Un récent épisode de la vie politique en France concernant la guerre ouverte entre Jean Marie Le Pen, fondateur en 1972 du Front National, et sa fille, Marine Le Pen qui préside depuis un certain temps aux destinées dudit mouvement est riche en enseignement sur la façon dont les leaders politiques peuvent, quand les circonstances l’exigent, reléguer au second plan les liens familiaux face à l’intérêt général.
Contre le père, son mentor, la fille déclare : « Je m’oppose à la candidature de Jean-Marie Le Pen à la tête de liste aux élections régionales en Provence-Alpes-Côte d’Azur, parce qu’il est dans une spirale entre la stratégie de la terre brûlée et le suicide politique. Le FN ne veut pas être pris en otage de ses grossières provocations. Son but est de me nuire. Nous allons réunir le bureau exécutif pour trouver le meilleur moyen de protéger les intérêts du mouvement. ».
La leçon à tirer de ce conflit est qu’un parti politique, qui prétend au nom de certains idéaux conduire les destinées d’une nation, est au dessus des liens familiaux. Ramené à notre contexte politique, on voit que les partis politiques sont en quelque sorte les produits de marque des groupes ethniques. Les frontières entre les différentes formations politiques sont peu perceptibles idéologiquement et portent moins sur le modèle de société que les uns et les autres proposent à leurs concitoyens. Les frontières politiques en Guinée sont plutôt physiques et sont la réplique de la configuration ethnique et géographique du pays.
La façon dont se noue les alliances politiques au moment des compétitions électorales sont les périodes les plus privilégiées pour se rendre compte que les rapprochements se font sur une base ethnique. En 2010, au second tour du scrutin présidentiel, on a vu certains partisans de Sidya Touré le quitter au motif qu’il a scellé une alliance avec Cellou Dalein Diallo. Aussi, Lansana Kouyaté, fut comme forcé de rejoindre le mouvement arc en ciel mené par le RPG par peur d’être renié par sa communauté. Ainsi, la crainte de perdre sa clientèle politique ou de passer pour un traitre dissuade les leaders politiques à emprunter un chemin inverse à celui voulu par leurs partisans.
Ainsi, les formations politiques qui se construisent et se nourrissent de ces données statiques et immobiles sont faussement des partis nationaux. Ils sont en réalité des partis régionaux et ethniques développant une rhétorique politique destinée à un public connu et conquis d’avance sans effort ni mérite. De plus, cette situation favorise la forte personnalisation des enjeux politiques et empêche l’émergence d’un débat politique sérieux et crédible portant sur des enjeux nationaux et transversaux intéressant tous les guinéens.
La confrontation politique générée par un tel schéma sera forcément un combat de rue et des muscles et non un combat d’idées. La preuve en est présentement donnée par le combat à coup de gaz lacrymogène et de pierres entre le pouvoir et l’opposition autour du calendrier électoral. Pour résoudre ce type de conflit, il n’existe quasiment aucun mécanisme d’arbitrage national suffisamment indépendant aux yeux des protagonistes. La crise de confiance est à son summum. Et celui qui remportera le combat de rue est celui qui aura raison. La manière dont le combat politique se mène en Guinée par le recours explicite à l’ethno stratégie montre à quel point la classe politique se situe à des années lumières des préoccupations authentiques des populations et à du mal à saisir les enjeux d’une société qui se complexifie de jour en jour dans un monde évolutif et instable à la fois. Ces carences ouvrent largement la voie à la nécessité urgente de renouveler le discours politique en Guinée par l’avènement d’une nouvelle génération de leaders.
Youssouf Sylla, Analyste
