Notre mémoire collective s’est effritée, le rappeler à tous, c’est dire à chacun le problème de notre société qui est comme la matrone d’Ephèse. Elle n’a jamais tiré les enseignements de son passé, fût-il celui récent. A chaque fois qu’elle dépasse un évènement, sitôt elle l’oubli. Elle fuit vers l’avenir imprédictible, mais ses itérations d’erreurs pourraient avoir raison d’elle. Elle prend le mort pour empêcher le trépas du vivant. Elle est sélective dans ses actions.
N’est-ce pas une société malade, celle-là qui exige la justice pour une femme violée et qui épouse le silence lorsqu’il s’agit d’autres femmes, plus nombreuses, victimes du même mal : le viol ? En Guinée, il y aurait de bonnes et de mauvaises victimes du viol : celles qui méritent la justice et d’autres l’oubli. La société guinéenne a oublié les victimes du viol du 28 septembre 2009. Pourquoi exiger la justice pour un cas et oublier d’autres ? Une femme violée est partout la même : blessée dans son honneur, humiliée, chosifiée et tourmentée. Elle vit le stress post-traumatique. Plus elle est oubliée autant elle souffre. La déshumanisation n’est-elle pas partout pareille ? Qu’en est-il de l’indifférence ? N’est-ce pas une contradiction avec soi que d’ignorer le viol d’autres femmes ? De quoi cela est-elle due ? Peut-être changeons-nous d’attitude en fonction de ceux à qui on a affaire ?
Et voilà, la logique du rapport des forces s’impose en Guinée. Nos indignations sont sélectives. Nos consternations s’expriment en fonction de nos intérêts et du rapport des forces. La justice pour une victime de viol et le silence pour d’autres plus nombreuses. Nous sommes en contradiction avec nos valeurs et nous n’osons plus la cohérence. Quand nous l’essayons, cette cohérence, l’illusion que nous donnons ne saurait passer inaperçue. Notre société est schizophrène et cela est une lapalissade. Comment a-t-on accepté l’idée de la justice sélective ? Les bourreaux des femmes violées en plein jour au stade du 28 septembre 2009 sont bien là, ils se promènent, vivent bien et en embonpoint. Qui a osé appeler à leurs arrestations et jugements ? Le jeune artiste, lui, tout le monde voulait son arrestation et son jugement. Il ne pesait pas assez d’où cette indignation et cet appel à la justice : les nôtres. Pourquoi nous n’appelons pas à la même chose pour les autres victimes de notre silence ?
Oui, j’appelle à ce que les dossiers du 28 septembre 2009 accélèrent. J’appelle à ce que les femmes violées en ce jour soient réhabilitées dans leur honneur. J’appelle à ce que leurs bourreaux soient arrêtés et jugés. Maintenant que le jeune passe ses nuits en prison, qu’il ait droit au jugement dû, que les pressions politiques et sociales n’aient jamais raison de lui. La justice pour toutes les femmes violées, voilà mon message. Le jugement équitable et dû pour les violeurs, tel le l’autre message.
Ibrahima Sanoh Citoyen guinéen