Le meurtre odieux du journaliste El Hadj Mohamed Diallo a révélé une chaîne de solidarité insoupçonnée, marquée par une journée sans presse parfaitement réussie. Il aura malheureusement, comme toujours chez ceux qui se font une très haute idée d’eux-mêmes, mis au jour des ambitions et calculs dont on pouvait bien se passer.
La mobilisation sans précédent du monde de la presse autour d’un reporter beaucoup plus connu par ses amis avec qui il partageait au quotidien les rigueurs du climat devrait pourtant conduire certains d’entre nous à un esprit de dépassement. Certes, Mohamed Diallo était un très jeune reporter qui ne roulait pas carrosse et ne s’affichait ni en grand boubou, ni en costume cravate. Certes, tout au moins du point de vue de ceux qui plastronnent et affichent leurs « titres » récemment acquis, il n’a pas la carrure pour symboliser le long et dur combat pour la liberté de la presse en Guinée. Certes, certains d’entre nous le regardent de haut en pensant à leurs trop nombreuses années d’expérience et tutti quanti…
C’est oublier que le symbole de courage et d’humilité que représente un El Hadj Mohamed Diallo, abattu par balle alors qu’il tenait son carnet et son stylo est d’une force que les jérémiades des uns et des autres ne sauraient étouffer. C’est perdre de vue que l’image d’un jeune homme couché à la morgue de l’hôpital, la poitrine trouée, la bouche et le nez en sang, vaut plus que tout ce qui pourrait donner un sens au métier de journaliste. Nous n’avons pas le droit de passer à côté de l’opportunité d’afficher un tel symbole, surtout pour les plus jeunes d’entre nous, si l’objectif visé est totalement dépersonnalisé.
La grandeur ne réside pas dans l’image qu’on se fait de soi même, sous le prisme déformant de nos fausses « certitudes ». Nos actes et notre sens de l’élévation devraient nous conduire à récompenser le travail d’un journaliste qui a donné sa vie à la profession. La fin tragique d’El Hadj Mohamed Diallo est un symbole dont la presse a l’occasion de se saisir pour renforcer sa liberté. Pour cette raison, on ne saurait confiner son nom à une simple salle de conférence (certes la plus importante de l’actuelle Maison de la presse), comme si on attendait qu’un « grand » (ou qui s’estime comme tel) passe de vie à trépas pour pavoiser sur son cadavre. Norbert Zongo, assassiné dans des conditions presque similaires, qui n’était évidemment pas le plus grand journaliste du Burkina Faso, a son nom gravé au fronton de la Maison de la presse du côté de Ouagadougou. Parce qu’au pays des hommes intègres, on a compris que tuer n’est pas jouer et que l’assassinat d’un journaliste menace notre liberté d’expression à tous.
Saliou Samb
Journaliste, correspondant de Reuters en Guinée