Censure

En une année, Bouba Sampil aurait eu 6 millions de dollars en « frais de consulting » avec Sable Mining

Le rapport de Global Witness révèle les conditions assez surprenantes dans lesquelles la junior minière britannique a obtenu une concession sur le gisement de fer du mont Nimba en Guinée. Pour Conakry, il n’y a eu aucun favoritisme. Décryptage.

Les dirigeants de Sable Mining, Phil Edmonds et Andrew Groves, se sont intéressés à la Guinée à partir d’août 2010.

Dirigée par la junte militaire du Conseil national pour la démocratie et le développement (CNDD), mené par le général Sékouba Konaté, la Guinée était alors en plein campagne d’entre-deux-tours de la présidentielle, avec deux candidats encore en lice : Alpha Condé et Cellou Dalein Diallo.

À son arrivée dans le pays, Sable Mining s’est associé avec l’entrepreneur guinéen Aboubacar Sampil, bien établi dans le secteur minier, patron de Nimba Holding, mécène du club de football de l’AS Kaloum de Conakry (ASK) et proche du candidat Alpha Condé, – finalement élu président en décembre 2010 -, et de son fils Alpha Mohamed Condé, éduqué aux Etats-Unis et souvent présent lors des discussions avec les groupes miniers anglo-saxons.

Selon l’ONG Global Witness, Sable Mining aurait facilité les déplacements du candidat Alpha Condé et de son fils lors de la campagne présidentielle, faisant également du « lobbying » en leur faveur en leur présentant des officiels libériens et Sud-africains.

Dans une interview sur le site Aujourd’hui en Guinée fin mars 2013, Aboubacar Sampil ne nie pas sa « relation filiale » avec Alpha Condé, qu’il connaît depuis 2005, et ses « très bons rapports » avec son fils Alpha Mohamed Condé. Mais rejette toute idée d’avoir utilisé ces liens pour faire prospérer ses affaires.

« Je n’ai jamais eu un contrat de marchés publics, je n’entretiens pas de relation d’affaires avec le président », a-t-il martelé durant cet entretien.

De son côté Alpha Mohamed Condé a nié auprès de Global Witness toute transaction personnelle entre Sable Mining et lui, et toute tentative d’influencer quiconque en faveur des opérations de Sable Mining.

Reste que le Guinéen est inscrit comme directeur non exécutif sur le site internet de Sable Mining depuis 2012, une société qui a bien obtenu une licence minière de l’État cette même année… Et qu’il touche à ce titre pas moins de 120 000 dollars par an selon Global Witness.

Selon l’ONG, Sable Mining lui aurait payé en 2014 la bagatelle de 6 millions de dollars en « frais de consulting ». Des émoluments qui ne sont pas niés par la compagnie minière dans sa réponse à Global Witness : Sable Mining y estime que la contribution d’Aboubacar Sampil au succès du projet ne « doit pas être sous-estimée ».

Le gisement du mont Nimba, un joyau du sous-sol guinéen

De fait, là où Sable Mining a échoué au Liberia à obtenir le gisement de Wologozi, la junior minière britannique va le réussir en Guinée par l’entremise d’Aboubacar Sampil. Car la compagnie a vite jeté son dévolu sur le gisement du mont Nimba, l’un des projets extractifs dans le fer les plus attractifs du sous-sol guinéen après ceux du mont Simandou, octroyés pour partie à la multinationale anglo-australienne Rio Tinto.

Une concession minière intéressante… mais uniquement à condition d’obtenir l’autorisation des autorités guinéennes et libériennes de franchir la frontière pour exporter le minerai à partir du Liberia, avec des investissements et un coût de transport beaucoup moins élevés que s’il s’agissait de passer par la Guinée.

Le mont Nimba est à environ 900 km de Conakry, sur la côte atlantique guinéenne, alors que la côte libérienne est à seulement 200 km…

D’après les échanges d’emails récupérés par Global Witness, Aboubacar Sampil aurait à plusieurs reprises demandé de l’argent à Sable Mining pour suborner fonctionnaires du ministère des Mines et décideurs afin obtenir le gisement de fer du Mont Nimba, à seulement quelques kilomètres de la frontière du Liberia, un pays où Sable Mining est déjà établi.

Interrogées par Global Witness, les autorités guinéennes actuelles rejettent toute irrégularité dans le processus. Au final pourtant, Aboubacar fait des miracles : Sable Mining réussit à obtenir le gisement de ses rêves. Le permis d’exploration du mont Nimba lui est finalement accordé par les autorités en janvier 2012.

Plusieurs indices laissent penser que tout ne s’est pas déroulé dans les règles. D’abord, en janvier 2012, la Guinée est en plein audit des contrats miniers datant d’avant l’arrivée d’Alpha Condé au pouvoir, qui ne s’est achevé qu’en décembre de la même année.

Or selon le ministre guinéen des mines de l’époque, Lamine Fofana, interrogé par Jeune Afrique fin 2012, cet audit entraînait la suspension de l’octroi de nouveaux permis : « Nous avons gelé toute nouvelle attribution de licence car nous voulions étudier de près les permis passés. […] Nous ne pouvons pas en octroyer d’autres tant que nous n’avons pas soldé le passé », affirmait-il en novembre 2012 dans nos colonnes.

La Guinée se défend en faisant valoir que quatre autres permis ont été accordés à cette époque en 2012 – en dépit des déclarations du ministre Lamine Fofana – et fait valoir qu’un autre permis avait été accordé à Sable Mining en 2010, avant l’arrivée du président Alpha Condé au pouvoir.

Autre point surprenant, le fait que Sable Mining obtienne le droit de faire passer son fer par le Liberia, en août 2013, un droit demandé par les géants Rio Tinto et Vale (qui n’est plus en Guinée aujourd’hui), et jamais obtenu. Il leur était demandé de participer à la construction du « tranguinéen » – un chemin de fer minier jusqu’au sud de Conakry – et d’un port, pour un coût total de près de 10 milliards de dollars, non supportable par une junior comme Sable Mining, et jugé crucial par le gouvernement pour développer le pays.

Là encore, les autorités guinéennes, contactées par Global Witness démentent tout favoritisme.

Une réserve naturelle classée au patrimoine mondial de l’humanité

Enfin, dernier point troublant selon Global Witness, la légèreté non sanctionnée par les autorités guinéennes en matière environnementale : le permis minier du mont Nimba empiétait au départ sur une réserve naturelle classée au patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco.

Le ministre guinéen de l’environnement de l’époque, Samady Touré, a officiellement protesté auprès de son collègue des Mines en août 2012 contre le non-respect de la législation guinéenne et internationale sur les réserves naturelles. Mais ses protestations n’ont pas été entendues.

De plus, selon un expert de l’Unesco interrogé par Global Witness, l’étude d’impact environnementale n’a clairement pas respecté les standards internationaux habituels. Les autorités guinéennes démentent de leur côté avoir fermé les yeux sur la démarche environnementale du groupe de Phil Edmonds et Andrew Groves.

Source : Jeune Afrique

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