Censure

Oui, on peut sortir de cette impasse ! (Par Ibrahima Sanoh)

Hier, le PrĂ©sident Alpha CondĂ© et le chef de file de l’opposition se sont rencontrĂ©s, mais la rencontre semble accoucher de peu, sinon que de quelques promesses. Des jeunes ont pourtant  payĂ© le lourd tribut de la vie  et la rencontre d’hier, pour certains,  devait permettre de dĂ©crisper les tensions et de dĂ©nouer une crise  induite par nos inconsĂ©quences.  La rencontre d’hier, cela n’engage que mon opinion, fut dangereuse et informelle.  L’ordre des questions Ă  dĂ©battre ne fut pas connu avant la soi-disant rencontre du salut populaire   et par sa durĂ©e, elle Ă©tait une politique de communication pour certains.

Le dialogue du salut doit se tenir dans un autre cadre, dans de meilleures conditions. Au vu des questions   urgentes Ă  aborder, il n’est pas de l’intĂ©rĂȘt des GuinĂ©ens de voir en la  rencontre d’hier  comme celle de l’issue favorable.   Les vraies questions devant conduire Ă  des  élections transparentes, intĂšgres et inclusives, doivent ĂȘtre abordĂ©es ici et maintenant, mais pas lors d’une causerie qui s’apparente Ă  celle des copains.  Tant la rue n’apportera rien de bĂ©nĂ©fique sinon que les larmes, les regrets et frustrations, tant les rencontres informelles n’apporteront  que la perte du temps et puis la  transgression.

La grande pomme de discorde entre le pouvoir et l’opposition semble l’ordre des Ă©lections. Le pouvoir semble  inflexible, pour lui, pas questions d’organiser les communales avant les prĂ©sidentielles. Il est acculĂ©,  l’économie est exsangue et les manifestations de l’opposition ont impactĂ© son environnement des affaires, les niveaux de ses recettes fiscales  ont fondu. Il n’a donc les moyens, dit –il. L’opposition, elle, appelle Ă  faire respecter la loi, Ă  organiser les communales avant les prĂ©sidentielles.    Les conseillers communaux illĂ©galement installĂ©s par le pouvoir en place peuvent servir de satrapes Ă©lectorales, clame –t-elle.

Chaque camp dĂ©fend ses convictions et les points de rupture sont Ă©vidents, il faut concĂ©der non pas pour sauver un pouvoir en mal de bilan, mais pour Ă©viter que s’assombrisse l’avenir d’un peuple tenu en otage des dĂ©cennies durant.   Il faut dialoguer, c’est l’exhortation de tous. Mais sur quoi, un  tel dialogue doit-il se porter ?    Sur les points ci-dessous :

1) La question du rĂ©tablissement des conseillers communaux ou de leur remplacement par  d’autres devant  ĂȘtre choisis par le truchement du consensus sur la base : de la compĂ©tence, de la probitĂ© morale, de l’intĂ©gritĂ©. L’idĂ©e qui taponne Ă  l’esprit le plus vite est celle de les faire remplacer par les membres de la sociĂ©tĂ© civile. Les dĂ©clarations et les agissements de certains acteurs de la sociĂ©tĂ© civile guinĂ©enne montrent que nombre de ses acteurs sont Ă  la quĂȘte de la rente financiĂšre et qu’ils n’ont pas la vocation de dĂ©fendre les intĂ©rĂȘts du corps social guinĂ©en.  Importe cette remarque, il va falloir chercher du nombre des GuinĂ©ens des personnes incarnant une sĂ©rie de valeur Ă  dĂ©finir et dont les choix peuvent ĂȘtre consensuels.

2) L’ordre des Ă©lections. L’idĂ©e du couplage permettrait la solution conciliante, bien que cette option soulĂšve la nĂ©cessitĂ©  d’appeler  Ă  un financement externe plus grand en vue de la  tenue des Ă©lections.   Nous n’avons pas les moyens nĂ©cessaires  pour le couplage de nos Ă©lections,  mais au vu de nos rĂ©alitĂ©s et des consĂ©quences   de l’inaction, il faut  faire appel Ă  un financement externe de nos Ă©lections.

3)  La question du dĂ©coupage Ă©lectoral. Les Ă©lections de 2010 ont montrĂ© que le dĂ©coupage  électoral peut ĂȘtre une arme de victoire pour un pouvoir.  La question doit ĂȘtre abordĂ©e et la CENI doit ĂȘtre conviĂ©e  Ă  montrer  ses solutions, celles-lĂ  discutĂ©es par tous les partis lors du dialogue.

