Au terme d’une visite effectuée récemment par la commission de défense et sécurité de l’Assemblée nationale dans les garnisons du pays, le vice-président de la commission défense et sécurité, l’honorable Ousmane Gaoual, a accordé un entretien à notre reporter, dans lequel il dresse un constat sur l’état de nos casernes. Et sur les conditions de vie et de travail des militaires.
Honorable peut-on savoir, qu’est-ce qui a attiré votre attention dans les différents garnisons militaires du pays que la commission défense et sécurité a visitées ?
Honorable Ousmane Gaoual : Disons que dans un premier temps notre objectif était de nous rassurer du mode de fonctionnement de nos institutions militaires. La commission s’est dit, d’aller sur le terrain afin d’échanger avec les responsables des différentes garnissons. Pour s’enquérir sur les conditions de travail, sur l’organisation, sur les matériels disponibles, sur les difficultés qu’ils ont… au regard du budget alloué à ces forces de défense et de sécurité. Comme vous savez notre commission préside des questions financières, organisationnelles, stratégiques des services de défense et de sécurité. Personnellement, j’ai eu trois surprises : la première surprise, c’est que je me rends compte que notre armée est en quelque sorte laissée pour compte de l’Etat. Parce que du point de vue des infrastructures, je m’attendais de voir les camps militaires sécurisés, délimités avec des murs ou des barbelés ou des sacs de sable, en tous les cas un endroit stratégique bien tenu, délimité pour ne pas permettre le regard d’autrui, ni pénétré très facilement. Mais, j’étais surpris de voir que les camps des capitales régionales de Kindia, de Labé, de Kankan ne sont pas des camps, ce sont des espaces géographiques non délimités, dans tous les cas, si ce sont des camps la délimitation n’est pas matérialisée par une clôture, ça c’est un problème. A Labé, le camp militaire est traversé par une route internationale, celle qui relie Labé à Madina Oula, pourtant, nos forces de défense et de sécurité vivent, s’organisent, travaillent là. Avec notre engagement aux côtés des forces des Nations unies, au Mali notre armée devrait être plus sécurisée. Deuxième point, c’est sur le plan des équipements, des infrastructures. Il ya vraiment un manque de bâtiments, nous avons été surpris de voir dans une gendarmerie à Kindia, le commandant de la gendarmerie a transformé des toilettes dans un bâtiment pour faire un bureau, ça c’est des conditions de travail vraiment pénibles pour ces gens. Dans la plupart des cas, il n’y a pas de mobiliers nécessaires pour ça, on transforme des futs en chaises, les officiers de la police judiciaire enregistrent les plaintes des citoyens dans les vérandas, les sapeurs pompiers tout ça c’est à l’abandon absolu par l’Etat guinéen. C’est à N’Zérékoré seulement que quelques bâtiments existent, mais ils ne sont pas équipés, donc non opérationnels et le camp est complètement délimité. Mais en général c’est l’abandon total. Je pense que dans les années à venir, il faudrait que les budgets prennent compte de ces préoccupations. La troisième surprise, c’est que la plupart des militaires s’équipent eux-mêmes, achètent leurs galons, achètent leurs chaussures, leurs tenues, parce que les dotations sont faites tous les trois ou cinq ans, ce n’est pas normal. Une armée est une armée habillée de la tête au pied avec des uniformes de qualité…. Donc si chacun doit aller acheter au marché, ce n’est pas normal pour notre pays. Donc tout ça c’est pour moi une découverte.
Avec ce constat alarmant, nous nous interrogeons, sur les reformes dont-on nous parle à longueur de journée au sein de l’armée guinéenne ?
