Dans cette interview que l’ancien ministre de la Communication a bien voulu accorder à notre reporter, Alhousseny Makanéra Kaké revient sur sa mutation de la mouvance vers l’opposition. En passant par certaines affaires qui ont animé l’actualité au moment qu’il était à la tête du département de la Communication. Sans oublier également la levée de l’immunité parlementaire de l’honorable Cellou Dalein, sollicitée par les avocats de M. Bah Oury…
Bonjour, M. Kaké. De la mouvance à l’opposition, qu’est-ce qui a occasionné ce basculement?
Alhouseny Makanéra Kaké : Je voudrais rapidement vous dire que pour celui qui n’observe pas la vie politique pense que j’ai basculé. Mais avec une analyse approfondie, on se rend compte que c’est la mouvance qui a basculé. Quand on sait en 2010 le candidat pour lequel nous avons opté, c’était un candidat qui se faisait passer pour un Mandela. 2011-2012 il se proposait d’être Barack Obama ou la synthèse des deux. Et en 2015, malheureusement nous voyons qu’il vise vers Bokassa ou Idi amine Dada. Puisque moi, je suis celui qui se bat pour la justice, la démocratie, j’ai compris que je ne pouvais plus suivre. Et comme nous avons tout fait pour changer cette situation. Nous n’avons pas pu, on a pris notre distance pour ne pas qu’on nous change.
M. Kaké lorsque vous étiez à la tête du département de la communication, à un moment donné la rumeur de votre démission a couru dans la cité. Que s’est-il passé réellement?
C’est vrai, il est arrivé à un moment donné où j’ai décidé de partir du gouvernement. Et là je suis même parti. Parce qu’il est important de noter la différence entre démissionner et l’acceptation de cette démission. Parce que dans notre pays la loi est très claire là-dessus : le ministre peut démissionner, le président de la République a la latitude d’accepter ou de refuser.
Qu’est-ce qui avait motivé cette démission, Monsieur Kaké?
Il y a eu beaucoup de manquements, c’est-à-dire les rapports entre le ministre et les directeurs ne sont pas des rapports sains. Par exemple, quand on m’a demandé de faire un projet de décret pour la nomination des cadres de mon département, j’ai demandé à monsieur le président de la République de faire lui-même son choix. Je lui ai dit que je n’ai pas d’état d’âme. L’essentiel pour moi, c’est d’avoir des cadres compétents qui partagent notre vision et qui sont prêts à travailler avec nous. Mais le président a exigé à ce que je fasse un projet de décret. J’ai fait mon projet, je l’ai mis dans une enveloppe fermée. Le président m’a indiqué certaines personnes qui devraient recevoir cette enveloppe. J’ai déposé mon enveloppe. J’ai été surpris quand le décret est sorti. Bien évidemment partout où on pense qu’il y a l’argent, aucune des personnes que j’ai proposée n’a passé.
Par exemple ?
Je cite l’Office guinéen de publicité (OGP), la Radiotélévision guinéenne de Koloma, la RTG Boulbinet….. Mais ça ce n’est pas le drame. Le drame c’est quand ils ont pris les deux, à savoir le décret du président de la République, mon projet de décret pour aller montrer au directeur. Ce qui a malheureusement créé une friction entre les travailleurs de la même boîte. L’un était censé occuper le poste de l’autre, qui finalement a été nommé par la présidence. Et l’autre drame, c’est que ces directeurs n’avaient de compte à rendre qu’à ceux-là qui les ont proposés. Donc à la présidence directement. On a vu des gens qui ont été choisis au temps de Lansana Conté ici, ce n’est pas le ministre qui a initié leur choix. Mais Conté et son administration étaient plus responsables que maintenant. Parce que eux, ils exigeaient aux cadres de passer par leurs ministres. Donc c’est ce qui a continué jusqu’à ce que le directeur général de l’OGP renvoie le directeur administratif et financier de l’OGP, le chef comptable de l’OGP et le directeur commercial. Comme quoi ces derniers ont détourné alors qu’il n’a pas la qualité de dire que quelqu’un a détourné ou pas. C’est excessivement grave, seule la justice désigne les coupables. Le principe c’est la présomption d’innocence et non la présomption de culpabilité.
Justement vous avez parlé de l’OGP, ne pensez-vous pas que la gestion soit saine, contrairement aux autres EPIC?
