Voici l’interview de Mamadou Baadiko Bah, Président de l’UFD, au journal guinéen La Lance numéro 992 du 17 février 2016.
Mamadou Baadikko Bah, on commence par la mort qui a frappé doublement le monde politique guinéen. Après Georges Gandhi Tounkoura, voilà que Jean Marie-Doré aussi n’est plus. Ce dernier est d’ailleurs perçu comme ayant été votre ami. N’est-ce pas ?
Tout d’abord revenons sur cette cruelle actualité de la mort de votre jeune collègue journaliste, Diallo Elhadj Mohamed. Il a été abattu dans l’exercice de sa noble profession, son arme – une caméra – en main. Cet événement constitue un développement aussi inquiétant qu’inacceptable des mœurs politiques guinéennes, au même titre que l’irruption des viols sur la scène politique le 28 septembre 2009 au Stade de Donka. Dans un Etat de droit, avec des partis politiques légaux et des militants qui se réclament de la démocratie, il est inadmissible que des débats internes – quelque soit l’enjeu – se fassent, pistolet ou poignard ou massue en main. L’horrible tradition de l’impunité ne doit plus continuer dans notre pays. Le peuple exige la vérité et le châtiment des coupables de ce crime odieux. Un signal fort doit être délivré à tous les acteurs politiques de tout bord sur l’incompatibilité entre les activités politiques et l’entretien de groupes armés privés dont on ne sait pas qui va en être les prochaines victimes. Non seulement les coupables et leurs sponsors doivent être traduits en justice, mais ils doivent également indemniser la famille de ce pauvre jeune homme, seul soutien de sa famille, avec un père malade, une jeune épouse sans ressources et un enfant en bas âge désormais orphelin.
Revenons à votre question. Au chapitre de nos illustres disparus de ces dernières semaines, vous avez omis de citer Soriba Sorel Camara, ancien gouverneur de Conakry décédé en janvier 2016. Comme le Doyen Jean-Marie Doré, nous étions ensemble dans les Forces Vives en 2009/2010. Nous prions pour le repos de leurs âmes à tous. S’agissant de Jean-Marie Doré, nous avons eu à travailler ensemble, de façon étroite en 2009, surtout après les graves événements au Stade du 28 septembre. Nous étions restés pratiquement seuls à Conakry, les autres dirigeants politiques ayant été contraints de partir à l’étranger pour soigner leurs blessures graves et se mettre à l’abri. C’était une période de grands traumatismes et de peur car on ne savait pas jusqu’où pourraient aller les militaires du CNDD dont on a pu mesurer la cruauté au Stade. Ils n’avaient pas hésité à lancer des expéditions punitives et destructrices contre les domiciles de certains leaders des Forces Vives : Sidya Touré, Cellou Dalen Diallo et Jean-Marie Doré. Nous vivions donc à Conakry dans une semi-clandestinité, luttant pour faire vivre l’opposition meurtrie. Mes souvenirs les plus émouvants avec Jean-Marie se rapportent à ces moments difficiles passés ensemble. C’est moi qui organisais son hébergement dans des cachettes, toujours changeantes pour éviter d’être repérés. Mais il faut dire que les militaires du CNDD avaient sans doute mesuré la gravité de leurs actes, face à une opinion internationale qui réclamait déjà leur traduction devant la Cour Pénale Internationale. Donc, nous avons travaillé avec Jean-Marie pour préparer les négociations de Ouagadougou et Abuja avec le CNDD, sous le patronage du Groupe International de Contact sur la Guinée et de Blaise Compaore. Malheureusement, nous ne nous sommes plus entendus après, car avec d’autres amis, nous voulions qu’à tout prix la Transition fût codifiée, balisée au plan institutionnel, ce que ne voulaient à aucun prix les forces occultes qui détenaient le pouvoir de la Transition. L’Accord politique global inter-guinéen n’a jamais été signé. La Transition n’avait pour texte organique qu’un document en deux feuillets signés entre trois putschistes, sous le patronage du Groupe International de Contact. On connaît les résultats désastreux de cette décision. C’est ainsi qu’en janvier 2010, j’ai été obligé de décliner son offre d’être à ses côtés dans le gouvernement de transition, en tant que ministre d’Etat. Pour la petite histoire en 2013, me souvenant de l’amitié et de l’estime qu’il avait pour moi, j’ai pris un témoin de poids (toujours vivant) et suis allé le saluer et lui présenter mes excuses et l’expression de ma reconnaissance. Depuis cette époque, nous sommes restés en contact, jusqu’à son décès. Comme je l’ai dit dans le témoignage que j’ai fait lors du symposium organisé à son honneur, ce que je retiens du Doyen, c’est qu’il était un homme d’Etat, foncièrement attaché au consensus et à l’unité de la Guinée. Il l’a largement prouvé en formant un gouvernement dans lequel toutes les régions étaient représentées en équilibre, avec des ministères-clés de souveraineté. Ce n’était pas un dosage ethnique, mais une volonté de n’exclure personne et de faire participer toutes les forces vives du pays à la gestion des affaires publiques. Pour nommer quelqu’un, Jean-Marie Doré ne s’est jamais posé d’abord la question de savoir « de quelle région est-t-il ? ». Pour tout cela, il force le respect et mérite la reconnaissance éternelle du peuple de Guinée.
