Censure

Le terrorisme ne sera jamais vaincu par de simples mots (Par Saliou Samb)

Les lĂąches attaques contre des pays africains comme le Nigeria, le Mali et la CĂŽte d’ivoire n’ont pas eu le mĂȘme retentissement que les rĂ©cents attentats Ă  la bombe en Belgique. Ce flagrant dĂ©sĂ©quilibre dans le traitement de l’information contribue malheureusement Ă  entretenir un phĂ©nomĂšne que l’opinion publique occidentale peine Ă  cerner.

De zones de tensions comme l’Irak ou la Syrie Ă  d’autres sphĂšres beaucoup plus improbables comme le Burkina Faso ou la  CĂŽte d’ivoire, en passant par la France, les Etats Unis et la Belgique, jamais les idiots de Dieu rĂ©unis dans un pseudo « Etat islamique » n’ont menĂ© des attaques aussi diversifiĂ©es et aussi simultanĂ©es Ă  travers le monde.

Leurs tactiques d’infiltration et d’action sont d’une redoutable efficacitĂ©. De fausses identitĂ©s, un repĂ©rage prĂ©cis des points sensibles et des planques, un processus de recrutement ciblant les couches les plus vulnĂ©rables (de prĂ©fĂ©rence de dangereux repris de justice), des rĂ©seaux Ă  la fois « religieux » et mafieux pour bien respecter la loi de l’Omerta, dans un Occident accrochĂ©e Ă  des « principes » d’une naĂŻvetĂ© touchante, les terroristes semblent toujours plus ingĂ©nieux dans leur recherche du mal.

Des erreurs en Irak et en Libye

Le flĂ©au s’est dĂ©veloppĂ© insidieusement avant de prendre de l’ampleur avec la dĂ©cision irresponsable de Georges Bush fils d’envahir l’Irak de Saddam Hussein. Et sous un fallacieux prĂ©texte ! Contrairement Ă  ses voisins, ce pays certes gĂ©rĂ© par un dictateur implacable Ă©tait de mĂ©moire de tous ceux qui l’ont visitĂ© l’un des rares ilots du Moyen Orient oĂč la religion musulmane n’avait pas d’emprise sur le fonctionnement de l’Etat. DotĂ© d’une armĂ©e puissante et d’officiers supĂ©rieurs Ă©duquĂ©s, le dĂ©mantĂšlement de l’Irak a libĂ©rĂ© des Ă©nergies nĂ©gatives, totalement hors de contrĂŽle, qui ont pris en otage ses structures. Plusieurs officiers de Daesh sont d’anciens membres de l’armĂ©e irakienne sous Saddam Hussein. Leur parfaite connaissance du terrain et leurs rĂ©seaux locaux donnent aujourd’hui du fil Ă  retordre Ă  la coalition des armĂ©es Ă©trangĂšres.

La mĂȘme erreur s’est rĂ©pĂ©tĂ©e sous le prĂ©sident français Nicolas Sarkozy dont l’action a grandement contribuĂ© Ă  rayer le Libyen Muhammar Kaddhafi de la liste des chefs d’Etats. Jadis limitĂ©e aux simples gesticulations d’un colonel sulfureux et colorĂ©, vĂ©ritable tigre Ă©dentĂ© (sa triste fin l’a prouvĂ©), la menace a pris forme avec la prise de pouvoir des milices sauvages du cĂŽtĂ© de Tripoli, Misrata, Benghazi, etc. Devenu antre de criminels créé de toutes piĂšces par un Sarkozy Ă  la conscience aussi tranquille qu’un volcan en Ă©ruption, la situation en Libye – nonobstant la part Ă  mettre au compte des rĂ©pliques de la dĂ©cennie de terrorisme en AlgĂ©rie – explique en grande partie ce qui se passe au Nigeria, au Cameroun, au Niger, au Tchad, mais surtout au Mali, au Burkina Faso et tout rĂ©cemment en CĂŽte d’ivoire. La faute de Sarkozy a Ă©tĂ© d’ignorer le rĂŽle stabilisateur de Kaddhafi dans la bande saharo-sahĂ©lienne, d’ébranler un ordre Ă©tabli sans rien proposer en Ă©change. En tant qu’Africains, nous en payons les consĂ©quences.  Qui d’entre nous peut prĂ©voir jusqu’oĂč les limites de l’absurde vont ĂȘtre repoussĂ©es ?