4) La question de la composition de la Cour constitutionnelle. Le PrĂ©sident Alpha CondĂ©, par le  dĂ©cret du 30 Mars 2015 a installĂ© cette Cour et ses neuf membres ont prĂȘtĂ© serment le 3 Avril. En cas de contentieux, cette Cour devra trancher, c’est ce que dit l’article 94 de la constitution. Mais si elle infondĂ©e au pouvoir en place, sa dĂ©cision en cas de contentieux est connue d’avance. L’opposition ne semble pas faire de cette question une problĂ©matique majeure. La substitution des procĂšs verbaux lors des  prĂ©sidentielles de 2010 et l’annulation de  164  976 suffrages  de l’UFDG, 144 667  du RPG et 76 255  de l’UFR  montrent que cette question est d’une imminence.  Sur 3 304 396 votants au total, seulement 1 771  970  suffrages furent valablement exprimĂ©s, soit seulement  46, 68 %. Quel crime !   Je ne soutiens pas l’idĂ©e de meubler nos institutions par les acteurs  de nos politiques, mais par des citoyens  responsables, compĂ©tents et d’une grande probité  morale. Je ne dis non plus pas ceux-lĂ  promus, manquent des qualitĂ©s susmentionnĂ©es.   La neutralitĂ© doit ĂȘtre l’une des attitudes escomptĂ©es des acteurs d’une telle instance.  Je   refuse aussi que nos institutions soient vassalisĂ©es et qu’elles juchent sur leur Ă©paule un pouvoir, l’exĂ©cutif.  J’appelle Ă  faire de la question de la composition de la Cour constitutionnelle un  point du dialogue, il serait vain de venir dĂ©noncer son impartialitĂ© quand les rĂ©sultats dĂ©finitifs des prĂ©sidentielles seront dĂ©libĂ©rĂ©s et  puis d’appeler ses partisans Ă  la rue.

5) La question du recensement et de la sécurisation du fichier électoral.

Les Ă©lections du 2010 furent celles d’un grand scandale, les urnes furent bourrĂ©es dans certaines contrĂ©es, les fausses cartes d’électeurs furent distribuĂ©es, des bureaux de votes parallĂšles furent installĂ©s   et mĂȘme les mineurs s’invitĂšrent dans nos bureaux de votes.   Le taux de participation aux prĂ©sidentielles de 2010  fut bas, seulement 52 %, de surcroĂźt toutes les contrĂ©es et rĂ©gions n’eurent pas les mĂȘmes chances  lors des recensements Ă©lectoraux.

Par ailleurs, l’intĂ©gritĂ© du fichier Ă©lectoral actuellement en vigueur doit ĂȘtre prouvĂ©e. La CENI doit ĂȘtre conviĂ©e Ă  apporter la dĂ©monstration   que le fichier Ă©lectoral dans ses mains est exempt de toute pĂ©trification. Au cas oĂč , il serait inopĂ©rant  et que son intĂ©gritĂ©  serait remise en cause , que les mesures de  corrections soient proposĂ©es et que la CENI soit conviĂ©e  Ă  apporter implĂ©mentations dans  un dĂ©lai raisonnable.

6)  Le chronogramme des Ă©lections.  Comme les partis seront appelĂ©s  Ă  faire des concessions, on escompte qu’ils se mettent  d’accord sur un chronogramme acceptable qui tienne compte des contraintes : de financement, de  la prĂ©paration technique de la CENI et de sa capacitĂ© Ă  organiser des Ă©lections transparentes, intĂšgres et inclusives. Par ailleurs, l’autre contrainte Ă  ne pas perdre de vue est que le mandat du PrĂ©sident de la  RĂ©publique ne doit pas  expirer, sinon il serait illĂ©gal.  Comme le stipule l’article  28 de la Constitution, les prĂ©sidentielles doivent se tenir  au plus 90 jours et 60 au moins avant  que n’expire le mandat du PrĂ©sident.

