Rougui Barry, ministre conseillère à la Présidence, est décédée, à 61ans, ce dimanche 13 mars au Maroc. La dame de fer a été maire de la commune de Matam en début des années « 90 », puis ministre de l’Enseignement pré-universitaire pendant le régime de la transition militaire ; avant d’être ministre des Guinéens de l’Etranger sous le régime d’Alpha Condé. Depuis qu’elle a quitté ce poste en 2013, elle est ministre conseillère à la Présidence de la République. En 2008, IPS avait rappelé le « parcours atypique » de cette grande dame. Nous vous l’avons actualisé.
Les Guinéens ont l’habitude d’être surpris par cette femme élégante, les yeux bridés, toujours prête à affronter l’adversité et les préjugés pour imposer ses positions, même les plus controversées. C’est que Kaba Rougui Barry, première femme élue maire en Guinée depuis l’instauration du multipartisme en 1990, a un parcours atypique.
Dans ses bureaux installés à son domicile à Coleah Lansebounyi, près du centre-ville de Conakry, la capitale guinéenne, quelques-uns de ses portraits traînent, mais le visiteur est frappé par un écriteau indiquant « La femme est l’égale de l’homme ».
« Que ce soit en politique ou dans un autre domaine, les femmes, qui réclament l’égalité, sont toujours marginalisées. Cela est valable aussi bien en Guinée que dans beaucoup de pays. Cela provoque une crainte chez elles et elles rechignent à se lancer en politique », déclare Rougui Barry à IPS.
Son histoire débute en 1990, quand un groupe de jeunes vient lui proposer de se présenter à la mairie de Matam, l’une des quatre communes de Conakry.
Dans une société constituée de 85 pour cent de musulmans, le choix était d’autant plus difficile que Rougui Barry, elle-même musulmane, n’avait aucune expérience en politique.
« J’étais inexpérimentée, mais avec les conseils de mon père et de mon époux, j’ai très vite franchi le pallier et j’ai décidé de me jeter dans le grand bain », explique-t-elle à IPS.
Rougui Barry, se lance dans la campagne électorale et, contre toute attente, remporte en 1991 la mairie face à ses quatre adversaires hommes.
Elle récidivera en 1996, mais cette victoire irrite le président Lansana Conté et son Parti de l’unité et du progrès (PUP), qui empêchent son investiture.
« La mairie est restée pendant sept mois sans maire, avant que je ne sois investie. Ces deux mandats m’ont permis de rester dix ans à la mairie et j’ai réussi à mettre en œuvre avec succès 70 à 80 pour cent de mon plan d’action », souligne Rougui Barry.
Suivant une nouvelle loi obligeant les candidats à la mairie d’intégrer des partis politiques, Rougui Barry rejoint en janvier 2000 l’Union des forces républicaines (UFR) de Sidya Touré, un parti d’opposition, apparemment après des contacts avec le PUP.
« Nous reconnaissons que Rougui Barry est une battante. Mais elle est partie vers l’opposition parce que le parti (PUP) ne l’a pas retenue sur sa liste », affirme Sékou Konaté, à l’époque secrétaire général du PUP.
Pour bloquer cette candidature gênante, le gouvernement n’a pas validé la liste de Rougui Barry en 2000.
« Cette loi me visait principalement. Le président de la République avait exigé que le PUP remporte toutes les 38 communes du pays, mais tout le monde savait que cela était impossible à Matam », remarque-t-elle.
En mars 2004, Rougui Barry a été arrêtée pendant 44 jours, avec d’autres personnalités, accusées d’un complot pour renverser le régime. La justice blanchit le groupe quelques mois plus tard.
Bons et mauvais souvenirs
Pendant son mandat à Matam, Rougui Barry a réussi à rétablir la confiance entre les populations et aménager quelques infrastructures comme ces passerelles surplombant l’autoroute Fidel Castro pour permettre aux piétons de traverser sans danger.
Cette initiative sera multipliée dans le projet d’agrandissement de l’autoroute, même hors de Matam.
« Rien n’a été facile pour moi. Sur le plan religieux, en 1991, on ne pouvait pas accepter une femme à la tête d’une commune, mais j’ai réussi à faire participer toutes les religions dans la gestion de la commune, on demandait l’avis de chacun », affirme Rougui Barry.
« C’est au fil des années qu’ils ont compris que ce n’était pas seulement la femme qui était là, mais une battante et une responsable de tout le monde. Au niveau social, il fallait réduire la pauvreté », souligne-t-elle.
Des femmes ont été encouragées vers des métiers comme la teinture et la saponification, et un cadre a été aménagé pour permettre aux jeunes chômeurs de rencontrer des chefs d’entreprises.
« Je suis satisfaite de notre bilan », dit-t-elle fièrement.
Mais Rougui Barry n’a pas que de bons souvenirs dans sa longue lutte politique. « Le pire moment a été de se sentir abandonnée par les autorités (du régime de Lansana Conté, NDLR) malgré tout le travail abattu et reconnu par les populations elles-mêmes. Les meilleurs moments sont toujours les succès que nous avons enregistrés dans la réalisation de notre programme d’action à la mairie », explique-t-elle.
Des surprises
Licenciée en économie, et directrice de l’ONG humanitaire ‘Aide pour le développement durable’, l’ancienne maire de Matam est mère de cinq enfants.
Imprévisible, elle dit utiliser ce trait de caractère pour dérouter ses adversaires.
« Elle est insaisissable et, de ce point de vue, est opposante dans l’âme. Je pense qu’il vaut mieux l’avoir avec soi que contre soi », reconnaît Konaté du PUP.
Toutefois, Rougui Barry a parfois des réactions surprenantes. Elle s’est installée sur le capot d’un véhicule de police pour protester contre l’arrestation de son frère qu’elle estimait victime de chantage et de harcèlement. Elle a été trimbalée sous les regards incrédules des passants jusqu’à la direction de la police judiciaire où elle s’est effondrée, évanouie.
« Cette scène prouve que c’est une femme qui aime qu’on parle d’elle parce que tout porte à croire qu’elle a des visées politiques au plus haut sommet. Cela dénote également d’une certaine impulsivité; si elle veut aller plus loin, elle doit d’abord savoir se contrôler », indique Oumar Yacine Bah, un économiste qui a suivi sa carrière. « C’est une brave femme et elle a des convictions. Ces deux qualités sont très importantes en politique », ajoute-t-il.
Pour sa part, Rougui Barry ne cache pas ses projets. « Si je parviens à réunir 1.000 signatures de grands électeurs capables de drainer chacun au moins 500 personnes, je vais me présenter à l’élection présidentielle », confie-t-elle à IPS, en 2008.
Avec IPS