Censure

Alpha Condé, un exemple de faillite de l’élite africaine (Par Alpha Ousmane Barry)

Le débat public m’a paru tellement d’un bas niveau, que j’avais juré de ne jamais me prononcer sur des sujets politiques afférant à la Guinée. Tout étant ramené à la dimension tribale, chaque prise de position publique est toujours appréhendée via le filtre ethnique. A cela s’ajoute le fait que dans la plupart des cas, plusieurs animateurs de sites d’information guinéens ou qui s’y prononcent n’établissent guère la différence entre débat et attaque personnelle, qu’on nomme habituellement argumentation ad hominem. Mais cela est tout à fait compréhensible si l’on considère que la plupart des sites internet sont financés par des acteurs politiques et ils constituent à cet effet des interfaces de défense politiquement orientés. Toutefois je pense que mon silence est coupable, car il est de mon devoir comme tout citoyen guinéen de participer à enrichir le débat sur l’espace public.

Sous le régime de feu Lansana Conté, je pensais tout bêtement que si Alpha Condé, Jean-Marie Doré, Siradiou Diallo ou Bah Mamadou accédaient au pouvoir en Guinée, la situation serait nettement différente. Je me disais aussi que la prise du pouvoir par des militaires en Afrique n’a jamais rien arrangé parce qu’ils n’ont pas poussé les études au point d’avoir l’esprit plus ouvert en vue de concevoir des projets de développement viables pour l’Afrique. J’ai la certitude aujourd’hui que cette idée est erronée pour deux raisons : tout d’abord depuis au moins deux décennies la plupart des présidents africains sont des universitaires d’un haut niveau intellectuel ; ensuite parce que l’accession au pouvoir de cette élite expérimentée n’a pourtant pas sensiblement changé les habitudes dans la manière de gérer le pouvoir en Afrique. En Guinée, par exemple, Lansana Kouyaté puis Jean-Marie Doré ont été chacun premier ministre mais la situation des Guinéens n’a pas sensiblement changée pendant cette période et les mauvaises habitudes de dilapidation des deniers publics non plus. Et Alpha Condé dans tout cela ?

Au regard du bilan de sa présidence, il me semble qu’Alpha Condé a passé toute sa vie à la conquête du pouvoir sans avoir préparé un projet de société viable  pour les Guinéens. Pour vous en convaincre je détaillerai ici certains aspects en m’appuyant sur quelques exemples de ce qui s’est passé depuis son accession au pouvoir en 2010.

Un président anachronique 

La première bourde aussitôt après son élection se retrouve dans son discours prononcé à Dixinn. Il vous souviendra qu’à cette occasion, le président guinéen a affirmé que ce sont les commerçants qui sont à la source  de la vie chère. Or comme s’il était en marge des émeutes de la faim dans le monde, qui ont déclenché le printemps arabe, secoué le Sénégal, pays limitrophe de la Guinée, Alpha Condé s’en prend comme Sékou Touré aux commerçants. On se souviendra en passant de mai 1964, et de cheytane 75, pour ceux qui, comme moi, ont revisité l’histoire guinéenne. Dans le sillage de cette prise de position, Monsieur Condé se propose d’importer du riz et de réinstaurer le ravitaillement comme sous le régime de l’Autre, qui en faisait un outil de pression au service de la mobilisation au sein du Parti. A partir de là il n’est pas du tout étonnant qu’un complot non avéré avec un procès à l’emporte-pièce secoue les rangs de l’armée. L’image de la pauvre Fatou Badiar me revient toujours à l’esprit, elle n’avait sûrement rien à voir dans cette affaire. Fatou Badiar devant la barre a fait revivre un mauvais souvenir de ma tendre jeunesse : l’image de  l’adolescent de 14 ans tenant un pistolet dans la main et placé sur les branches d’un manguier à Donka pour accabler Telli Diallo de complot. Tout cela atteste un manque d’évolution de la mentalité du président guinéen, qui a eu une incidence négative sur la manière dont il exercice son pouvoir.

Comme tout guinéen, je m’attendais, par exemple, à ce que le président nouvellement élu adresse un discours à la Nation pour souder les morceaux après une campagne présidentielle marquée par la violence inter-ethnique. Dommage que notre président n’y ait jamais pensé. Par contre on parlait bien après et très souvent de réconciliation sans réellement s’y mettre comme des vœux pieux. A partir de là j’ai compris que c’était un homme revanchard qui a accédé au pouvoir.

La constitution de son gouvernement a marqué une autre étape de mon désenchantement. En effet, un pays pauvre comme la Guinée se doter de plus cinquante ministres, c’était tout simplement délirant. Et si avec une certaine légèreté de notre part, toutes ces choses peuvent passer sous silence, il est dommage qu’Alpha Condé ait déterré « les vieux démons de la Guinée » pour en faire une stratégie de conquête et d’exercice du pouvoir politique. N’importe quel chef visionnaire sait d’avance qu’il faut apprendre à la jeunesse guinéenne qu’ils sont guinéens tout court et non insuffler dans leur pensée les stéréotypes « d’Ignames »  et de « Somaliens ».

L’aspect le plus folklorique qui prouve l’anachronisme d’Alpha Condé est la mobilisation des « donzos » pour une démonstration fantasmagorique à Conakry. En effet, dans mon univers de référence, il est inconcevable que quelqu’un qui se réclame Professeur des Universités mobilise des forces mystiques qu’il met en scène dans les rues de Conakry, agitant des queues à chaque carrefour en clamant « alu ye Alfa bila ! ».  Tout se passe comme si notre président, possédé par des forces maléfiques, avait mobilisé la puissance magique du mandingue pour le libérer de cet ensorcellement afin qu’il exercice correctement son pouvoir. Tout cela est génialement rationnel monsieur le Président !

