Mohamed Camara, est, semble-t-il, un juriste qui aurait la science infuse. Il n’y a pas longtemps, il était l’invité de « Œil de Lynx » de nos confrères Lynx FM, pour parler du lâche assassinat de Elhadj Mohamed Diallo au siège de l’UFDG. Mohamed Camara comme à ses habitudes, donne des leçons, évoque les codes de justice, prend des exemples décalés, règle des comptes, fait des arrangements avec le fait. Bref mélange tout. Nous vous proposons des extraits de ses élucubrations –qui concernent surtout la presse- et mettons nos commentaires après chaque propos.
« Avant que Elaj ne soit journaliste, on était ami. Je connais beaucoup de valeur en ce monsieur. Et malgré que je n’aie pas été à vos côtés pour faire une marche parce que j’ai su la manipulation, une sorte de récupération. Vous-même vous avez fait le nid de cela depuis longtemps en relayant le conflit interne de l’UFDG. Avant que ça ne se transforme en violence et que vous en soyez victime (…) »
Elaj, un ami avant qu’il ne soit journaliste ? Où ? A l’école ? En tout cas à ce que l’on sache, Elaj est rentré du Sénégal où il est né, journaliste en Guinée. Cette « amitié » nous parait comme un début de contrevérité de cette interview. Mais passons. Et posons des questions à M. Camara : en quoi cette marche appréciée de tous les hommes épris de justice était une récupération ? Une manipulation ? Ces nombreux anonymes et dirigeants du monde qui ont marché à Paris, après les tueries de Charlie Hebdo, étaient-ils aussi manipulés ? En plus en quoi relayer le conflit interne (ce qui relève du domaine de l’information) à un parti justifie l’assassinat d’un journaliste ?
« Comme c’est une question de mort d’hommes, pour jouer sur la sensibilité liée à la perte d’une personne, vous vous êtes mis dans une confraternité négative, sur base d’émotions. Pour endoctriner y compris la partie lucide de la presse pour que si elle se détachait, pour qu’on dise, voilà ceux-ci se sont détachés. Et vous avez fait une communication à sens unique, non pas sur les commanditaires, les planificateurs et les exécutants. Mais vous avez ciblé un parti politique qui n’est à présent sanctionné par une administration ».
Il y a évidemment à chercher le manipulé entre des journalistes qui manifestent pour que la lumière soit sur un assassinat et un homme à la recherche d’une notoriété qui estime que ne pas dénoncer un crime est une preuve de lucidité. M. Camara dit que la communication de la presse devait être axée sur les commanditaires, les planificateurs et les exécutants du crime. Les connait-il ? La presse elle, a justement marché pour attirer l’attention des autorités sur ce que ceux-là doivent être trouvés. Nous disions lors de la marche, « un mort de plus, un mort de trop, justice pour Eladj Mohamed Diallo ». En quoi cela vise un parti politique ? Nous avons marché avec des personnes éprises de justice –et des vraies-, du pont 8 novembre au ministère de la Justice en faisant halte à l’Assemblée, et à Sekhoutoureya. faut-il faire des dessins pour M. Camara pour qu’il comprenne que ce sont des autorités qui ont été interpellées et non un parti politique. Autrement, on se serait rendu au siège du parti pour manifester.
« Vous avez très rapidement condamné le parti politique en question en jetant l’anathème, en disant, on ne vous couvre plus. Mais la responsabilité pénale n’est jamais collective, elle est individuelle. (…) Et ne pas le faire, vous avez démissionné. Un médecin dit, je ne vais pas il y a ébola. Un soldat dit il y a la tension dans ce quartier je n’y vais pas (…)».
A l’attention de M. Camara et de tous ceux qui font de l’amalgame, couvrir les activités quotidiennes ou hebdomadaires ordinaires d’un parti politique ne relève pas de l’information mais de la communication. Les journalistes peuvent le faire mais ne sont pas obligés de le faire au nom d’un droit du public à l’information. Les journalistes sont obligés de donner les informations, pas communiquer. Et prendre des mesures immédiates à l’égard d’un parti qui n’a pas su gérer un conseil politique au point qu’un journaliste y a laissé sa peau n’est pas un délit commis par la presse. Vos exemples décalés desservent le parti que vous êtes sensés défendre : le médecin sait que ébola est mortel en y allant il se prépare. Pensez-vous que nous savions que couvrir un conseil politique d’un parti est aussi dangereux qu’ébola ? Contrairement à ce que vous pensez, RFI, depuis l’assassinat de ses envoyés spéciaux, Ghislaine Dupont et Claude Verlon à Kidal en 2013, a rarement dépêché les « envoyés spéciaux » dans cette région, pour ne pas dire qu’elle ne l’a plus fait. Les informations de cette région sont généralement envoyées de Bamako ou à partir du téléphone.
«Vous devez transformer votre colère en journalisme d’investigation. Pour montrer au planificateur, exécutant, aux complices et aux auteurs, qu’ils ont touché à un quatrième pouvoir. Et du coup, vous pouvez donner à la justice, très rapidement, les preuves les plus illustratives, les plus urgentes pour que l’accélération soit faite».
Notre juriste nous donne carrément un rôle d’officier de police judiciaire. La question : les enquêtes journalistiques peuvent-elles être les pièces à convictions pour la justice en Guinée ?
«En général dans tous les pays du monde où on a fait journée sans presse, c’est contre une décision de l’Etat qui brime un avantage consacré à la corporation. Mais vous avez marché côte à côte avec les autorités, avec la justice, incarnée par le ministère de la Justice, porte-parole du gouvernement, ainsi de suite, la HAC, tout le monde. Vous avez marché contre qui ? Et votre ras-le-bol ce n’était pas contre les criminels. Mais c’était le parti en filigrane ».
M. le juriste, une journée sans presse n’est ni plus ni moins qu’une grève des journalistes. Vous la faites soit pour dénoncer un traitement, pour revendiquer une situation. Ou autres. Ce n’est pas figé. Quoi de plus normal que de faire une grève pour demander le droit à la vie quand on exerce un métier ? En plus nous mettons au défi M. Camara de nous dire le nom de l’autorité qui a marché avec les journalistes ce jour. La HAC ? Savez-vous que c’est elle qui régule la presse en Guinée ? Parler n’est pas une obligation, M. Camara quand on a rien à dire.
« Soyez dans la peau de la douleur, pour savoir la douleur»
Camara était-il dans la peau de la douleur de perdre un journaliste qui ne faisait que son travail ? Avec ce mec, ça va dans tous les sens ! La chose et son contraire sont défendus au même degré.
« Vous êtes appelés presse. Si vous faites preuve d’empressement, vous allez être pressés. Pressés dans les analyses et pressés comme une orange dans une tasse pour boire le jus de la presse pour qu’une dérive s’installe graduellement ».
Que celui qui a compris cette partie qui ressemble à bien des égards au refrain d’un rappeur débutant, nous aide !
Pour tout dire, Mohamed Camara nous a pompé l’air avec sa mécanique juridique qui consiste à pomper les articles de tous les codes et à les déverser sur la place publique sans être à mesure de nous en donner l’intelligence.
Ibrahima S. Traoré