Une analyse mĂȘme superficielle de la stratĂ©gie occidentale montre qu’on veut casser le thermomĂštre pour faire baisser la fiĂšvre. L’illustration la plus patente est la vague d’émotion qui s’empare Ă  chaque fois des opinions publiques dans ces pays dĂ©veloppĂ©s, manipulĂ©es par les « éditions spĂ©ciales », vĂ©ritables mises en scĂšne de l’information, diffusĂ©es par la presse. Les niveaux de sĂ©curitĂ© sont relevĂ©s Ă  leur plafond maximum, les diffĂ©rents plans anti-terroristes sortis des tiroirs et malgrĂ© toutes ces prĂ©cautions tout Ă  fait lĂ©gitimes, les barbares parviennent Ă  narguer les enquĂȘteurs pendant des mois, reconstituer entretemps leurs rĂ©seaux, ouvrir des contre-feux (comme c’est visiblement le cas de l’arrestation de Salah Abdel Salam qui a occupĂ© l’opinion au moment oĂč d’autres actes criminels se prĂ©paraient !) et frapper Ă  leur guise.

Face aux consĂ©quences des mauvaises dĂ©cisions prises en Irak ou en Libye, que se serait-il passĂ© si on avait rĂ©ussi, via deux pelĂ©s et trois tondus pompeusement baptisĂ©s « rebelles » et soutenus par les islamistes du Front Al Nostra, la « grande Ɠuvre » de chasser du pouvoir un Bachar El Assad, solidement implantĂ© dans son pays ? On peut logiquement imaginer les dĂ©gĂąts en pensant Ă  tous ces Syriens en quĂȘte d’un statut de rĂ©fugiĂ© – ou de terroriste – Ă  travers le monde. La Russie, qui a sans doute regrettĂ© sa passivitĂ© en Irak et en Libye, l’a trĂšs bien compris.

Endiguer rapidement les poches les moins difficiles

En rĂ©alitĂ©, en dĂ©pit des (com)plaintes justifiĂ©es ou non des citoyens issus de communautĂ©s d’origines Ă©trangĂšres dans certains pays occidentaux, les Grandes puissances doivent d’abord mettre un terme Ă  l’hypocrisie. Il y a des Etats qui, pour des raisons gĂ©ostratĂ©giques, financent des Salafistes purs et durs dans l’unique but de dĂ©stabiliser des rĂ©gimes qui ne leur conviennent pas. Leurs Ă©missaires, affichant un mĂ©pris royal de l’ĂȘtre humain, lisent le Coran en l’envers et parviennent ainsi Ă  recruter les dĂ©sƓuvrĂ©s, les malheureux et les faibles d’esprits. Les commanditaires sont donc bien connus des services de renseignements europĂ©ens et amĂ©ricains et le premier acte pour stopper la spirale meurtriĂšre passe forcĂ©ment par un message ferme destinĂ© Ă  leurs dirigeants. Ceux-lĂ  ne sont d’ailleurs pas moins dictateurs qu’un Saddam, un Bachar ou un Kaddhafi  et leur cynisme les pousse Ă  soutenir en sous main le terrorisme.

Une autre dĂ©marche plus habile et plus urgente serait de rĂ©duire Ă  nĂ©ant les petits foyers beaucoup plus faciles Ă  endiguer. Comme par hasard, tous se trouvent en Afrique subsaharienne (Nigeria, Cameroun, Niger, Tchad, Mali et dans une moindre mesure Burkina Faso et CĂŽte d’ivoire) ; leur extinction rapide pourrait permettre de clarifier la situation. Mais c’est d’abord une question de moyens que les Africains n’ont pas.

Avec l’aide des Occidentaux et une bonne coordination du rĂ©seau de renseignements, les armĂ©es des pays touchĂ©es par le phĂ©nomĂšne sont obligĂ©es de rĂ©agir face Ă  un tel danger. L’autre dĂ©fi serait la pacification totale de la Libye en soutenant par des moyens militaires et financiers suffisants le camp qui veut une vraie paix, loin des idĂ©es djihadistes. Le terrorisme ne sera jamais vaincu par de simples mots. L’Europe n’a pas intĂ©rĂȘt Ă  continuer d’ignorer la prĂ©sence d’un sanctuaire pour terroristes Ă  un micron de ses cĂŽtes. C’est un cancer qui menace sa propre existence


Saliou Samb