Non, ce n’est pas ça, c’est que la reforme des services de défense et de sécurité a plusieurs volets. Le premier, c’était de faire de notre armée décriée pour sa violence, pour le manque de respect des droits humains et des libertés fondamentales, de faire en sorte que l’armée tienne compte de cela. Et puis former l’armée, réduire ses effectifs, la rendre plus professionnelle et ensuite la soumettre à l’autorité civile. Ça ce sont les objectifs de la reforme. Maintenant, sur ce plan là, il ya une meilleure prise en compte de l’autorité civile par les militaires. Il ya de plus en plus des questions des droits de l’homme qui sont évoquées, il y avait même une commission dont les points focaux étaient de l’armée et de la police, certains sont membres de l’institution des droits humains. Quand on voit les militaires de ce point de vue là, on peut dire, ils intègrent ces notions, même s’il faut déplorer certains actes, notamment à Zogota, à Saoro, à Galapkaye, et même dans les rues de Conakry où la gendarmerie, la police ont été souvent mises en cause pour le non respect des droits de l’homme. Cela apparait clairement aussi dans le rapport d’Amnesty International. Mais il faut dire que ces sujets sont largement évoqués même si la maîtrise de ces sujets et leurs prises en compte ne sont des fois pas appliquées par les forces de défense et de sécurité. Autre chose, on nous parle souvent de réduction des effectifs, pour les rendre opérationnels, sauf que sur le terrain, on se rend compte qu’il ya un déficit énorme de personnel, notamment au niveau des services de sécurité. Le ministre de l’Intérieur a dit récemment que sur 13 mille agents de la police, 11 mille sont à Conakry, ce n’est pas normal. Il faut que nos agents soient déployés à l’intérieur. Des régions militaires comme N’Zérékoré, Kankan qui partagent des frontières avec des régions souvent plus ou moins troubles. Ces localités doivent être largement sécurisées et avec un personnel suffisant et puis les doter d’équipements de communications, tout ça est quasi inexistant, ce n’est pas normal. Aujourd’hui, des équipements des militaires et des policiers laissent à désirer. La dernières fois, il faut vous rappeler lorsqu’il y avait eu une vindicte populaire à Kouroussa, la population est allée sortir des présumés malfaiteurs en prison pour les brûlés vifs. C’est parce que les services de sécurité n’avaient pas de bombes lacrymogènes, ils s’étaient obligés de fuir les lieux. L’armée doit être équipée de façon conventionnelle et le budget doit tenir compte de ça. L’autre aspect, c’est l’absence de formation notamment au niveau de la police et de la gendarmerie. Ils ont besoin de formation et ils la réclament.
Honorable, vous venez de faire cas du budget alloué aux services de défense et de sécurité. Certains estiment que le budget de l’armée est souvent détourné par des individus?
Je dis oui, l’armée est dotée à peu près de 10% du budget national. On peut estimer que c’est colossal. Cela dépend des appréciations des uns et des autres. En tout cas pour beaucoup, le budget est alloué ne se voit pas sur le terrain. Aujourd’hui, quand vous allez dans toutes les garnisons militaires, il n’y a pas de pharmacies, alors que les militaires s’entrainent matin-soir, pour qu’ils soient aguerris. Quand ils tombent malades ils n’ont pas de pharmacies ni de centres de santé équipés, ce n’est pas normal. Aujourd’hui, les militaires habitent dans les quartiers, quand vous sonnez l’alerte, il faut que les gens quittent leurs domiciles pour rejoindre le camp pour le rassemblement. Cela ne peut pas se faire tout de suite, parce qu’il n’y a pas de logements dans les camps militaires. On a constaté que beaucoup de bâtiments ont été commencés depuis de nombreuses années mais rien n’est achevé. Donc il faut se poser la question sur l’adéquation entre ces montants que les gens disent colossaux et les besoins des militaires sur le terrain. Il n’y a pas l’adéquation.
A un moment donné, vous avez aussi parlez de la réduction des effectifs de l’armée. Il se trouve qu’en 2010, les militaires qui ont fait valoir leurs droits à la retraite, ont ces derniers temps réclamé certaines promesses non tenues par l’Etat à leur endroit. Est-ce qu’au sein de la commission de défense et de sécurité, vous êtes informés de cette affaire ?