Les  ratés de la réforme phare de l’armée 

Une des réformes phare dont se targue Alpha Condé est celle qui concerne l’armée. L’objectif visé par cette réforme consiste à décompresser les effectifs pléthoriques de l’armée et de mettre fin à la violence sur les civils. Au cours de l’opération, quatre mille militaires sont mis à la retraite. Tenez-vous tranquilles, parmi ces militaires mis à la retraite pour leur âge avancé comme motif, figure un de mes amis d’enfance avec qui j’ai fait l’école primaire, le collège et le Lycée. Or j’ai encore devant moi bien des années de service. C’est ici que je peux parler de gaspillage de potentiels humains. En effet, je pense que si Alpha Condé était visionnaire, il aurait procédé plutôt à un redéploiement de ce potentiel humain dont on a besoin dans d’autres secteurs, en créant des services de sapeurs-pompiers ne serait-ce que dans les grandes villes. C’est un service qui n’existe pas en Guinée. De la même  manière, il  aurait pu créer des services de voirie urbaine dans toutes les villes guinéennes. Ainsi, il aurait évité ce gaspillage humain, car comme on le sait, il faut plusieurs décennies pour former un officier supérieur et cela coûte cher. En cas de guerre ou de catastrophe naturelle, par exemple, il serait plus facile de rappeler un officier redéployé dans un secteur donné que quelqu’un d’autre jeté au dehors avec un coup de pied dans les fesses.

Un autre aspect plus grave d’ailleurs que celui-là atteste que la réforme de l’armée n’a pas inversé la tendance de la violence exercée sur les citoyens guinéens. Bien au contraire, à chaque manifestation publique, on comptabilise des morts, des blessés, et des dégâts matériels (boutiques, voitures). Finalement tout ce tintamarre n’a pas servi le pays. On peut aussi déplorer qu’Alpha Condé ait gardé dans son entourage des personnes impliquées et même mises en examen dans les violences perpétrées contre des citoyens guinéens au stade du 28 septembre en 2009. Son attitude face à cette situation soulève bien de questions. De la même manière, la mort ou disons-le plutôt l’assassinat ciblé de certaines personnes – Monsieur Diouné et Madame Boiro par exemple – des faits qui n’ont jamais été élucidés, constitue d’autres zones d’ombre qui mériteraient d’être éclaircies. 

Quelques réalisations tape-à-l’œil, non adaptées aux  besoins des Guinéens 

Dans la perspective de laisser une trace mémorable peut-être, le président Guinéen s’est lancé dans la construction d’hôtels par exemple. De tels projets n’ont aucune incidence sur la vie des Guinéens. Dans un pays ravagé par Ebola, qui n’a jamais développé le tourisme, on ne voit pas l’intérêt économique de ces infrastructures immobilières qui ne seront guère rentabilisées à court et moyens termes. Par ailleurs je voudrais insister sur le fait que, pour développer l’industrie touristique d’un pays, il faut avant tout la paix sociale. Car chaque fois qu’une manifestation est réprimée dans un pays cela fait le tour du monde et constitue de ce fait une mauvaise publicité pour le  pays qui, du même coup, n’est plus attractif aux yeux des touristes à cause de l’insécurité.

Outre le fait que le président guinéen a manqué de responsabilité dans la prise en main de la question d’Ebola en laissant-faire, alors qu’il aurait fallu dès la manifestation de la maladie mettre en quarantaine les habitants de Guékédou ; il n’a guère créé les conditions favorables pour entretenir la paix sociale en Guinée. Contrairement aux promesses d’instituer une démocratie véritable, il a entretenu au contraire un pouvoir autoritaire tout au long de son mandat.

La constitution d’un gouvernement avec une pléthore de ministres, crée aussi toutes les conditions favorables à la dilapidation des finances publiques. Or l’instauration d’une bonne gestion est un des gages du développement d’un pays. En d’autres termes, la mauvaise gestion est routinière tandis que la bonne gestion est rationnelle. Finalement en six ans de pouvoir aucun projet dans le système éducatif en vue de mieux contenir l’implantation anarchique des écoles privées ; il n’y a pas eu non plus d’infrastructures hospitalières significatives alors que dans ce secteur aussi la connexion entre le public et le privé mériterait qu’on y mette un peu plus d’ordre. Même son projet : un étudiant, une tablette n’est pas viable. Au lieu de distribuer des tablettes, il aurait fallu installer des salles informatiques dans toutes les écoles. Cela aurait donné du travail aux informaticiens et le maintien de ces équipements aurait permis à plusieurs générations d’en bénéficier. Par ailleurs, Monsieur le président n’a même pas pu mettre en place une structure viable pour débarrasser les habitants de Conakry des montagnes d’ordures ménagères qui jonchent le long des rues, alors qu’il y construit des palaces. Quel paradoxe ! De la même manière, le barrage de Kaléta passait pour être la solution de tous les problèmes d’électricité en Guinée. Or le délestage du courant électrique de plus en plus fréquent à Conakry, atteste que la réalisation de ce projet répondait à un enjeu purement électoraliste qu’à la résolution des problèmes des Guinéens. Finalement on peut se demander : les vrais projets pour la Guinée, ce serait pour quand. A mon avis bien malin qui pourrait répondre à cette question !

Alpha Ousmane Barry, Professeur des Universités (France)

Spécialisé en Analyse du discours et Communication politique

Fondateur du Réseau Discours d’Afrique

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