A la veille de la présidentielle d’octobre 2015, vous avez signé une alliance avec le candidat du RPG Arc-en-ciel. D’aucuns ont parlé d’alliance contre nature, mais votre parti n’est pas dans le gouvernement. Qu’est-ce qui s’est passé et quelles sont vos attentes ?
Au sortir du Dialogue national en juin 2015, nous avons fait une évaluation de la situation politique du pays et de la déconfiture annoncée de l’opposition à laquelle nous avons appartenu depuis très longtemps. Nous avons estimé que dans ce contexte, il fallait prendre l’initiative pour tenter de faire évoluer le pays en répondant à la main tendue du RPG-Arc-en-Ciel. Dans le passé, nous avions eu à travailler avec ce parti et ses dirigeants, même si les résultats ont été mitigés. Nous nous sommes engagés dans cette alliance dans un souci de promouvoir l’union nationale et casser la spirale ethniciste, pour nous atteler tous ensemble à la reconstruction de notre pays ravagé par près de soixante ans de mauvaise gestion, d’atteinte à l’unité, de corruption et de crimes impunis. Notre geste doit être interprété non pas comme une démission ou un renoncement à nos idéaux, mais comme un compromis nécessaire pour sortir notre pays de cette situation insoutenable. Ceux qui ont parlé d’alliance contre nature n’ont jamais compris ce que nous sommes : l’UFD n’est pas un parti extrémiste ; depuis sa fondation notre parti s’est toujours voulu rassembleur, non-violent, ouvert et soucieux de changer positivement la Guinée. Bien entendu, la vocation de tout parti politique est de participer à la gestion des affaires publiques à tous les niveaux. Mais c’est le parti au pouvoir et son chef qui décident du choix des gens qu’ils estiment les mieux à même de mener leur politique et nous n’avons rien à dire là-dessus. Ceci dit, nous n’avons jamais voulu avoir des postes à tout prix et n’avons effectué aucune démarche particulière dans ce sens. Nous restons un allié du RPG-Arc-en-Ciel, une composante et une des sensibilités de la majorité présidentielle. Notre rôle est de soutenir toutes les actions positives du gouvernement pour améliorer le sort des populations et bâtir un avenir meilleur pour nos enfants, dans l’unité et la démocratie. En tant qu’alliés, comptables de l’action gouvernementale devant les populations, notre devoir aussi est d’attirer l’attention sur les insuffisances et de relever les fautes et les manquements. Nous le ferons de façon aussi ferme que responsable. De l’intérieur, nous espérons être bien mieux entendus que dans l’opposition. Ce qui nous importe, ce n’est pas spécialement notre rôle, mais surtout les résultats au bénéfice du pays et ses populations. A cet égard, nous sommes heureux de nous retrouver sur la même longueur d’onde que le Président Alpha Condé qui a récemment instruit EDG de régulariser les compteurs d’abord chez les gros consommateurs et de dialoguer avec les populations utilisatrices avant d’installer les compteurs prépayés. Nous avons eu à formuler des propositions similaires quelques jours avant. Si nous étions dans l’opposition, il n’est pas évident qu’il aurait été d’accord avec nous.
Le 26 décembre 2015, Alpha Condé a nommé son Premier ministre ; un gouvernement de technocrates entre guillemets a suivi, mais la situation est très difficile actuellement avec toutes ces taxes et le refus de baisser le prix du carburant à la pompe. Que pensez-vous de leur politique économique et sociale ?