Disons qu’on suit tranquillement, il ya des militaires effectivement qui sont allés à la retraite, qui auraient dû partir avec un montant qui avait été décidé de commun accord avec eux. Semble-t-il beaucoup d’entre eux, ne sont pas rentrés en possession de cette promesse. Mais comme le vous savez, les ministres guinéens refusent de venir à l’Assemblée nationale, pour répondre aux questions d’actualités devant les députés. Donc toutes ces questions ne sont pas évoquées. Parce qu’on n’a pas d’interlocuteurs en face. Mais nous espérons que ce nouveau gouvernement va décider d’être présent devant les parlementaires pour répondre à nos questions. Et comme ça, le peuple de Guinée sera édifié sur ces questions. Mais ce qu’il faut dire c’est que la question de rémunération est un problème fondamental au niveau des militaires. Il est vrai qu’en 2010, 4 mille personnes sont parties à la retraite, mais depuis près de 5 mille personnes ont été recrutées clandestinement depuis qu’Alpha Condé est là. Dans la loi de programmation, on nous parle de 19 mille militaires disponibles, aujourd’hui l’objectif de la reforme, c’était de réduire à 15 mille militaires. Avec ça, on est loin de cet effectif.
Vous avez parlé du contingent militaire guinéen qui est sous la bannière des Nations unies. Ces derniers mois, 9 de nos hommes sont tombés dans les attaques des jihadistes au Mali. Pouvez-vous nous dire le nombre exact de militaires déployés sur le territoire malien dans cette mission?
Non, c’est pourquoi la commission de défense et sécurité de l’Assemblée nationale aimerait se déplacer à Kidal (Mali : ndlr) pour d’abord rencontrer nos soldats, les encourager, s’assurer de leurs conditions vies, de matérielles et psychologiques. Moi je pense que peu importe le nombre dès l’instant que les Guinéens sont engagés sous le drapeau des Nations unies, c’est un devoir pour notre pays. Mais cependant, il faut s’assurer que des montants qui sont alloués par les Nations unies et l’Etat guinéen pour les militaires, les enfants, des veuves des victimes sont versés. Tout ça doit être structuré, afin qu’ils se rendent compte que la République ne les a pas oubliés.
Honorable, l’exécutif vous fait-il cas s’il veut engager les militaires en dehors du pays ?
Non, vous savez que Alpha Condé méprise l’Assemblée nationale, on n’est pas informé. On apprend comme vous sur le petit écran. Il n’y a pas d’échange de point de vue là-dessus. Ce qui est dommage, parce que les institutions de la Nation doivent parler entre elles pour l’intérêt de la Nation, pas pour le plaisir du petit prince. Mais pour l’intérêt du pays, l’exécutif actuellement méprise l’institution, qu’est l’Assemblée nationale. Et notre institution agit comme elle peut. Elle a très peu de moyens. Tous ces déplacements, nous les faisons avec certains de nos moyens et l’assistance du Pnud. Le gouvernement ne nous appuie pas, et l’Assemblée ne débloque pas de l’argent pour ces missions là. Nous allons quémander de l’argent pour faire ces missions de terrain, qui sont indispensables pour nous les parlementaires. Mais bon on le fait parce que le devoir est là.
Les Jihadistes ont souvent des velléités d’attaquer tous les pays qui se dressent contre eux. Et la Guinée a ses hommes au Mali. Est-ce que dans ce cas, la commission de défense et de sécurité est en contact avec l’exécutif sur cette question ?
Bien sûr, nous sommes conscients de ces difficultés et ces menaces et c’est pour ça que les visites de terrain peuvent nous permettre d’attirer l’attention de l’exécutif sur l’urgence de prendre en compte les préoccupations venues du terrain, pour orienter les budgets afin que les menaces ne se réalisent jamais.
Pour finir, Honorable Gaoual, maintenant que vous êtes à la fin de cette visite de terrain, les militaires peuvent-ils compter sur vous, pour l’amélioration de leurs conditions de vie et de travail?
Je pense qu’ils peuvent compter sur nous, pour dire les choses là-où ça doit être dit. Maintenant c’est l’exécutif qui donne l’argent, l’Assemblée nationale peut suggérer, peut aider à l’orientation. En définitive, c’est l’exécutif qui élabore le budget, pas nous. Donc c’est à eux de prendre en compte nos remarques et nos préoccupations. Parce que cette mission ferra un rapport pour réorienter les budgets de l’armée, pour une meilleure prise en compte des besoins exprimés du terrain pour une fois.
Entretien réalisé par Richard TAMONE, L’Indépendant partenaire de guinee7.com