intellectuel n’est-elle pas plus sacrée que le sang des guerriers ? N’est-ce pas un honneur que de mourir pour ses idées quand elles peuvent conduire au salut populaire, à la paix , que de mourir pour celles qui déciment des vies et détruisent des espoirs ?
J’ai grandi aux côtés des réfugiés libériens et sierra léonais, j’ai connu l’agression rebelle de Guékédou en 2000, je ne peux pas supporter l’anarchie. Je ne peux pas soutenir la rébellion quand je sais qu’on a failli égorger mes parents sous mes yeux et des gens moururent pour que les miens aient la vie sauve.
Je ne supporte pas les choix du Président Alpha Condé dans leur complétude. Je vois ses limites, je critique ses choix, mais je refuse l’idée qu’il doit être chassé du pouvoir comme un voyou, il mérite mieux pour avoir eu une la confiance des Guinéens. Si les Guinéens ne veulent plus de lui, du fait de ses mauvaises performances, ils peuvent le punir dans les urnes et il s’en ira. Mais je refuse qu’on appelle à la rue, que l’on fasse de mes compatriotes de la chaire à canon. J’ai toujours soutenu l’idée que seules les idées peuvent sauver un peuple du mal-développement. La bestialité, la force et la violence peuvent quelque chose, mais pas toujours tout. Les idées ont plus de force que les forces musculaires et la force de proposition est plus honorable que le chaos.
Les intellectuels, penseurs, politiciens, citoyens sectaires et passionnés de violence, vous n’avez aucune idée à proposer aux Guinéens sauf l’insurrection populaire ? Si, oui, vous vivez dans les ténèbres, sortez-y, lisez et cogitez, vous comprendrez que le développement de la Guinée est possible et seulement pas les idées, les bonnes.
Ibrahima SANOH
Citoyen guinéen