Nommer un gouvernement est une prérogative constitutionnelle du Président de la République. On a effectivement parlé de gouvernement « non politique », de technocrates chargés de relancer l’activité économique. A notre avis, dans la conduite des affaires publiques, ce sont les politiques qui doivent définir les objectifs, les orientations, les contraintes à respecter. Les techniciens quant à eux ne sont chargés que de mettre en œuvre cette politique qu’ils ne définissent pas eux-mêmes. Un gouvernement de technocrates ne peut s’envisager que pour des périodes transitoires très courtes, le temps de régler des problèmes politiques. C’est ainsi que fonctionne le système démocratique partout dans le monde, la Guinée ne peut pas réinventer la roue. Vouloir confier le pays à des technocrates si compétents soient-t-ils, n’est qu’une façon de mettre la charrue avant les bœufs. Les résultats sont connus d’avance. Voyez le spectacle que donne le gouvernement depuis janvier 2016: ils prennent à la hâte des mesures fiscales ou autres, en se basant exclusivement sur des critères techniques et dès qu’il y a un tollé, ils annulent purement et simplement la mesure ou la suspendent comme si elle n’était pas justifiée, travaillant selon la méthode : « J’agis tout de suite, je réfléchirai après ». Ainsi, on a vu la ponction de 5% sur les salaires des fonctionnaires en janvier 2016 qui leur sera restituée sur la paie du mois suivant ! Il y a eu ensuite le cas de la hausse brutale de 20% du prix de la farine désormais soumise à la TVA alors qu’elle était exonérée jusque là. La mesure est tellement porteuse de risques sociaux qu’elle n’est pas appliquée. L’application des dispositions du décret sur l’interdiction de l’importation des véhicules de plus de huit ans et ceux de la conduite à gauche, a été suspendue sans bruit, car irréaliste. L’installation des compteurs prépayés a été suspendue à Kaloum devant les bruyantes protestations de la population. Tout ceci dénote hélas un amateurisme, des tâtonnements et une navigation à vue qui ne peuvent que jeter le doute sur la capacité du gouvernement à faire face efficacement aux problèmes lancinants que connait notre pays. Franchement, notre gouvernement inspire tellement la commisération en ce moment qu’on s’en voudrait d’insister.
La cherté de la vie pousse le Syndicat à la lancer un mot d’ordre de grève des fonctionnaires à partir du 15 février si leurs revendications ne sont pas satisfaites. Avez un commentaire là-dessus ?
Nous sommes tous interpelés par la crise économique très sérieuse que traverse notre pays. Les effets néfastes de cette crise sont durement ressentis à tous les niveaux de l’activité économique et les finances publiques. Il y a non seulement la dépression économique, mais celle-ci est doublée d’une forte inflation, alimentée par la faiblesse de l’offre intérieure et la dépréciation continue de la monnaie. Nous sommes donc installés dans la stagflation, le pire scénario pour une économie. Les populations les plus défavorisées paient un très lourd tribut en termes de manque du minimum vital pour se nourrir, se soigner, se déplacer, envoyer les enfants à l’école. Dans ce contexte difficile de rareté des ressources et d’aggravation des conditions d’existence des populations, il est normal que les syndicats sonnent le tocsin. C’est au gouvernement de trouver des solutions correctes permettant de surmonter la crise et de relancer l’économie. Pour cela, nous préconisons vivement l’instauration d’un dialogue social sérieux et responsable entre les partenaires sociaux. Dans les conditions actuelles, une grève ne permettrait pas à notre avis de solutionner les nombreux problèmes soulevés par les syndicats et leur base. Au contraire nous risquons d’entrer dans une crise sociale aux risques non négligeables. Les effets positifs du calme politique obtenu après les mesures d’apaisement prises par le Chef de l’Etat seraient très vite oubliés. Au plan fiscal, pour trouver des ressources, le gouvernement doit déployer un maximum d’efforts de compression des dépenses publiques, maximiser ses rentrées, sans aggraver la pression fiscale sur les plus démunis. Il faut en premier lieu réduire drastiquement les dépenses non essentielles, réduire sérieusement le train de vie de l’Etat, combattre la corruption et les détournements de deniers publics, assainir le système des marchés publics en éliminant la surfacturation, les marchés de gré à gré, etc. En second lieu, il faudrait réorganiser et motiver l’Administration fiscale afin que celle-ci prenne des mesures vigoureuses pour combattre l’évasion fiscale et douanière et encaisser tout ce qui est dû, par tous les contribuables. Ce n’est qu’en dernier ressort que l’on doit recourir à de nouvelles mesures fiscales. Celles-ci doivent reposer sur un minimum d’équité, afin de ne pas faire retomber tout le fardeau sur les plus démunis, les plus faibles. A titre d’exemple, une mesure qui s’impose en urgence est la forte taxation des alcools et tabacs, des produits cosmétiques, des véhicules de luxe et tous les objets de consommation assimilés à du luxe. En prenant de nouvelles mesures fiscales, le gouvernement doit consulter largement les partenaires sociaux et tout faire pour éviter de créer ou de pérenniser des niches d’évasion fiscale ou douanière, car comme on le dit souvent : « Trop d’impôts tue l’impôt ». Faire pleuvoir tous les jours de nouvelles taxes sur les citoyens frappés de façon indiscriminée ou tirer sur tout ce qui bouge dans l’économie, n’est pas une politique viable. Les dispositions fiscales trop douloureuses pour les plus pauvres peuvent être tempérées par des mesures d’accompagnement appropriées. La Cour des Comptes nouvellement installée doit quant à elle se mettre immédiatement au travail afin de contrôler dans les normes ce qui est fait de l’argent public, aussi bien dans l’Administration que dans les entreprises para-étatiques et même dans les collectivités locales. Nous sommes convaincus que si le gouvernement agit selon ces principes, il pourra compter sur le soutien des partenaires sociaux et pour réussir l’indispensable relance économique. Une mesure qui serait salutaire pour convaincre les syndicats du sérieux du gouvernement et de son engagement à une gouvernance honnête et transparente, est la régularisation urgente de la situation de toutes les personnes astreintes à la déclaration de leurs biens conformément à l’Article 36 de la Constitution. De plus, le texte doit être appliqué dans son intégralité, afin que les services fiscaux, la Cour des Comptes et le public puissent en prendre connaissance. A défaut, il sera difficile à un gouvernement qui viole ouvertement la Constitution dans ses dispositions les plus salutaires, de prouver sa bonne foi.