7) L’accĂšs des partis politiques  aux mĂ©dias publics.   Il n’est secret pour personne que nos mĂ©dias publics sont des mĂ©gaphones du  pouvoir en place. A l’époque ContĂ©, ils faisaient les Ă©loges  du GĂ©nĂ©ral et jetaient aux gĂ©monies les partis d’oppositions. Aujourd’hui, les mĂȘmes rĂ©alitĂ©s demeurent. Dans la conquĂȘte du pouvoir, il faut une Ă©galitĂ© de traitement dans l’accĂšs aux mĂ©dias publics Ă  tous les partis.   Cette question  doit  ĂȘtre traitĂ©e et les modalitĂ©s d’accĂšs des partis d’opposition aux mĂ©dias publics dĂ©finies.

8) Le verrouillage des prochains accords. Les accords du 3 Juillet 2013  ont montrĂ© que l’opposition s’Ă©tait fait rouler dans la farine. Elle a abordĂ© des questions qui ne furent pas mis dans le document principal de l’accord, mais dans un document dit additif. La question n’Ă©tait pas de savoir est-ce que la tenue des communales avait Ă©tĂ© abordĂ©e lors du dialogue, mais est-ce que dans le document principal elle y fut notifiĂ©e.   Voyez-vous, c’est pour cela je dis que l’opposition fait des cadeaux  à Alpha condĂ©, car elle confond l’accessoire au principal.

Le dialogue doit porter sur les vraies questions. La diversion  doit ĂȘtre Ă©vitĂ©e, le temps joue Ă  notre encontre.  Il faut Ă©viter que le dialogue porte  sur des comme celles-ci :

  • La dissolution de la CENI.  Evoquer le fait de son impartialitĂ© pour justifier  sa dissolution serait irresponsable. Si les reprĂ©sentants des partis politiques  à la CENI  ont transhumĂ©, il n’incombe pas de blĂąmer le pouvoir.    Il faut  Ă©viter la diversion, les inconsĂ©quences de nos acteurs politiques expliquent  l’inefficacitĂ© de la CENI.
  • La dissolution du gouvernement en vue de la formation du gouvernement d’union nationale. Cette question serait une grosse diversion. Qu’apportera, Ă  la GuinĂ©e et aux GuinĂ©ens, un gouvernement de partis politiques hĂ©tĂ©roclites ?   Rien, ils obĂ©reront les charges de l’Etat, nous n’avons pas besoin.
  • La prorogation du mandat du PrĂ©sident de la RĂ©publique. Cette autre  idĂ©e est dangereuse, il n’est pas de l’intĂ©rĂȘt des  GuinĂ©ens que le PrĂ©sident de la RĂ©publique soit illĂ©gal.  VoilĂ  pourquoi, j’invite tous les partis  Ă  dialoguer et le PrĂ©sident Alpha Condé  Ă  crĂ©er le cadre du dialogue fĂ©cond, permettant de donner lieu Ă  des compromis utiles et sincĂšres.
  • La rĂ©conciliation nationale avant les Ă©lections. Assez de GuinĂ©ens, mĂȘme du nombre de nos partis politiques ne comprennent pas pourquoi, il faudrait qu’ait lieu une rĂ©conciliation nationale. Comme, ils ignorent les raisons d’un vƓu national, je dis clairement que nous n’avons pas besoin d’une fausse rĂ©conciliation. Ma ferme conviction est qu’une rĂ©conciliation factice est plus dangereuse que l’absence de rĂ©conciliation. La politisation de la rĂ©conciliation est un crime contre le peuple de GuinĂ©e, nous n’accepterons pas la fausse rĂ©conciliation.

J’appelle Ă  ce que la lumiĂšre soit faite au sujet de  l’assassinat des jeunes lors des rĂ©centes manifestations et que la rigueur de la loi soit appliquĂ©e Ă  tous.  Que les auteurs des crimes d’assassinats soient punis et que ceux qui, dans l’exercice de leur droit Ă  la manifestation pacifique ont enfreints la loi et entravĂ©s l’exercice des libertĂ©s individuelles   subissent aussi  la rigueur de la loi

Oui, on peut sortir de lĂ , de ce bourbier ! La  condition est de mettre la GuinĂ©e au-dessus   de nos desseins personnels. Que le dialogue, le vrai se tienne, pour que les GuinĂ©ens parlent enfin  des autres  vraies questions, plus pertinentes, discutent des programmes politiques, Ă©valuent les alternatives et effectuent leur choix  d’avenir.  Oui aux vraies questions et non Ă  la diversion !

 

                                                                   Ibrahima SANOH, Citoyen guinéen