Au XVIIIe siècle, la criminalité bat son plein dans les rues sombres de Paris et les coupe-jarrets y font la loi. Pour éclairer entièrement la ville, le Préfet demande aux habitants, une fois la nuit tombée, de placer des bougies ou des lampes à leurs fenêtres. C’est ainsi que Paris fut surnommée « Ville Lumière ». De l’autre côté de la Manche, la « Perfide Albion » l’appela « City of lights ».
Des siècles après, nous sommes dans la capitale d’un pays qui a pour nom « la République de Guinée », même si certains (y compris malheureusement des officiels guinéens) s’entêtent à l’appeler improprement « Guinée-Conakry ». Depuis des lustres, les saigneurs sont à l’honneur et l’hémoglobine de pauvres citoyens coule à flots. Parmi les causes de cette grande insécurité l’on cite volontiers le manque de courant électrique.
Après le mirage du barrage du Konkouré sous l’ère du parti-Etat (on créa même un ministère du Konkouré), les espoirs des Guinéens furent souvent déçus. L’on a encore en tête l’image de l’opposant Alpha Condé, quand tout le pays baignait dans un délire « garafirique », ironisant lors d’un meeting au stade de la Mission à Kaloum : « est-ce que mandjanladji barrage tima » ? (en soussou : »est-ce qu’on peut construire un barrage en mendiant »?). Faisant allusion à la propagande du pouvoir en place autour de ce qui apparaissait comme un argument électoral de taille, et l’enthousiasme des populations qui souscrivaient à une quête censée aider à boucler le financement de Garafiri, après le retrait de la Banque mondiale du projet qu’elle jugeait « peu rentable ». Même les mendiants se secoueront les guenilles pour abouler leur part de contribution.
Finalement le barrage verra le jour, le président Chirac mettra à profit une visite en Guinée pour venir admirer ce que des médias avaient vite qualifié de « projet du siècle ». Mais, une fois de plus, la désillusion sera au rendez-vous. Certes, les mégawatts de Garafiri vont améliorer la desserte, mais à Conakry et dans l’arrière-pays l’on se rendra vite compte que l’on n’est pas sorti de l’auberge.
Comme à Paris au XVIIIe siècle, on pensera à la chandelle. Mais au lieu d’éclairer la capitale ce sont plutôt de nombreuses familles qui rejoindront le royaume des ombres, cramées sous les cendres de leurs habitations calcinées. Quand ce ne sont pas les courts-circuits dus aux mauvaises installations ou à EDG qui s’en chargeaient. Pour ce qui est des lampes importées de Chine, beaucoup encore ne voient en elles que de la « chinoiserie » : bon marché mais peu fiables.
C’est alors que les mandarins de la République et leurs administrés arrivaient à la conclusion que le problème du courant en Guinée est un véritable casse-tête chinois, que le projet de Kaléta sera brandi par le Professeur. Justement grâce à des financements chinois. Avec l’idée que cette grande réalisation de son premier mandat lui ouvrira largement la voie vers un second.
Dans ce calcul, des petits malins ont vite suggéré de choisir le 31 mai pour lancer la première turbine de ce barrage hydroélectrique. C’est-à-dire à quelques encablures de l’élection présidentielle.
Seulement, ils ont oublié que pour faire tourner ce type de centrale, il faut de l’eau. Et qu’à cette date la saison des pluies commence à peine. Sans parler des problèmes d’interconnexion entre les différentes centrales qu’il faut régler avec minutie. Difficile d’expliquer comment le Professeur s’est laissé embarquer dans cette histoire. C’est à y perdre son mandarin (la langue officielle au pays de Mao).
Résultat : après des essais qui ont fait rêver plus d’un, une bonne partie de la ville est replongée dans l’obscurité. Certains crient déjà au sabotage (attention au délit de faciès), quand d’autres expliquent (à la place de EDG et du ministre de tutelle qui sont comme électrocutés) que ce n’est qu’une question de jours, de semaines, de mois au pire.
Une certitude. Les 240 Mégawatts de Kaléta seront là avant la prochaine campagne électorale. Pour le bien du candidat Alpha Condé, mais aussi et surtout pour celui de tous les Guinéens qui verront peut-être leur capitale devenir « Conakry Ville Lumière ». Après avoir longtemps été « Conakry, Ville Ténèbres ».
Jusqu’à preuve du contraire …
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