Ce n’est pas le calme au sein de l’UFDG qui est secouée qui s’est aggravée avec les récents événements qui ont engendré la mort d’un journaliste. Est-ce que vous avez vu cette situation venir ?
Croyez-moi, ce qui se passe à l’UFDG aujourd’hui est tellement grave et affligeant que je ne peux pas m’en réjouir. Mais sachant que les mêmes causes produisent immanquablement les mêmes effets, la bagarre ou plutôt la guerre de leadership en son sein était prévisible. Ce sont les mêmes causes qui nous avaient amené à la scission de l’UFD à partir de 1995. Lorsque vous avez des gens appartenant à un même parti et qui estiment chacun de son côté qu’ils ne peuvent rester dans ce parti qu’à la condition d’en être le premier responsable, il est tout à fait normal que des conflits graves y éclatent. C’est la contestation par Bah Oury de la présidence de l’UFD par Feu le Professeur Alfa Ibrahim Soo, initiateur du parti qui a amené cette première scission. Nous sommes heureux que la situation ait été décantée pacifiquement à l’époque malgré les provocations qui étaient déjà présentes dans les débats. Chacun s’en était allé de son côté et c’est tant mieux ainsi.
Vous avez connu Bah Oury en particulier qui était de l’UFD avant de fronder. Est-ce que vous pouvez revenir sur votre séparation d’avec lui ? Est-ce que c’est l’histoire qui se répète ?
Oui, Bah Oury était le responsable de l’une des cinq entités dénommée UFDG ayant fusionné en septembre 1991 pour former l’UFD. Mais quand on fusionne, cela veut dire – lorsqu’on est de bonne foi – que l’entité absorbée a cessé d’exister, au profit du nouvel ensemble. Or, après notre fusion, Bah Oury a continué à animer secrètement un petit clan au sein du parti unifié. C’est en 1998 que nous avons découvert que son entité était toujours maintenue, en violation de l’accord de fusion.
Les communales et communautaires sont prévues pour le mois de juin de l’année en cours. Où est-ce que vous-en-êtes avec les préparatifs ?
Convaincus du rôle très important des collectivités locales décentralisées pour le bien être des populations, nous avons récemment tenu à Conakry une conférence avec nos représentants dans les délégations spéciales de quelques communes et CRD. A cette occasion, nous avons écouté nos représentants et sommes arrivés à un constat alarmant : la mauvaise gestion du bien public, la corruption, la braderie du patrimoine communal, la privatisation de fait des mairies et de leurs ressources, sont à l’image de ce qu’on peut observer au niveau central. Toutes ces collectivités fonctionnent en violation flagrante du Code des collectivités qui les régissent. Nous avons constaté que c’est un mal presque général en Guinée et il y a urgence à rétablir le règne de la loi dans ces collectivités pour qu’elles se mettent réellement au service des populations dont les besoins élémentaires ne sont pas satisfaits : eau potable, éclairage public, enlèvement des ordures, routes et pistes, sécurité publique, etc. Nous avons fait injonction à nos représentants dans les collectivités d’œuvrer dans ce sens et de donner le bon exemple. Lors des prochaines élections locales, nous seront intraitables sur la qualité des candidats auxquels nous pourrons nous allier éventuellement.
L’UFD est-il sur toutes ses roues pour supporter la course?
L’UFD avance tranquillement sur la route qu’elle s’est tracée. Nos cadres politiques et nos militants sont très motivés. Nous sommes convaincus que dans un avenir pas très éloigné, une majorité de la population guinéenne comprendra que c’est à ce parti qu’elle devra faire confiance pour conduire sa destinée vers un pays uni, laborieux et prospère. Je vous remercie.
Interview réalisé à Conakry, le 10 Février 2016 par Thierno Alassane DIALLO