Dans cette interview accordée à notre reporter, Dr Sékou Koureissy Condé, ancien Médiateur de la République et directeur exécutif de l’ONG African crisis group donne son avis sur le dialogue politique, sur fond de propositions pour une sortie de crise. Il aborde également l’arrestation d’Alpha Condé en 1998, alors qu’il était ministre de la Sécurité. Lisez….
Vous êtes un des facilitateurs dans la crise qui sévit au sein de la classe politique guinéenne, où l’opposition et la mouvance présidentielle sont à couteaux tirés. Le président de la République vient d’instruire son Premier ministre Mohamed Saïd Fofana de procéder à la reprise du dialogue. Comment jugez-vous cette démarche ?
Dr Sékou Koureissy Condé : Je juge positivement cette démarche comme une main tendue que nous, observateurs et facilitateurs sous-régionaux ouest-africains et internationaux et guinéens attendions du président de la République de Guinée, face à une opposition qui à mon avis devrait trouver beaucoup plus de facilité à se faire entendre et à se faire comprendre. Il n’est jamais trop tard pour bien faire. Je salue cette initiative présidentielle et je salue aussi la démarche de l’opposition qui a consisté favorablement à répondre à l’invitation du chef de l’Etat.
En tant que Directeur Exécutif du cabinet African Crisis Group, une structure de prévention et de résolution des conflits, avez-vous des propositions concrètes de sortie de crise à faire ?
Les acteurs et structures de facilitation d’une manière générale interviennent sur la base d’un canevas et sur la base d’une volonté de résolution pacifique des différends. Il est important que la résolution de conflits et la sortie de crise passent sur la base de propositions, suggestions et des questions posées par des acteurs engagés, des structures concernées ou de la société civile du pays concerné. Il s’agit là d’un ensemble des citoyens, des associations et des organisations constituées et agréés. Ceci dit, dans le cadre de la crise actuelle, il s’agit de restaurer un minimum de confiance entre les acteurs. Il ya une rupture de confiance et il ya une certaine méfiance entre les communautés qui est liée à cette rupture de confiance entre les dirigeants politiques. Donc la première chose à faire par la société civile, par les observateurs internationaux et c’est dans ce sens que African Crisis Group en tant que cabinet de facilitation et de médiation intervient. Nous procédons à la construction du dialogue à la base entre les représentants des coordinations, entre les partis politiques, au sein de la société civile, entre les acteurs politiques de l’opposition et de la mouvance, entre les représentants de l’exécutif face à ceux de l’opposition. Premièrement, il s’agit de reconstruire le dialogue politique, deuxièmement à partir de la reconstruction du dialogue, il faut identifier la question clé qui est le chronogramme présenté et proposé par la CENI. African Crisis Group pense que la Ceni devrait reprendre l’initiative et proposer une alternative. Donc la première proposition de la Ceni qui propose la tenue des élections communales après les élections présidentielles doit être revue, et cette révision doit être accompagnée par une explication pour justifier le report ou pour proposer un plan B portant notamment sur le couplage des élections ou sur telle élection avant ou après, mais encore une fois faudra-t-il donner des explications, des justifications sur toutes ces démarches et sur ces propositions. African Crisis Group pense qu’avec l’intervention de la Ceni, la présentation des arguments et la clarification sur les raisons qui ont conduit à ses propositions, nous pourrons trouver une solution idoine.
Est-ce qu’à votre avis les propos du président de la République en Haute Guinée et en Guinée forestière ne sont pas amplifiés par ceux qui continuent à y trouver d’éventuelles sources tensions?
Premièrement, je conteste jusqu’à preuve de contraire l’authenticité de tels propos, je ne pense pas que le président de la République de Guinée puisse tenir de tels propos. Je m’inscris en faux encore une fois et jusqu’à preuve du contraire, jusqu’au bénéfice d’inventaire, le président de la République de Guinée est le président de tous les Guinéens. Il est le président de toute la communauté guinéenne. Je ne pense pas que ce soit la meilleure façon de présenter la nature des relations entre la communauté malinké et le président de la République. La communauté malinké est sortie suffisamment touchée, victimisée suite aux événements du 04 juillet 1985. Ces événements ont touché lourdement et profondément la communauté malinké. C’est l’arrestation de l’ancien Premier ministre Diarra Traoré. Son arrestation avait été caractérisée par des séries d’arrestations de cadres malinkés sur le plan politique, social qu’administratif, et porté essentiellement sur une violence étatique en vers une communauté précise et seulement la communauté malinké. Donc, la communauté malinké, pour réorganiser sa réplique à travers une stratégie politique portant sur l’identification d’une personne qui peut porter son message ou sa réplique et cette confiance a porté sur le Prof Alpha Condé dans les années 1985-1986, actuel président de la République de Guinée. Et ce sont les malinkés qui ont porté et accompagné le prof Alpha Condé et qui ont inventé la lutte et la personne qui devrait porter cette lutte. Donc, ce n’est pas le Prof Alpha Condé qui a libéré la bouche des malinkés, mais ce sont les malinkés qui ont pris l’initiative de la création du RPG et porter leur leader, le parti qui est devenu en 2010 avec des alliances RPG-Arc-en-ciel et qui a porté le prof Alpha Condé président de la République de Guinée.
Et si on vous demandait de comparer le régime Conté à celui d’Alpha Condé. Que diriez-vous ?