Je ne pourrai pas commenter ces genres d’allégations. Vous savez, je me méfie des conclusions sans fondement. Ce que je sais à un moment donné, le directeur a nommé ses amis, il paraîtrait même, le DAF était un médecin vétérinaire avec qui il a géré pendant des mois. En dépit du fait que j’ai fait des injonctions, c’est quand le président de la République lui-même m’a appelé, ce jour, j’étais à Forécariah, pour me dire qu’il faut aller rétablir les gens que le directeur de l’OGP a limogés. J’ai fait une autre lettre. Je n’avais pas besoin de dire suivant l’instruction du président de la République. Mais puisque c’est le terrain qui commande le combattant, j’étais obligé de lui dire que c’est le président qui recommande de laisser ceux-là qui ont été nommés légalement de reprendre leurs postes. Il reçoit la lettre, le même jour c’est le résultat de l’audit qui tombe. Le même jour la direction de la police judiciaire est saisie, le même jour on a commencé à arrêter les gens. C’était trop, moi j’étais même sur la route de Boké. A mon retour, j’ai foncé directement dans le bureau du ministre de la Justice d’alors. Pour lui dire que je ne comprends rien. Parce que même au temps de Lansana Conté, les choses ne se passaient pas comme ça. C’est ainsi que ce dernier a demandé de sursoir à la poursuite des gens. Et de faire par la voie légale. Et puisque, j’ai vu cette persistance même à la présidence, moi, j’ai pris la décision de suspendre le directeur de l’OGP, conformément à mes prérogatives. Il a été rétabli par la présidence de la République et j’ai décidé moi aussi de partir. J’ai la copie de la lettre de démission, si vous voulez je vous la passerez. Je l’ai fait déposer à travers ma propre fille au secrétariat général de la présidence. Aussitôt le président de la République m’a appelé, on a discuté. Il s’est engagé non seulement à cesser toute poursuite contre les gens qui devaient aller en prison, et ensuite il a promis de les rétablir. Un parmi eux même a été nommé directeur quelque part. Et ensuite, il a demandé au ministre du Budget de faire remplacer ceux-là qui ont été nommés par le directeur de l’OGP. Et il a promis que dorénavant les rapports entre les directeurs et moi seront fondés uniquement sur les principes de l’administration. C’est ce qui a fait que j’ai décidé de reprendre ma place au niveau du ministère de la Communication.
Que pensez-vous de la levée de l’immunité parlementaire du chef de file de l’opposition Cellou Dalein, sollicitée par des avocats, pour des fins d’enquêtes dit-on ?
J’ai entendu que c’est Bah Oury, mais il n’a aucune compétence de pouvoir demander la levée de l’immunité parlementaire. L’immunité parlementaire n’est pas un verrou contre l’impunité. Mais il faudrait que ça se fasse dans les règles de l’art.
Excellence, vous étiez membre du bureau de RPG arc-en-ciel. Aujourd’hui le navire RPG Arc-en-ciel est en train de tanguer. Quel est votre avis là-dessus ?
Effectivement les mêmes causes provoquent les mêmes effets. J’étais membre du Bureau politique national du RPG arc-en-ciel qui n’a jamais vu le jour malheureusement. Vous savez en droit, vous pouvez avoir une existence légale, alors que matériellement vous n’existez pas. Tout comme vous pouvez exister alors que légalement vous n’existez pas.
Vous voulez dire qu’il n’a jamais été question d’une structure légale depuis que le RPG est devenu RPG arc-en-ciel ?
Oui depuis qu’on a fait la fusion, on a voulu partir au congrès, il n’y a pas eu de congrès malheureusement. Depuis cette date on a laissé le règlement intérieur, le statut du parti de côté. Cette fois-ci maintenant c’est devenu un gouvernement bis. C’est le président de la République qui nomme les gens. Il ne regarde même pas le statut, il crée le poste de coordinateur, ça n’existe pas dans le statut. Il crée le poste de secrétaire général, ça n’existe pas dans le statut. Il crée le poste de secrétaire permanent, ça n’existe pas dans le statut.
A en croire certains observateurs, le palais Sékhoutouréyah a été transformé en QG de RPG Arc-en-ciel?
Ce qui est dramatique, c’est que je ne vois personne réagir. Les gens se permettent et de surcroit les députés de s’adresser au président en écrivant au président du RPG arc-en-ciel. J’ai vu la lettre des trois députés : Dr Ousmane Kaba, Mamady Diawara, et l’honorable Savané. Ce n’est pas beau quand ce sont les députés qui écrivent ainsi. Parce qu’une fois élu, il doit être au-dessus des partis politiques.
Pour vous quelle est la voie qu’ils devaient adopter ?
Il devait alors écrire à monsieur le président de la République. Mais ils ne devaient pas écrire en mettant le nom du parti. Même si c’est une situation que nous vivons.
Que répondez-vous à ceux qui estiment qui estiment que vous êtes des frustrés du fait de votre éviction par le président de la République. C’est pourquoi vous vous réunissez pour le combattre. Vous c’est Papa Koly, Kouyaté et vous-même?
Je pense que c’est normal d’être frustré. Parce qu’il y a un adage arabe qui dit : celui qui est tout le temps fâché, c’est un Satan. Celui qui ne se fâche pas, c’est un âne. Il faut être un âne pour accompagner quelqu’un pendant qu’il avait 18%. Il n’avait aucune chance de gagner. Tu l’accompagnes, il obtient deux mandats. Il dit, je ne dois mon élection à personne. Tu dois être content. Cela s’apparente à ce que l’imam de la grande mosquée appelle : «que lorsqu’on vous dit, vous êtes malhonnête, toi tu es content. Vous êtes honnête, toi tu es content. Si cela t’arrive tu dois te demander est-ce que tu es un être humain.»
Tu donnes ton argent, ta vie pour quelqu’un. Ce dernier te dit tu n’as rien fait pour lui, tu es content, mais tu vis pourquoi ? Tu vis pour rien. Donc celui qui n’est pas frustré des attitudes du président Alpha Condé aujourd’hui, je me demande où est son honneur et sa dignité.
Interview réalisée par Richard TAMONE