Ecoutez ! les contextes sont différents. Le président Lansana Conté est venu au pouvoir dans les conditions dramatiques et douloureuses. C’est suite à un coup d’Etat qui est de nature anticonstitutionnelle. Le président Lansana Conté a eu finalement le mérite à mettre en place la Loi Fondamentale signée le 21 décembre 1990 et cette Loi Fondamentale à innover le régime multipartite, à l’origine le président avait souhaité deux partis politiques pour éviter que les partis politiques ne soient ethniques mais les partis politiques avaient contesté cette proposition et cette contestation est aujourd’hui regrettable par beaucoup d’acteurs comme moi. Donc la société civile a réussi à faire le forum national des forces vives qui a permis la signature des accords de Ouaga et la mise en place des organes de la transition comme le Cnt et le président de la transition.
Aujourd’hui l’insécurité bat son plein en Guinée. En tant qu’ancien ministre de la Sécurité, pensez-vous que les autorités actuelles du secteur de sécurité sont sur une bonne voie pour mettre fin à ce fléau ?
Il ya beaucoup à faire et la question de la sécurité est une préoccupation réelle tant en Guinée que dans la sous-région. Il ya des efforts à faire en Guinée. Pour stopper la courbe de la délinquance et de la criminalité, il ya beaucoup à faire encore par l’exécutif pour rassurer les citoyens. Il ya beaucoup à faire pour que les cas de morts d’hommes soient immédiatement et impérativement stopper.
Et quelle est votre réaction suite à l’annonce de la candidature de Dadis, à la présidentielle de 2015?
C’est une déclaration d’intention d’un citoyen guinéen.
Vous êtes aussi le président de la convention des acteurs non étatiques de Guinée (CANEG) qui est une nouvelle plate forme de la société civile. Quel rôle comptez-vous jouer dans la crise sociopolitique ?
La CANEG vient à un moment ou les organisations de la société civile guinéenne sont en train d’évoluer dans le sens de la rénovation et dans la perspective des états généraux de la société civile. La CANEG apporte un appui, une contribution en termes de revalorisation du concept non étatique. Elle apporte une contribution en termes d’expérience dans la gestion des crises et la médiation aussi dans la synergie entre les organisations de la société civile.
Lors de votre passage dans une émission au sein d’une radio de la place, vous avez dit encore une fois que vous n’étiez pas au courant de l’arrestation d’Alpha Condé en 1998 et que ce sont Cellou Dalein Diallo à l’époque ministre du Transport et des travaux publics qui a été le premier à vous en parler et ensuite Kassory Fofana et Kiridy Bangoura, qui vous ont confirmé la nouvelle. Est-ce que vous maintenez cette version des faits ?
Tout à fait. Je dis et je le dis depuis dix ans, je n’étais pas au courant de l’arrestation du prof Alpha Condé. Je n’en suis pas acteur, je n’en suis pas tuteur. Je n’étais même pas au courant et heureusement Dieu merci le Prof Alpha Condé est aujourd’hui président de la République donc capable de clarifier cette question. J’ajoute à cela M. Cellou Dalein Diallo qui est la personnalité la plus importante du pays, après le président de la République en terme de majorité politique, il est un témoin clé de cette période de l’histoire de la Guinée parce qu’il était le ministre du Transport et des travaux publics. Cellou Dalein est très informé sur cette question parce qu’il a été le premier à m’informer que le prof Alpha Condé n’était pas à Conakry à 02 heures du matin. En plus le ministre d’Etat actuel Ibrahima Kassory Fofana m’a interpelé sur la question pour me dire est-ce que tu es au courant de la nouvelle selon laquelle le prof Alpha Condé n’est plus à Conakry, ensuite au petit matin, l’actuel ministre secrétaire général et porte-parole à la présidence Kiridi Bangoura et qui était à l’époque chef de cabinet du ministère de l’Intérieur m’a confirmé la nouvelle avant que M. Soumah le Directeur de la police d’Etat ne me donne la dernière version sur l’arrestation du leader du RPG, Prof Alpha Condé.
Quand vous aviez été informé de l’arrestation d’Alpha Condé, immédiatement quelle a été votre réaction ?
C’était une information surprenante. Il a fallu à l’époque que le Gouverneur de N’Zérékoré M. Fofana, le préfet de Yomou M. Condé, viennent aussi confirmer la nouvelle pour que je puisse me rendre compte qu’effectivement la nouvelle que mes collègues et mes amis m’ont annoncée préalablement est bien vraie. Je suis immédiatement allé rencontrer le président de la République, le président Général Lansana Conté où j’ai trouvé une réunion dans le bureau du secrétaire général à la présidence M. Fodé Bangoura. Et c’est après que le ministre Kassory Fofana a pu généreusement me mettre en contact avec le président Conté qui m’a donné des instructions selon lesquelles il fallait attendre l’arrivée du prof Alpha Condé à Conakry pour le loger dans un appartement et en ce temps j’avais trouvé un appartement appartenant à Madame Pouponne Traoré et aujourd’hui heureusement tous ces témoins sont vivants. Ce que je regrette c’est que les efforts que les ministres Kassory Fofana, Cellou Dalein Diallo, Sidya Touré, Kiridi Bangoura et moi-même avons fait, n’ont pas été retenus, n’ont pas été suffisamment signalés. Et quand je vois ces acteurs aujourd’hui en difficulté, je suis obligé en tant que témoin historique, en tant que citoyen guinéen d’intervenir pour faciliter leur retrouvaille, la communication et à la fois faciliter l’entente entre les deux.
Pour finir, je félicite le peuple de Guinée, les services spécialisés de la sécurité du fait qu’un homme politique soit emprisonné et qu’il sorte de la prison sain et sauf. Sans blessure et devienne le président de la République de Guinée. Cela est une victoire politique et morale pour la Guinée.
Interview réalisée par Alsény Fadiga In Le Démocrate